Ils sont jeunes, étudiants dans différentes filières à l'université Abderrahmane Mira de Béjaïa, la tête pleine de rêves et pourtant le cœur plein d'amertume et de désillusion. Ce que vit le pays ne les laisse pas indifférents, car ils ressentent ce profond malaise à l'intérieur même de leur salle d'études. «Nous faisons de la politique bien malgré nous. On ne peut pas rester les bras croisés face au massacre du seul espace où on peut penser et parler librement», balance tout de go Rahim, qui ne cache pas sa colère et son chagrin. Etudiant en littérature anglaise, il explique que ce n'est pas seulement leur cursus universitaire qui est menacé, mais leur avenir et leur liberté. De nombreux étudiants rencontrés au sein de cette université donnent l'impression d'être tantôt blasés et sceptiques, tantôt aguerris, déterminés, voire même pleins d'espoirs. «L'Université est synonyme de catastrophe. Il y a de flagrants dépassements, alors que l'encadrement est médiocre. Beaucoup y trouvent leur compte, puisque cette politique leur permet d'obtenir des diplômes sans aucune qualification», dénonce Toufik, étudiant en génie électrique, qui revendique une Université de progrès qui produit des cerveaux et non des titres. Et comme par définition toute revendication est un acte politique, les étudiants et les enseignants rencontrés assurent que seules leur implication dans la politique du pays et leur résistance permettraient peut-être un jour à l'Université de retrouver ses lettres de noblesse. «Certaines de nos activités son politiques. C'est le système en place qui nous oblige à faire cela. Le 17 avril, on avait occupé l'université de nuit pour protester contre la système en place. Mais sachez que nous ne militons dans aucun parti politique, ni de près ni de loin. On ne leur fait pas confiance. Ils ont prouvé qu'ils font tous partie de ce système», avance Hakim. Son point de vue est partagé par Tinhinane, jeune étudiante en littérature anglaise qui dit avoir perdu confiance en «les soi-disant partis de gauche». «Il n'y a pas d'opposition en Algérie. Et si elle existe, c'est alors une opposition de façade», indique-t-elle. Pour Hassen, enseignant de littérature française, «l'Université n'est jamais un 5e pouvoir». Soulevant la question du système LMD, il explique que ce dernier sert des fins économiques visant la destruction de ce qui reste de l'Université algérienne. «Si on ne révolutionne pas les choses, le marasme nous bouffera», prédit-il. Pour Mohamed Adjal, enseignant de tamazight, «le pouvoir a réussi à dépolitiser l'Université et à travers elle toute la société». Il estime que ce système cherche à déstabiliser l'espace de l'étudiant pour que ce dernier ne puisse pas s'occuper de ce qui se passe en dehors de ses études. Et quelles études ! Messaoud, Reda, Hamza, Idir, Radia et tant d'autres étudiants sont convaincus que tout est fait pour casser l'Université et abrutir l'élite. Tous ces étudiants ont évoqué la démocratisation de la corruption, l'institutionnalisation de la violence ainsi que le viol de la Constitution. «Un bon enseignant forme un bon étudiant. Et un bon étudiant renverse le système». C'est sur cette phrase lourde de sens, lancée par Tinhinane, que j'ai quitté l'université de Béjaïa, laissant derrière moi des étudiants qui n'aspirent qu'à une université démocratique et de progrès. Leur volonté réussira-t-elle à renverser une politique qui a massacré l'Université algérienne ?