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Médecine privée, médecine publique : le faux débat ! (1re partie)
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Publié dans El Watan le 15 - 06 - 2014

L'une des tentatives de réforme qui a fait récemment la une de la presse mondiale et déchaîné les passions est celle engagée par le président Obama aux USA. Cette réforme dont l'enjeu est l'accès aux soins de santé des Américains les plus démunis montre bien que la santé, y compris dans les pays les plus riches, reste un enjeu politique majeur.
Dans les pays du sud, dont nous sommes, les enjeux sont plus complexes pour deux raisons : la faiblesse des niveaux de financement et le télescopage de trois transitions en cours simultanément : démographique, avec comme corollaire le vieillissement de la population, épidémiologique avec l'augmentation en fréquence des maladies non transmissibles et démocratique avec l'accès à la santé représentant une des revendications majeures des populations en révolte lors du «printemps arabe». C'est ainsi que s'est imposée aux pouvoirs publics une réflexion en profondeur pour adapter les systèmes de santé aux défis à venir. L'Algérie n'échappe pas à cet impératif : jamais, depuis l'indépendance, nous n'avons autant débattu, voire plus souvent polémiqué, sur l'état qualifié de désastreux du système de santé national. Un des sujets qui revient souvent dans les discours est celui des rapports entre médecine publique et médecine libérale, trop souvent, hélas, en des termes polémiques, confus et peu constructifs. Qu'en est-il en réalité et que cache le procès qui est fait au système national de santé avec sur le banc des accusés, face à face, le secteur public et la médecine libérale ?
L'un des enjeux majeurs de toute réforme des politiques de santé est bien celui du financement. Le mode de financement, colonne vertébrale du système, définit par lui-même la nature idéologique du système de santé et situe clairement ses bénéficiaires. Comme on le verra, la part du PIB attribuée à la santé, la structure de ce budget et le mode d'affectation de la ressource établissent clairement l'idéologie qui préside à une politique de santé, la place de la santé dans la hiérarchie des priorités d'un gouvernement et définissent quel acteur est le plus heureux bénéficiaire de cette manne financière. C'est là, directement ou indirectement, que se jouent les enjeux sur la place du secteur public versus secteur privé et s'expliquent les empoignades entre professionnels de la santé du secteur public, ceux du secteur privé et ceux qui veulent se nourrir aux deux mamelles.
La santé, un concept évolutif
Trop souvent «santé» est rendue synonyme de «soins», ce qui est, bien sûr, faux et très réducteur.
Le concept «santé» a considérablement évolué depuis le XIXe siècle. Avant cette époque et du fait que, même en Europe, les maladies transmissibles étaient les plus prévalentes —dysenterie, tuberculose, peste et choléra en particulier—, la maladie était considérée comme une malédiction, une punition divine ou un acte de sorcellerie émanant des forces du mal. Le malade, porteur de la malédiction, était voué aux gémonies et chassé loin de sa communauté. Il était coupable d'être frappé de maladie pour avoir suscité la colère de Dieu ou l'action des mauvais esprits. Samuel Butler, écrivain anglais du 19e siècle, décrit bien cet état d'esprit dans son ouvrage satirique Erewhon (édité en 1872) dans lequel il est question d'un procès fait à un tuberculeux jugé par un tribunal au cours duquel le juge, sans détours, clame «Votre phtisie, qu'elle vienne ou non de votre faute, est en vous…Vous pouvez dire que c'est par infortune que vous êtes criminel ; moi, je vous réponds que votre crime, c'est d'être infortuné.» Etre en bonne santé, c'était avant tout se prémunir contre cette malédiction et… des malades !
Il faudra attendre les travaux de Pasteur au début du 19e siècle pour que cette perception du mal, de la maladie, du malade et de la santé commence à changer. La notion de maladie a changé parce que, d'abord, le progrès de la science en général et de la médecine en particulier a permis d'en saisir la cause et d'en trouver progressivement le remède. Le malade n'est plus un «pestiféré» et la maladie n'est plus une calamité divine. La notion de santé, décrite d'abord comme l'absence de maladie, va très vite évoluer. La mutation de ce concept va s'accélérer lorsqu'il se confond avec celui, plus politique, de protection sociale et son pendant : la solidarité nationale. La révolution viendra d'Allemagne en 1870, sous Bismarck, avec l'invention de l'assurance maladie qui s'est construite sur les notions très politiques d'équité et de solidarité ; équité, dans le sens où tout citoyen doit avoir accès aux mêmes soins quel que soit son rang social, solidarité dans le sens où le plus fort aide le plus faible et le plus riche paye pour le plus pauvre.
Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la notion de santé va encore progresser en même temps que se généralisent dans les démocraties occidentales les systèmes de protection sociale.
Ainsi sera redéfini le concept «santé» qui n'est plus l'absence seule de maladie ou d'une infirmité, mais «un état complet de bien être physique, mental et social» tel que l'énonce la Conférence internationale sur la santé, tenue à New York en juin 1946. L'ajout du terme «social» bouleverse la compréhension que nous avions de ce concept en considérant que plusieurs facteurs sociaux (éducation, environnement, accès à l'eau potable et à la communication, sécurité, logement, etc.) sont des éléments indispensables à l'établissement et au maintien d'une bonne santé !
