Le Fort de l'Emir Abdelkader, situé à Taza, est un monument chargé d'histoire. Imposant, il s'élève fier comme pour exprimer ce que ses pierres ont vécu. Actes héroïques et souffles révolutionnaires se dégagent de leurs poussières. Les planches des bibliothèques plient sous le poids des livres qui racontent les faits les plus marquants de l'histoire. Quelques esprits distingués ont jadis indiqué avec un grand talent les causes morales et politiques des grandes révolutions qui ont façonné le monde d'aujourd'hui. Mais qu'en est-il pour les méthodes utilisées par les grands hommes de guerre des temps passés ? Quelle était la raison de leurs choix stratégiques ? La postérité a besoin de le savoir et demandera également à connaître les ressorts profonds qui ont dirigé ces événements. Bouyahiaoui Azzedine, professeur d'archéologie islamique et chercheur à l'Institut d'archéologie de l'université d'Alger2 démontre l'intérêt des fouilles archéologiques pour faire jaillir au grand jour ce que le temps a enfoui. «Tous les sites historiques ont une valeur incommensurable. Il suffit de les contempler d'une manière objective. Ils sont l'unique empreinte qui pourrait raconter l'histoire de nos ancêtres et satisfaire la curiosité de nos descendants», instruit-il. Cet archéologue émérite mène depuis 12 ans une fouille sur le Fort de l'Emir Abdelkader installé jadis dans la ville de Taza, situé à 85 km de la wilaya de Tissemsilt. Ce monument constitue une image parfaite de l'ancien système défensif lors de la période de résistance contre l'occupation coloniale française. «Le site s'étend sur plus de 3 hectares. Or, le Fort de l'Emir Abdelkader représente un espace de 85 m sur 45 m. Cet endroit recèle encore bien des mystères», estime-t-il. D'après les livres historiques, en 1838, l'Emir donna l'ordre au calife de Miliana, Mohamed Benalla, de bâtir un bastion dans la ville de Taza. Selon les historiens, ce site a été le théâtre d'un événement crucial. Le 3 juillet 1839, l'Emir Abdelkader regroupa tous ses califes pour la tenue du Conseil de la Choura. Ce conseil a abouti à la décision de reprendre le Djihad contre la colonisation française et le rejet du Traité de la Tafna (1837), annoncé à Médéa en novembre 1839. Une ingéniosité militaire Ayant conscience de la perfidie de la force coloniale, l'Emir Abdelkader s'attela expressément à renforcer son arsenal de défense en érigeant un bastion à Taza. Mais pourquoi l'Emir avait-il choisi spécifiquement cette contrée pour bâtir le fort, étant donné que Taza est une région vallonnée ? En effet, il semble important de s'interroger sur les présupposés motifs de construction de ce fort. «Son choix pour Taza n'a pas été fortuit. Cela répondait en fait à des connaissances préalablement acquises sur la région grâce auxquelles il aurait jeté son dévolu sur cette terre. L'objectif principal de l'Emir sur ce plan était de décharger Tagdemt, capitale de l'Algérie du XIXe siècle», déclare Pr Bouyahiaoui. Il ajoute au même titre que le fort a été construit pour plusieurs raisons bien définies. Sur le plan topographique, l'Emir Abdelkader trouva qu'il était idéal de placer ce fort dans une région montagneuse et difficile d'accès. En effet, le fort se trouve en contrebas de deux montagnes très élevées (Echouen et Oum Rouss), alimentées par un cours d'eau. «Cet emplacement avait permis de protéger et couvrir ce fort. Ces montagnes ont été considérées comme un moyen ‘‘naturel'' de défense», révèle-t-il. En outre, le fort a été édifié pour des raisons purement stratégiques. «L'Emir a profité du traité de Tafna — signé en 1837 entre l'Emir Abdelkader et le général Bugeaud — pour essayer de défendre la partie de l'Algérie qui renfermait 4 régions : Tagdemt, Saïda, Taza et Boughar. Ces villes constituaient la troisième ligne défensive. Par ailleurs, le fort aurait empêché aussi la force coloniale de franchir cette zone et aller au-delà vers le sud», souligne-t-il, en ajoutant que l'Emir a voulu en plus assurer une logistique militaire. «Cette construction strictement militaire disposait de nombreuses installations : des ateliers pour la fabrication d'armes, des minoteries, une tannerie, des entrepôts, une prison, des étables», précise M. Bouyahiaoui. Bien que dans «l'article 7» du traité de Tafna il soit stipulé clairement que l'Emir a la faculté d'acheter en France la poudre, le soufre et les armes dont il aurait besoin, Abdelkader décide toutefois de fabriquer lui-même son arsenal. Ainsi, la zone était idéale pour une telle tâche qui nécessitait une protection importante. «L'Emir Abdelkader afficha une grande détermination pour exténuer et fragiliser l'armée française. Mais il avait également pour objectif de peupler cette région en transportant les populations du nord (Alger, Blida) tombé sous le joug de l'occupant vers Taza», avance le professeur d'archéologie islamique. Mais pourquoi l'Emir avait-il décidé de peupler cette région ? En effet, il semble que l'exode massif aurait livré à l'ennemi toute une ville vide. Ce qui se répercutait sur l'organisation de ses armées. Pour l'Emir, cette opération pouvait renforcer fermement sa ligne de défense. Sa stratégie a imposé à l'armée française plusieurs défaites humiliantes. En vainquant à maintes reprises l'ennemi, l'Emir est devenu une figure emblématique de grand guerrier. Cependant, peut-on aujourd'hui encore connaître parfaitement toute l'ingéniosité et la force des révolutions et des hommes qui les ont menées en dehors du domaine de la recherche historique ? Et leurs histoires peuvent-elles encore nous apporter davantage d'enseignements ? L'archéologie demeure la discipline la plus qualifiée pour pouvoir répondre à ces questions. Il reste à dire que les hommes qui ont marqué les temps anciens sont parvenus à élaborer une pensée critique et politique dont les résonances se prolongent jusqu'à aujourd'hui, et que ces héros des grandes batailles ont leur place dans les pages de l'histoire des hommes qui feront le monde de demain.