Par Abdelmadjid Bouzidi [email protected] Le monde arabe est toujours en pleine turbulence. La contestation ne doit pas grand-chose � l�islamisme qui nous avait habitu�s � �tre en t�te du mouvement cette derni�re d�cennie. Cette contestation populaire n�en reste pas moins violente et d�termin�e, occupant la rue, par d�finition tr�s difficile � g�rer. Les causes imm�diates de la r�volte ont �t� faciles � identifier par l�ensemble des observateurs et analystes : ici c�est la hausse des prix des produits de premi�re n�cessit� ; l� c�est le ch�mage de longue dur�e qui frappe la jeunesse, l� encore c�est la �chasse polici�re� aux �petits boulots� de survie pour les jeunes, il y a enfin aussi la �hogra� d�une bureaucratie d�Etat qui �crase tous ceux qui n�ont que �leurs yeux pour pleurer�. Mais toutes ces causes ne sont que des mises � feu de bombes qui ont �t� en fait fabriqu�es par des ann�es de gouvernance autoritariste pour ne pas dire autocratique de gestion patrimoniale des biens de l�Etat, de myopie et de surdit� aux souffrances de la soci�t� de la part des pouvoirs en place de la dilapidation de patrimoines publics et de corruption. Les peuples arabes ne se contentent plus, aujourd�hui, de revendications alimentaires ou d�am�lioration de leur pouvoir d�achat m�me s�ils souffrent toujours de ces probl�mes. Aujourd�hui, la contestation est de nature politique, et il faut insister sur ce point, encore une fois, sans le leadership islamiste. C�est le syst�me politique en �uvre depuis des d�cennies qui est rejet� par les peuples en r�volte qui semblent avoir bien compris que sans la d�mocratie, sans les libert�s publiques, ils n�obtiendront rien d�un r�gime politique pr�dateur et cleptomane. Plusieurs analystes ont mis en avant le r�le qu�auraient jou� les Occidentaux dans la chute du r�gime de Ben Ali et dans les fortes secousses qui ont produit le �d�gagement� de Moubarak. A la t�te de ces pays occidentaux, les USA qui auraient �une feuille de route� pour la r�gion Mena (Moyen-Orient et Afrique de Nord) et sa recomposition politique. Bien que cette appr�ciation ne soit pas totalement fausse, on ne peut pas laisser croire que les soul�vements populaires auxquels on a assist� seraient t�l�guid�s et r�pondraient � une commande des USA. Que ces derniers aient pris la juste mesure de ces �v�nements et de la col�re populaire uniques dans la r�gion et qu�ils y inscrivent leur nouvelle diplomatie, fort probablement. Mais ces contestations restent des ph�nom�nes internes, propres aux peuples de la r�gion. Et comme le disait le leader chinois Mao Tse Toung : �La cause externe ne joue que par l�interm�diaire de la cause interne. Appliqu�e � une pierre, une quantit� de chaleur ne produit rien. Appliqu�e � un �uf, elle donne un poussin.� Il faut bien relever que dans la liste des besoins fondamentaux � satisfaire, les peuples en r�volte ont aujourd�hui ajout� la d�mocratie qui �merge � pr�sent pour eux comme la cl� pour la r�sorption des autres souffrances (alimentation, sant�, pouvoir d�achat�). C�est en ayant droit � la parole, en ayant droit � de vraies �lections qui leur permettent de choisir leurs repr�sentants, en ayant droit au suivi, pour ne pas dire au contr�le des actions de ceux qui sont cens�s repr�senter leurs int�r�ts, que les peuples peuvent voir leurs �normes difficult�s se r�soudre progressivement. Tout cela, les rues arabes l�ont compris m�me si elles ne sont pas toujours capables de l�exprimer dans un langage de politologue ! Qui a donc dit que les jeunes des pays arabes ne sont capables que d�un �chahut de gamins� ? ! Les le�ons � tirer des soul�vements populaires de Tunisie et d�Egypte Bien que des analyses s�rieuses restent encore � faire, les soul�vements populaires de Tunisie et d�Egypte rappellent quelques acquis que la sociologie politique a permis d��tablir et sur lesquels il y a peu de r�serves. On peut en rappeler ici, au moins cinq : � 1) L�Etat qui sous l�emprise d�un homme veut g�rer seul par sa seule bureaucratie, la soci�t� verse in�vitablement dans le �tout-s�curitaire� qui produit les effets inverses de ceux qu�ils visent : a) fracture sociale b) d�sordre c) violence Le face-�-face bureaucratie d�Etat-population sans interm�diation institutionnalis�e d�bouche irr�m�diablement sur la rue. � 2) Un Etat fort est un Etat l�gitime qui a confiance en son peuple, qui s�appuie sur son peuple pour g�rer la soci�t�. C�est en faisant de chaque citoyen un membre actif de l�Etat en lui donnant acc�s aux fonctions et aux services qui l�int�ressent le plus, qu�on l�attachera le plus � l�ind�pendance du pays� Thomas Jefferson. Ce qui a fait tomber Saddam Hussein et son r�gime politique, c�est certes l�agression arm�e que lui a inflig�e Bush mais c�est aussi la d�saffection de son peuple vis-�-vis d�un r�gime pourri et sanguinaire qu�il a mis en place pour g�rer la soci�t� irakienne. Seul le peuple irakien aurait pu d�fendre