Jamais ministre de l'Education nationale n'a rencontré une aussi franche opposition dès son installation – pas nécessairement de l'intérieur de la famille de l'éducation mais de milieux bien identifiés de l'extérieur du secteur – comme l'est Mme Benghabrit Remaoune. Les tirs nourris et croisés émanant des milieux conservateurs visant ce cadre supérieur de l'éducation, qui a fait toutes ses classes dans ce secteur, ne sont pas pour surprendre. Pour qui connaît son riche parcours au sein de la famille de l'éducation, les valeurs et l'ambition qu'elle porte pour la refonte de l'école algérienne dans le sens de la performance et de l'ouverture sur le savoir universel mais aussi et surtout de la désidéologisation du contenu des programmes pédagogiques, sa nomination apparaissait presque comme une hérésie dans un pays où les forces conservatrices sont toujours aux commandes. Ceux qui ont fait appel aux services de Mme Benghabrit pour diriger ce secteur névralgique ont-ils fait une erreur de casting ? Quand on découvre les grandes lignes de son projet de réformes qui sont en totale rupture avec le système sclérosé de l'éducation en place et l'idéologie dominante au pouvoir, on ne peut que s'interroger si la nouvelle ministre de l'Education, qui semble vouloir tracer son sillon en dehors des sentiers battus, peut faire bouger les lignes d'un secteur dont l'enjeu est le projet sociétal de l'Algérie de demain. Passons sur les cris d'orfraie que l'on a entendus sur ses origines et qui ne méritent pas que l'on s'y attarde, tant la manœuvre paraît vile et méprisable ! On reproche sans sourciller à la ministre de l'Education le fait de s'exprimer dans la langue de Molière et de ne pas maîtriser la langue arabe. Quelle bonne blague ! Et ce n'est certainement pas un pur hasard si on trouve derrière cette campagne haineuse – qui privilégie l'invective au débat d'idées qui est la vocation de l'école – des forces rétrogrades qui se sentent pousser des ailes dans ce climat politique post-présidentiel dédié à la «réconciliation nationale» pour revenir à la charge sur le combat d'arrière-garde de la langue. Un combat qui est aujourd'hui dépassé à l'ère de la mondialisation. Les enjeux de l'école dans le monde d'aujourd'hui sont ailleurs. Ils sont dans la compétitivité des systèmes scolaires, dans les contenus pédagogiques de l'enseignement qui doivent être affranchis des luttes politiques et idéologiques. C'est dans ce combat pour une école de qualité, qui se réapproprie les valeurs du savoir et qui voit dans les référents identitaires un puissant marqueur de la réforme du système éducatif et de la cohésion nationale, que Mme Benghabrit entend puiser cette énergie nouvelle, dynamique, propre, qu'elle ambitionne d'injecter dans le secteur. Quand elle plaide pour que l'enseignement de la langue amazighe soit obligatoire et non plus facultatif, pour supprimer cette trouvaille toute algérienne du seuil des cours duquel sont tirées les épreuves des examens, quand elle dit vouloir se battre pour une école de qualité qui ne fait pas de la question de l'école obligatoire un dogme, son discours dérange forcément et peut même choquer. Elle incarne à la fois la thèse et l'antithèse qui ont cruellement manqué au débat sur le système éducatif, victime de la pensée unique qui a donné l'école sinistrée que nous connaissons.