Avertissement Cette contribution ne doit surtout pas être comprise comme un déni de la grave crise politique qui secoue le pays et que personne n'oserait contester. Il s'agit simplement ici d'aborder le «problème algérien» à partir d'un autre angle qui pourrait revigorer un débat qui n'avance pas beaucoup et tourne même à la litanie. L'Algérie est toujours dans l'impasse politique Le régime autoritaire, ce régime dont le rapport gouvernants-gouvernés repose plus sur la force que sur la persuasion dans lequel le recrutement des dirigeants relève de la cooptation et non de la mise en concurrence électorale des candidats aux responsabilités publiques. Ce régime, donc, ne peut plus rien produire de positif. La crise affecte à présent l'Etat et ses institutions. Et ce qui complique encore plus la situation, c'est bien ce «voile hydrocarbures» qui agit comme un soporifique efficace pour une grande partie de la société et comme un «attire-mouche» pour ce qui nous sert de société politique prise dans des luttes de clans devenues aujourd'hui publiques. Toutes les propositions faites pour sortir de l'impasse appellent à une période de transition démocratique, mais «le diable étant dans le détail», l'examen de ces propositions révèle que l'on tourne en rond et que, en tout cas, pour tous ses défenseurs, cette transition sera longue, très longue, compte tenu de l'état léthargique et inconsistant de ce qui sert de société politique, la faiblesse des acteurs qui l'animent et leur incapacité à mobiliser la société. Que faire pour sortir du marasme ? En Algérie, l'économie a toujours été dissoute dans la politique. Et nombreux sont ceux qui pensent que cette économie ne reviendra à la vie que par la politique : le préalable à la croissance et au développement économiques ce sont des pratiques politiques modernes, délibérantes, démocratiques : tant qu'il n'y a pas tout cela, inutile de chercher à améliorer la situation économique. Tout se passe comme si l'économie n'existait pas en soi, n'a pas d'autonomie et n'aurait pas de logique propre de fonctionnement. Et, bien évidemment, il ne faut surtout pas s'aventurer dans des analyses d'économie pure : on vous taxerait de partisan de l'économisme. Quel gros mot ! Il n'y a de vie que de Politique ! Bien évidemment, cette habitude a fait la part belle à tous ces «marchands de politique» qui font florès chez nous. Et si c'était précisément leur ignorance des mécanismes économiques, des lois et règles de fonctionnement de l'économie et même des réalités économiques nationales qui les fait se réfugier, en masse, dans une sorte de nébuleuse politique où toutes les inepties sont permises et alimentent des mauvais et interminables combats de coqs qui ne sont d'aucune utilité pour la société ? Quel est le problème ? Une question a pris chez nous un statut de postulat sans qu'on ait pris le temps nécessaire d'y réfléchir sérieusement : l'opinion s'est répandue et s'est même ancrée dans les différents microcosmes selon laquelle aucun progrès économique ne peut être réalisé ni même envisagé si au préalable un certain nombre de conditions politiques ne sont pas réunies. Et quelles sont au juste ces conditions politiques ? Il n'y a malheureusement pas de réponse univoque à cette question. Pour les orthodoxes de la démocratie, seules des conditions de liberté politique sous toutes ses formes, des libertés de délibération, d'échange, d'expression d'une part, et des élections libres et transparentes d'autre part, permettent à l'économie de progresser. Pour un autre courant, pour réussir à afficher de belles performances, l'économie n'a pas besoin d'ouverture politique : on peut obtenir des taux de croissance économique significatifs et dans la durée sans être obligé de transférer le pouvoir de négociation et d'évaluation aux structures dites intermédiaires. Ces dernières ne feraient qu'alourdir et perturber le fonctionnement de la belle horloge de l'économie de marché. Les success stories de l'Asie du Sud-Est, de la Chine, de l'Inde, de l'Indonésie, de la Malaisie, de la Corée du Sud, au moins à leur début et dans un autre continent, celle du Chili, illustrent bien cette thèse. Et l'Algérie ? Dans le cas de l'Algérie, il ne s'agit surtout pas d'appeler à l'autoritarisme ni même au retour de l'étatisme, mais l'agenda économique ne peut pas, ne doit pas être assujetti à l'agenda politique. Nous pouvons, en l'état actuel de notre contexte national, faire progresser notre économie en gardant bien évidemment un œil vigilant sur les indispensables avancées démocratiques qui ne doivent jamais être ajournées et que nous devons réaliser, que les démocrates de ce pays doivent arracher. Et on sait que la démocratie ne s'octroie pas. Elle s'arrache ! Mais c'est là un autre combat qu'il faut bien sûr mener sans relâche en ayant présent à l'esprit tout de même que la construction d'un Etat démocratique et plus encore d'une société démocratique est, comme le montre l'histoire des démocraties occidentales, un combat de longue haleine et qui demande une détermination sans faille. Alors il ne s'agit surtout pas de faire d'un objectif à atteindre, la Démocratie, un préalable, un pré-requis à concrétiser qui serait indispensable au lancement d'un grand programme de