Les commentaires les plus récents sur les politiques économiques menées depuis 2000 sont plutôt décourageants. Ils laissent perplexes. Economistes de renom et analystes publics décortiquent avec une légèreté déconcertante les décisions et les résultats obtenus ces dernières années. Non pas qu'un Etat ne peut pas se tromper même avec les meilleurs experts dont il dispose. Les USA viennent de connaître des déboires sans pareils et infliger au reste du monde une crise qui a laminé des pans industriels entiers et appauvri des millions de citoyens. Malgré leurs meilleurs experts et les outils super sophistiqués dont ils disposent (le fameux simulateur FRB-MIT), la libéralisation excessive des marchés financiers et l'influence du lobby financier sur les décideurs politiques ont produit la plus grande catastrophe économique, après celle de 1929. Que l'on fasse des erreurs de politique économique fait partie de la vie des nations. Aucune n'en est immune. Mais lorsque après avoir gaspillé d'énormes ressources on ne mesure pas les conséquences et on ne tire pas les leçons adéquates, nous serions en situation d'en faire d'autres plus graves encore. Nous avons fait de grossières erreurs de choix économiques. Je vais le montrer. L'absence d'une «institution cerveau» a été pour beaucoup. Mais il est navrant de constater que les conséquences sont minimisées et les leçons loin d'être apprises. On n'est donc pas vacciné contre un «remake». Qu'est-ce qu'on a raté ? J'ai écrit sur ce thème plusieurs fois, mais il est utile d'y revenir avec une nouvelle méthode. Peut-être pourrions mieux communiquer. Mes analyses comparatives m'ont permis de situer ce que l'on a raté. Considérons les choix de pays qui réussissent l'émergence. Trente ans auparavant, l'Inde avait des infrastructures dérisoires (moins bonnes que celles de l'Algérie en 1999). La violence politique de la décennie noire avait détruit moins de 1% des infrastructures, mais les outils de production furent plus dévastés. Le choix de l'Inde était clair : construire et moderniser son appareil de formation. Elle a pu propulser ses universités parmi les meilleures au monde dans des domaines spécifiques : informatique, pharmacie, électronique, ingénierie. La formation professionnelle a également été modernisée. L'Inde avait privilégié le développement qualitatif humain. Le développement purement quantitatif ne sert pas à grand-chose. On produirait des diplômés sociaux (il faut payer les entreprises pour les embaucher). Les infrastructures avaient reçu des dotations bien plus pauvres que celles consacrées au développement qualitatif. Résultat, une croissance de plus de 7% et l'émergence avec des exportations de services importants. Même scénario pour la Chine. Dans les années quatre-vingts, plus de 2000 nouvelles institutions de formations supérieures et professionnelles créées, jumelées avec les meilleures entités internationales avaient permis de recycler la majorité des personnels opérationnels (mairies, régions, entreprises, administrations, etc.). Le développement des infrastructures était modeste au début. Ce n'est qu'après la qualification des ressources humaines que plus de ressources ont été octroyées aux infrastructures. Dans l'ordonnancement des réformes, on a privilégié le développement qualitatif humain. Le résultat est là. On justifie l'injustifiable Si nos experts et décideurs disaient : «on a fait une erreur, nous allons faire les choses autrement» on serait optimiste. On admet qu'au lieu de consacrer 70% au développement humain et 30% aux infrastructures on a fait du «tout infrastructures». J'ai lu dans des analyses que l'on a consacré dans le dernier plan 45% des ressources au développement humain (construction de lycées, d'université, etc.). Ici, on fait la confusion entre matière grise et béton. Nous parlons de développement qualitatif, pas uniquement d'infrastructures de formation. Les économies de l'Inde et de la Chine ont, sans plan de relance, une croissance entre 7 et 9%. Si on cessait ces injections de ressources on aurait tout de suite une croissance zéro et un taux de chômage qui ira crescendo. Un expert rétorquait que si on n'avait pas fait de la relance par les infrastructures, on n'aurait pas eu la croissance tirée par les entreprises de construction. Mais où est le problème ? Si on privilégie le développement humain qualitatif, on aura une croissance tirée par les services de même grandeur. Le multiplicateur keynésien ou le théorème d'Havelmoo disent la même chose. La croissance aurait été la même. Mais on peut facilement induire en erreur les décideurs publics en leur disant que les infrastructures nous donneraient plus de croissance. Ce qui est faux. Les experts indiens et chinois n'ont pas fait cette erreur. Le résultat d'une dépense astronomique de presque 500 milliards de dollars est le suivant : nous avons une croissance moyenne ces dernières années de 3% avec 15 à 20% du PIB de ressources financières injectées chaque année. Ce qui implique que nous allons obtenir l'équivalent en infrastructures du tiers des ressources injectées, le gros est allé en restes à réaliser, malfaçons, revalorisations, pots-de-vin, etc. C'est ce qui arrive toujours lorsqu'on injecte beaucoup d'argent dans une économie où les ressources humaines sont sous-qualifiées et les entreprises et les administrations sous-gérées. Nous avons une économie peu préparée à gérer ses ressources. Il faut dépenser de l'argent pour la rendre efficace, puis relancer. L'inverse est toujours dévastateur. Faire des erreurs est normal. Le droit à l'erreur est consacré par les bonnes pratiques managériales. Il ne faut pas en avoir honte. Il faut par contre assumer et tirer les conséquences des mauvaises décisions prises. Nous sommes à la veille de faire des choix qui vont conditionner pour de nombreuses décennies notre pays. Si les récentes expériences sont mal lues, on risque de répéter l'erreur à un moment où les ressources vont devenir de plus en plus rares. Il est vital de consacrer un débat national sur les prochaines priorités à financer, et éviter les décisions au sein de sphères occultes qui nous ont produit ces dernières années de graves erreurs de diagnostics et de schémas thérapeutiques.