Le nouveau gouvernement est formé. Il consacre une timide ouverture. Les responsables peuvent se prévaloir du refus de plusieurs partis et personnalités d'en être membres. Les querelles politiciennes sont complexes à démêler. Cela n'est point notre objet dans ce contexte. Penchons-nous plutôt sur la dimension économique. Un gouvernement doit avoir une feuille de route. Nous avons quelques indications préliminaires mais pas précises pour se faire une idée concrète sur les actions et le devenir du pays. Il faut attendre l'annonce du prochain plan pour se prononcer sur le sort de la nation. Nous allons confectionner ce que j'ai maintes fois appelé le Plan de la dernière chance. Pourquoi ? Parce que nous avons une forte probabilité de disposer de ressources suffisantes pour le financer. Les risques sont énormes de voir les revenus du pays s'effondrer. Ce n'est pas une fatalité. Nous n'en sommes pas sûrs. Mais cela demeure une éventualité avec une forte probabilité. La demande nationale, le taux de renouvellement de nos réserves, les avancées technologiques pour valoriser les énergies non conventionnelles, l'état de l'économie mondiale et les situations géostratégiques sont autant d'inconnues qui peuvent influer sur nos recettes d'hydrocarbures. On peut résumer tout ceci en une phrase : «Continuer à compter sur les recettes des hydrocarbures, c'est comme jouer au poker l'avenir de notre pays». Or, c'est justement là qu'intervient le futur plan. Il devrait jeter les bases d'un développement hors hydrocarbures. Il faut donc envisager d'investir dans les facteurs-clés de succès, les secteurs qui doivent nous permettre de construire une économie hors hydrocarbures diversifiée et efficace. Ce qu'il faut craindre Nous avons des craintes et des espoirs vis-à-vis du prochain plan, des opportunités et des menaces diront les adeptes des méthodes stratégiques (le fameux SWOT). Les spécialistes en transition et en développement vivent dans l'angoisse. Ils savent qu'il est facile de faire des erreurs. Nous en avions fait tellement ! Nous avons aussi eu des réalisations et des succès, mais ils n'étaient pas suffisants pour nous mettre à l'abri des aléas économiques et géostratégiques. Le fait que les pouvoirs publics n'aient pas diagnostiqué et évalué en profondeur les forces et les faiblesses de la stratégie adoptée est source d'inquiétude. Dès lors qu'on ne soumet pas sa propre démarche à une analyse neutre et objective, on s'expose au risque de ne voir que les réalisations ; et donc on peut continuer à faire la même chose. Et faire la même chose les prochaines années serait la pire des alternatives pour notre pays. Il serait sage de monter une commission d'experts indépendants, à défaut d'avoir une «institution cerveau» pour disséquer les politiques passées et proposer des pistes de solution. Il est possible que le CNES puisse jouer ce rôle, en lui donnant la marge de manœuvre qu'il faut et les outils dont il a besoin (simulateurs, base de données, centre d'intelligence économique, etc.). La grande peur des spécialistes du domaine est que le pays continue à faire exactement la même chose que par le passé. Nous avions dépensé plus que 500 milliards de dollars pour créer un développement basé sur la modernisation des infrastructures. Ceci a été une terrible erreur. Nous avons obtenu sur notre sol quelque 100 à 150 milliards de dollars d'infrastructures et le reste s'est dissipé en restes à réaliser, malfaçons, corruptions, etc. Ceci arrive dans tout pays qui a des entreprises et des institutions sous-gérées auxquelles on confie des ressources faramineuses à gérer. On ne met pas de l'essence dans un moteur défectueux, on le répare d'abord. Le prochain plan va-t-il donner plus de ressources à des entreprises et des administrations inaptes, ou va-t-on les redresser, les améliorer et les rendre plus performantes d'abord ? La crainte serait de remettre la charrue avant les bœufs. Le pays est traumatisé par l'expérience passée. Inonder d'argent des entités sous-gérées, c'est encourager la gabegie, le laxisme et dilapider les deniers du peuple. J'ai toujours commenté une comparaison chère aux économistes : si le père d'un enfant alcoolique lui octroie des sommes d'argent généreuses, il l'enfonce dans l'alcoolisme, mais s'il le désintoxique d'abord et l'aide par la suite, il lui rendrait de grands services. La pire des craintes est que nous continuions à inonder d'argent des entreprises et des administrations alcooliques. Ce qu'il faut espérer Nous avons un grand espoir que les erreurs du passé ne soient pas renouvelées. Pour cela, nous devons analyser les expériences internationales. L'Inde, la Chine, la Pologne et l'ensemble des pays qui ont réussi leur décollage économique ont fait tout à fait l'inverse de ce que nous avions fait : ils ont choisi de développer qualitativement leurs ressources humaines et moderniser les pratiques managériales des entreprises et des administrations avant de développer massivement les infrastructures. Ils ont mis les bœufs avant la charrue. J'ai détaillé cela dans un récent ouvrage La décennie de la dernière chance. Je détaille l'approche d'un pays qui nous a donné une belle leçon dans ce domaine : l'Inde. Les réformes de l'Inde ont commencé en 1990. En L'an 2000, les infrastructures de l'Inde étaient de loin plus obsolètes que celles de notre pays. Mais les experts indous ont fait des plans de relance qui visaient à avoir les meilleures universités, centres de formation professionnelle, recherche et développement dans des créneaux particuliers : informatique, ingénierie, pharmacie, management, etc. Ils ont modernisé le mode de fonctionnement de leurs entreprises et leurs administrations. Ils ont modernisé les cerveaux et le management au sein d'infrastructures très pauvres. Quel est le résultat ? Aujourd'hui, ils exportent pour des centaines de milliards de dollars. Le pays émerge et se développe. On prévoit en 2035 que l'économie de l'Inde soit au même niveau que celle des USA. Ils ont choisi une stratégie gagnante. Pourquoi pas nous ? Pourquoi doit-on toujours se tromper ? Il n'est pas trop tard pour se ressaisir. Il le sera dans quelques années. Les décisions que l'on prendra aujourd'hui vont nous propulser vers l'émergence ou la déchéance. Les futurs candidats au 5e mandat auront devant eux un pays qui sera en voie de rattraper la Corée du Sud ou en voie de déliquescence pour se rapprocher du cas de la Somalie. Tout dépendra des décisions que l'on prendra dans les prochains jours. Les repères sont simples. Si le prochain plan vise à produire 2 millions de logement, 3000 km d'autoroute, 45 barrages, etc. nous allons droit vers la déchéance. Si on consacre 80% des ressources pour hisser le niveau des qualifications humaines, la recherche et développement, la modernisation managériale, la décentralisation vers les plans communaux et régionaux et la diversification de l'économie productive, nous serons en droit d'espérer l'émergence. Pour les experts en stratégie, le suspense est immense. Il est plus intense que des penalties tirés en finale d'une Coupe du monde.