développement économique. Il ne faut pas voir ici, de notre part, un quelconque déni de l'impératif démocratique, mais tout simplement un appel pressant à commencer à travailler sérieusement à regonfler la machine économique sans perdre de vue que la corruption, la rapine, les dilapidations des deniers publics doivent être combattues avec vigueur et là, l'Etat, un Etat moderne avec ses institutions efficaces peut et doit y veiller. Il nous faut donc réformer l'Etat, notamment dans le sens d'un meilleur contrôle des circuits de la dépense publique (et ici la Cour des comptes réhabilitée, renforcée et dotée de moyens nécessaires a un rôle éminent à jouer). Il faut aussi, dans le cadre de cette réforme de l'Etat, organiser une nouvelle distribution des pouvoirs entre le national et le local. Il nous faut même revoir la gouvernance économique actuelle, trop centralisée, trop étatiste et bureaucratique. La gestion de l'économie doit procéder d'un compromis permanent entre l'Etat, le patronat et les organisations syndicales (on dit bien les organisations syndicales et non, comme c'est le cas actuellement, le syndicat unique). Les orientations macroéconomiques, la politique des revenus ainsi que la politique de redistribution doivent être déterminées dans un cadre tripartite Etat-patronat-syndicats. D'un autre côté, la gestion de l'économie doit respecter deux priorités : 1) la production, 2) la négociation. Elle doit aussi fixer une ambition : la réduction des inégalités. Enfin, il faut tracer un cap : celui d'améliorer l'accès aux biens publics que sont l'éducation, la formation, la santé, le logement, la culture, le numérique. Une démocratie de négociation et non pas une démocratie de conflit La transition démocratique ne s'annonce pas, elle se réalise pierre par pierre. La transition démocratique ne peut pas se réaliser par big bang : l'heure des Grands Soirs est révolue. La transition démocratique n'a pas besoin d'être annoncée ; il faut la faire concrètement, sur le terrain, par touches successives, «step by step». Comment ? Chez nous, il faut commencer par multiplier les espaces de dialogue, de concertation, d'échange. La démocratie, dans notre contexte, doit avancer sur les deux jambes : le pluripartisme mais aussi la société civile. Et c'est même en direction de la société civile que les efforts doivent être les plus importants, car nous pensons que c'est par le mouvement associatif que le lien social sera rétabli et la cohésion sociale renforcée. L'Etatisme, cette idéologie algérienne par excellence, ne comprend pas que l'intérêt général peut aussi émaner aussi de l'activité d'entrepreneurs, d'associations toujours soupçonnés chez nous d'agir pour des intérêts particuliers, privés. La défiance de l'Etat et des responsables publics envers la société civile est un véritable obstacle au déploiement de l'immense force créatrice de mouvement associatif (cf Dominique Reynié in l'Etat et la société civile ne se comprennent plus). Il nous faut rappeler ici que nous avons connu, en Algérie, une période où l'implication des Algériens dans la gestion des affaires de la cité se faisait à travers les Conseils. L'expérience, parce que mal conçue et mal engagée, n'a pas été concluante mais a été surtout trop rapidement abandonnée. Il faut la reprendre dans une nouvelle conception et en corriger les aspects alourdissants et contreproductifs. Ces conseils doivent être dotés de moyens, composés d'une ressource humaine concernée et compétente, dotés de prérogatives et d'agenda de travail clairs. C'est au sein de ces conseils que se développera l'apprentissage de l'échange. Quels sont les espaces de délibération ? On peut en citer sept : 1- le conseil de l'éducation qui réunirait les représentants des enseignants, des directeurs d'établissement scolaire, des élèves, du ministère de l'Education nationale, des présidents d'APC… 2- le conseil de la jeunesse (mouvements associatifs des jeunes, APC, ministère, culture, associations sportives...) 3- le conseil de la santé (corps médical, paramédical, représentants des malades, directeurs d'établissement hospitalier, ministère, APC...) 4- le Conseil économique et social 5- la tripartite 6- le conseil supérieur de l'énergie 7- donner plus de prérogatives et d'autonomie aux assemblées locales élues, notamment les APC, et instituer la conférence annuelle des maires Ces espaces de délibération inclusifs vont, à n'en pas douter, oxygéner la vie sociale et même la vie politique algériennes. Ce serait la «petite touche algérienne» de la construction de la démocratie avec deux avantages immédiats au moins : 1- les Algériens, chacun dans son secteur, vont se sentir impliqués directement dans la vie du pays ; 2- le gouvernement bénéficiera de l'apport des avis et recommandations de ce formidable vivier de compétences, même si ces avis restent non exécutoires. Comme on peut le constater, il y a beaucoup à faire déjà dans ce domaine de la réforme de l'Etat. Mais c'est dans le domaine de l'économie que les urgences sont encore plus pressantes. Et on sait que l'économie n'attend pas. Dans ce domaine, qui n'avance pas recule. Et pour ne pas se tromper dans les choix de la politique économique, il y a d'abord à établir le bon diagnostic de la situation.