l�Etat avec efficacit� si celui-ci �tait l�gitime. � 3) La gestion de la soci�t�, la gouvernance comme on dit aujourd�hui, ne peut pas se faire sans rupture en l�absence d�institutions fortes : syndicats, partis politiques, structures de r�gulation, mouvement associatif, qui remplissent l�importante fonction d�interm�diation entre les pouvoirs publics et la population dans ses diverses composantes. � 4) Les probl�mes politiques ne sont pas solubles dans l��conomie. Ils ont leur propre logique et doivent faire l�objet de traitement sp�cifique. La croissance �conomique elle-m�me se heurte t�t ou tard au d�ficit de d�mocratie, de d�lib�rations, de dialogue social. � 5) La d�mocratie est un besoin social fondamental. C�est l�Etat de droit et �le rem�de � une d�mocratie malade, c�est encore plus de d�mocratie� (Thomas Jefferson). Mais �la libert� des uns s�arr�te l� ou commence la libert� des autres�. Et l�Alg�rie dans tout cela ? Notre pays conna�t depuis quelques ann�es des col�res populaires, des contestations violentes, des �meutes dont les moins radicales ne sont certainement pas celles qu�on a connues en ce d�but d�ann�e avec la r�volte de la jeunesse qui a concern� toutes les r�gions du pays. Ces mouvements de contestation doivent �tre lus comme un r�v�lateur de probl�mes sociaux certes mais pas seulement. Ce sont aussi des r�v�lateurs d�une gestion politique de la soci�t� qui n�emporte nullement l�adh�sion des Alg�riens ni plus singuli�rement encore celle de la jeunesse. La col�re des Alg�riens est d�autant plus forte que le pays dispose d�un ensemble d�institutions en mesure d�assurer une transition d�mocratique pacifique. Pourquoi donc l�Etat g�le-t-il toutes ces institutions de d�lib�rations, de dialogue, de participation � la vie politique du pays ? Et qu�on ne nous sorte plus l��pouvantail de l�islamisme politique, les Alg�riens ont suffisamment pay� pour le r�duire consid�rablement et ont largement d�montr� qu�ils n�en voulaient pas ! Que constatons-nous ? 1) Le pluralisme syndical est reconnu dans le droit, refus� dans les faits. Il revitaniserait pourtant d�une mani�re bien utile le dialogue social, la d�mocratie sociale. 2) La tripartite est bien l� mais elle fonctionne comme appendice du gouvernement et ne d�lib�re dans les faits sur aucun dossier �conomique et social, la d�lib�ration �tant pourtant un lieu de confrontation des avis et de construction �labor�e de consensus, pourquoi ne pas l��largir � tous les syndicats et l�institutionnaliser ? 3) Le Conseil national �conomique et social existe, dispose d�un budget mais n�a toujours pas �t� renouvel� et ne re�oit pratiquement pas de saisine. L�urgence est � sa revitalisation car c�est l� une formidable tribune de d�lib�ration, d��changes, de d�bats, de r�flexion sur les questions �conomiques et sociales qui int�ressent la nation. Il faut rappeler que cette instance r�unit repr�sentants de l�Etat, syndicats, patronat, experts. Bel espace de fonctionnement d�une d�mocratie de n�gociation qui permettrait une application des politiques publiques plus consensuelles. 4) Les conseils de l��ducation, de la jeunesse, de l�information ont exist� et ont permis des d�bats sur des dossiers cruciaux, m�me s�ils avaient besoin d��tre dynamis�s et d��tre plus repr�sentatifs. Pourquoi les avoir supprim�s ? 5) Le Conseil national de l��nergie permet un �largissement de la r�flexion sur la politique �nerg�tique du pays, question cruciale s�il en est et donc d��viter les erreurs que pourrait commettre l�administration en charge du secteur. Pourquoi ne fonctionne-t-il pas ? Le mouvement associatif est reconnu l�galement. Il est r�glement�. Mais il fonctionne de mani�re anarchique, ne dispose pas de moyens, est laiss� � son propre sort et a une vie v�g�tative. Il y a pourtant l� un formidable outil d�aide � la soci�t� pour se prendre elle-m�me en charge, un outil de d�veloppement du civisme et de construction de la citoyennet�. Pourquoi donc toutes ces institutions ne se sont-elles pas r�veill�es, remises au travail, laiss�es fonctionner sans immixtion ? La r�vision de la Constitution que va prendre en charge la nouvelle APN est une occasion offerte pour corriger tout cela. Lib�rer la parole, refaire fonctionner les institutions existantes en les d�mocratisant, revitaliser soci�t� politique et soci�t� civile, avancer sur les deux jambes et engager s�rieusement avec d�termination la transition d�mocratique dans notre pays, une �d�mocratie forte�, comme la qualifie le politologue am�ricain Benjamin R. Barber, c�est-�-dire une d�mocratie enracin�e dans la soci�t� profonde. Oui, nous pouvons le faire en Alg�rie. Mais encore une fois, nous craignons fort que la montagne ne fera que nous renvoyer nos propres �chos ! Il faut alors bien mesurer le risque de faire de la transition d�mocratique, qui est in�luctable et qui est inscrite dans l�histoire, un processus violent et socialement co�teux.