Le millier de facebookers, qui ont signé une pétition pour s'opposer à la réalisation d'un abri de pêche à Madagh 2, ont perdu la bataille. Le chantier, à l'arrêt durant un mois pour raison technique, vient de reprendre. Vendredi passé, aucun des défenseurs «virtuels» du petit coin de paradis à l'agonie n'y était venu. Ils avaient été invités à participer à un pique-nique de protestation pour s'opposer à la reprise du chantier. Le rendez-vous avait été annulé, sept facebookers seulement avaient manifesté leur adhésion à la démarche. Kader Joe, pseudonyme de l'un des plus ardents d'entre eux, était seul à Madagh 2, ruminant son amertume : «Difficile à avaler cette désertion d'autant que je viens de mettre en ligne une dépêche de l'APS qui annonce la réalisation d'un second abri de pêche à Cap Blanc, à seulement 3 km de là et à 7 km de Bou Zadjar. Pourquoi cette boulimie à transformer des plages en abris de pêche ? Pourtant, il y a bien des sites autres que les plages ! Et, pourquoi alors que le port de Bou Zadjar n'est saturé qu'en apparence puisque tout un quai est occupé par plusieurs épaves alors que sur les autres quais sévit un stationnement anarchique des bateaux ? Mais, regardez en bas ces quelques petites barques de 4,80 m, ce sont celles de ces prétendus pêcheurs pour lesquels on réalise un abri». En effet, les canots qui gisent sur le sable ne correspondent pas aux dimensions d'un petit métier qui, elles, varient entre 7 et 12 m, ce qui fait d'ailleurs qu'il n'est pas tractable sur le sable et qu'il doit être constamment à l'eau, d'où la nécessité d'un abri durant la période de mauvais temps. Ainsi, l'argument tendant à avaliser la réalisation d'un abri à Madagh par la demande de professionnels n'en est pas un, les interlocuteurs dont se prévaut la direction de wilaya des travaux publics (DTP) ne disposent pas de rôles. «Et même s'ils les demandaient, ils ne le leur seraient délivrés par aucune autorité maritime du fait que leurs embarcations ne répondent pas aux normes. Quant à l'argument se rapportant au fait que Madagh 2 était un abri naturel pour la pêche artisanale, cela est vrai, tout autant que pour Madagh 1, l'un servant d'abri contre les vents d'Est et l'autre contre les vents d'Ouest. En outre, depuis que le port de Bou-Zadjar a été réalisé, tous les petits métiers l'ont rejoint et aucun n'est prêt à revenir à Madagh puisque leurs propriétaires n'habitent pas ses environs immédiats». Bétonnage des plages Alors à quel besoin répond le bétonnage des plages ? On observe que si le ministère de la Pêche s'est montré plus circonspect depuis la levée de boucliers contre le projet et la visite d'un de ses experts sur les lieux, c'est le ministère des Travaux publics qui, curieusement, tient le plus à sa réalisation alors qu'il n'en est que le maître d'œuvre et qui, de ce fait, ne peut juger de son opportunité, cette responsabilité revenant au maître d'ouvrage qui est le ministère de la Pêche. A cet égard, un cadre de ce secteur estime que si l'intérêt de la multiplication des abris de pêche est d'augmenter la production halieutique, le plus avantageux serait de poursuivre l'effort de modernisation de la flottille de pêche : «Avec évidemment en moins les arnaques qui ont eu lieu sous le règne des ministres MSP sur le secteur». Et notre interlocuteur de remarquer qu'à Témouchent, grâce à l'acquisition de près d'une cinquantaine d'embarcations neuves, le taux d'immobilisation de la flottille, qui dépassait 70%, en raison des pannes, est descendu à hauteur de 40%, ce qui fait que l'on pêche plus de poisson et plus souvent. Bétonnage des plages Un autre interlocuteur s'étonne du fait que, bizarrement, le ministère de l'Environnement n'a pas été associé à un projet pouvant porter atteinte à une zone protégée, celle voisine des îles Habibas : «Lui-même ne s'est pas autosaisi. Mais, il est vrai que les directeurs de wilaya relevant de ce ministère sont si mal vus par leurs collègues, comme par les walis, qu'ils ont fini par baisser les bras à force d'être systématiquement accusés de mettre des bâtons dans les roues dans les projets de développement.» A cet égard, il a fallu que les réseaux sociaux s'enflamment et que la presse s'empare de la question pour qu'enfin une étude d'impact sur l'environnement soit envisagée alors qu'elle est obligatoire dès l'étude du projet. Mais, il a d'ores et déjà été annoncé que cette étude, même si elle risque de condamner le projet, ne va servir qu'à corriger quelque peu ses effets négatifs. C'est dire si la disparition de la plage de Madagh 2 n'émeut pas car elle est illustrative des errements d'un volontarisme en matière d'investissement public basé sur la seule dépense plutôt que sur une stratégie économique. En effet, pour revenir à l'historique de cette affaire, il convient de rappeler qu'en 2006, période où notre pays engrangeait les pétrodollars, il a été effectué un recensement de tous les sites pouvant être transformés en abris de pêche. C'est ainsi que Madagh 2 a été retenu par concertation entre ministères mais aucunement pour répondre à une demande exprimée localement. En 2008, le projet est inscrit sur un schéma directeur national et l'étude de réalisation est lancée. Entre-temps, une route littorale est réalisée et relie Bou Zadjar à Madagh 2 et, au-delà, avec Madagh 1, les Andalouses et la wilaya d'Oran. Les autorités locales à Témouchent demandent alors l'inscription de la plage comme zone d'expansion touristique (ZET) au regard des appétits d'investisseurs intéressés par Madagh 1, la voisine. La demande est agréée en 2010 et la wilaya engage des travaux d'aménagement sur Madagh 2 à la satisfaction des estivants qui vont y affluer tout aussi nombreux qu'à Madagh 1. Théoriquement, le projet d'abri de pêche sur la plage, sans jeu de mot, tombait à l'eau puisque la plage est devenue ZET. Mais, il n'en sera rien puisqu'en 2014 les crédits sont là pour réaliser l'abri et qu'il faut les consommer car inscrits comme projet présidentiel.