LAlgérie ne deviendra jamais une puissance régionale qui jouera un rôle de pivot dans la région si l'armée continue à être la base sociale du pouvoir», affirme l'ancien chef de gouvernement, Mouloud Hamrouche. Intervenant lors d'une conférence-débat avec des acteurs de la société civile, dont des syndicalistes, des militants du mouvement associatif et des universitaires, organisée au siège du RAJ à Alger, il estime qu'il est temps d'entreprendre de nouvelles démarches pour sortir le pays de la zone de crise qu'il traverse depuis un quart de siècle. «On entend souvent dire que l'Algérie est un pays pivot et une puissance régionale. Elle ne le sera jamais si l'armée ne cesse pas d'être la base sociale du pouvoir. Une armée moderne suppose un Etat moderne, qui obéit à des règles universelles bien établies. Je ne suis pas en train de comploter contre l'armée. Mais je dis seulement que cette impasse est dangereuse. Il faut sortir de cette impasse. Cela fait un quart de siècle que le pays est en crise et que la violence s'est ancrée (…). Essayons une autre démarche», explique-t-il en réponse aux questions des participants. Cette nouvelle position n'est pas, selon lui, un reniement de celle qu'il avait exprimée avant la dernière élection présidentielle en appelant l'armée à jouer un rôle dans ce processus. Il explique son appel à l'institution militaire. Celui-ci, soutient-il, était justifié par plusieurs facteurs, dont «la situation régionale explosive et les craintes que le choix des hommes lors de la dernière présidentielle ne mènent à l'implosion de l'armée». «J'ai dit faites attention, car à cause du choix des hommes, nous allons faire imploser l'armée. Il fallait interpeller les consciences et rappeler que le militaire doit être loyal à la patrie et non pas aux hommes et que l'armée sert un Etat et ne peut pas être un outil entre les mains d'un groupe», précise-t-il. Ce faisant, Mouloud Hamrouche regrette la mise à la retraite des militaires «politisés» sous prétexte de la professionnalisation d'une institution «qui était pourtant professionnelle depuis l'indépendance». «Nous avons aujourd'hui une armée composée d'enfants algériens, dont la majorité est issue des couches sociales modestes. Ces jeunes ont une bonne formation, mais pas une bonne conscience politique. Et cela, je le considère comme un manque», souligne l'ex-militaire. Et d'ajouter : «Il y a eu des études sur le rôle de l'armée aux Etats-Unis dans les années 1960 et 1970. Des écoles ont conclu que dans les pays tribalisés, l'armée, du fait de sa formation, de son profil, de son fonctionnement et de l'accès à une forme de modernité, peut être une chance pour dépasser les clivages tribaux ; dans l'armée, on obéit au chef, au grade, à la discipline, à une organisation et non pas à sa tribu.» «Le système est un danger pour le pays» Revenant sur la nécessité de sortir le pays de l'impasse actuelle, l'orateur souligne d'emblée «l'échec des politiques appliquées jusque-là, dans lesquelles le citoyen n'a pas eu de place». «Le régime a travaillé pour lui-même ; ce fait de travailler pour le système a fait qu'il est aujourd'hui arrivé à ses limites : il n'arrive plus à se renouveler et à renouveler ses hommes. C'est lui qui menace le pays, ce ne sont pas les 40 millions d'Algériens», martèle-t-il. Mais comment envisage-t-il l'avenir ? Mouloud Hamrouche tente d'expliquer sa vision. Il émet ainsi des réserves sur «les appels à la transition». «Le terme transition signifie rupture avec le pouvoir en place. Mais la transition pose aussi des problèmes de leadership. On a besoin d'un renouveau», estime-t-il. Selon lui, il faut «militer d'abord pour le changement». Mais pas n'importe comment. «Faire le changement passe par deux types de procédure. Il y a l'effondrement et la grande révolte qui donnent naissance à un pouvoir qui émerge de la rue. Et cela n'est pas une solution. Les exemples ont montré que cela débouche sur un pouvoir plus dur qui celui qui était en place», argumente-t-il. Partant du constat que le pays n'est pas encore démocratique et qu'il y a toujours une faiblesse de la classe politique, qui n'arrive plus à parler à la société, il plaide pour une démarche «ordonnée et raisonnée» afin de réaliser l'objectif du changement. «Il faut changer par un processus raisonné, construit, et des solutions élaborées afin d'amener les gens, petit à petit, sur cette voie consistant à réorienter ce grand bateau qu'est l'Algérie. Il faut des doses calculées et éviter l'effondrement», soutient-il, arguant que «la société algérienne n'est pas au même niveau de maturité que celle de la Tunisie». «Nous, nous sommes restés une société de masse, composée d'individus», ajoute-t-il. Appelant à la construction d'un Etat qui ne devrait pas être confondu avec le pouvoir, Mouloud Hamrouche met en garde également contre les manœuvres du régime qui tente «de clore le débat sur le changement à travers les consultations sur la révision constitutionnelle». Il annonce, dans la foulée, qu'il a été invité par Ahmed Ouyahia à prendre part à ces consultations. «Je n'ai pas encore donné de réponse», nous a-t-il déclaré à l'issue de cette rencontre.