Cette définition sera renforcée par la charte d'Ottawa proclamée en 1986 qui propose une définition plus positive et plus large de la santé ne comprenant, encore une fois, pas seulement l'absence de maladie, mais participe au bien-être des populations par une action transversale impliquant l'ensemble des secteurs de la vie sociale et recherchant une plus grande égalité. C'est sur ces bases que l'Organisation mondiale de la santé a consacré la santé comme un droit fondamental de l'homme.
Le service public
C'est également après la Deuxième Guerre mondiale que s'est développée la notion de service public. Cette notion va se renforcer pendant les Trente Glorieuses, c'est-à-dire les trois décennies très prospères qui ont suivi la guerre dans les démocraties occidentales. C'est d'abord au Royaume-Uni, puis en France, que va se développer ce concept qui a pour mission de répondre à des besoins d'intérêt général et dont l'utilité est d'importance dans le maintien de la cohésion sociale. Il en est ainsi de l'éducation, de la santé, des transports, de l'énergie (électricité, gaz), de l'eau potable et des services de sécurité…
Dans sa définition, un service public doit répondre à quatre critères : la mutabilité (capacité d'adaptation aux conditions et aux besoins), l'égalité (dans l'accès et dans les tarifs), la continuité (dans le temps) et l'universalité (distribution équivalente dans un territoire). Si certains de ces services publics relèvent de la souveraineté de l'Etat (activités dites régaliennes comme la justice, la police, la défense nationale ou les finances publiques), il n'en est pas de même pour les autres activités telles que le transport, la santé ou l'éducation qui peuvent être assurés par des institutions ou des entreprises privées.
Malheureusement, il y a encore chez nous, y compris parfois dans le discours politique, une confusion entre service public et secteur public : le secteur public relève de l'Etat et assure un service public, lequel service public peut aussi bien être assuré par le secteur privé. C'est le cas, par exemple, du transport, de l'école ou de la santé. La contrainte est pour tous : répondre aux quatre critères définissant le service public et répondre au même cahier des charges défini par l'autorité publique. L'Etat, protecteur de l'intérêt des citoyens, est en charge de faire respecter ce cahier des charges par tout organisme public ou privé selon les modalités définies par la loi.
Pour revenir au problème particulier de la santé, qui est le service public par excellence, il est partout dans le monde, y compris à présent dans les pays de l'ancienne URSS, servi aussi bien par des institutions privées que publiques. Il appartient à l'Etat, à travers les lois régissant la santé et la protection sociale, de définir les conditions de cette activité de manière à en faire bénéficier l'usager qui est le centre d'intérêt principal de tout le système de santé. L'essentiel est que la même qualité de service soit produite dans les deux secteurs, selon les mêmes normes, le même tarif et le même conventionnement avec le système d'assurance.
Le «cœur du réacteur», objet du conflit : le financement du système de santé
Le dicton dit bien que la santé n'a pas de prix mais elle a un coût et ce coût est de plus en plus élevé ! Le système de financement est la colonne vertébrale des politiques sanitaires, il se mesure essentiellement par la dépense globale de santé (DGS) qui est l'addition de ce que dépensent l'Etat par le biais du Trésor public, les assurances de santé et les usagers eux-mêmes, soit par leurs cotisations auprès d'assurances privées ou, plus souvent, à travers toutes les dépenses payées directement et non remboursées par les assurances : cela peut aller des soins prodigués dans le secteur privé non conventionné jusqu'à l'auto-médication ou les dépenses liées au transport ou aux divers produits fournis, par exemple, à l'hôpital pour un malade hospitalisé (lingerie, nourriture, médicaments…).
La somme ainsi évaluée est rapportée à la richesse nationale, c'est-à-dire au produit intérieur brut (PIB), on classe ainsi les dépenses de santé par pays en fonction du pourcentage du PIB accordé à la DGS. En Algérie, il varie entre 4 et 5% du PIB, dans les pays de l'OCDE il est supérieur à 10% (12% en France par exemple), aux USA, il aurait dépassé les 16%. Ce calcul permet donc de savoir quelle est la part de sa richesse qu'une communauté réserve à la santé. Mais beaucoup plus que le calcul brut de la DGS, c'est la structure de celle-ci qui renseigne mieux sur la façon dont cette cagnotte est gérée par les politiques de santé, aux dépens de qui et au profit de qui d'autre.
La structure de la DGS est sa décomposition entre les parts émanant de l'Etat, des assurances sociales et des ménages. Les économistes de santé s'accordent à répéter qu'un bon système de financement ne devrait pas être inférieur à 10% du PIB et provenir au moins à 80% des budgets de l'Etat et de la sécurité sociale, la part de ménage ne devant pas excéder 20%. Comme on va le voir, ces calculs sont le meilleur indicateur de la nature idéologique d'un système de santé. L'autre analyse importante du financement du système de santé concerne l'allocation de cette ressources aux différents producteurs de services : le secteur public, le secteur libéral de soins et… l'industrie pharmaceutique. En effet, la DGS est la seule source de financement de tous les actes de prévention et de soins qu'ils soient produits par le secteur public ou par le secteur libéral. (À suivre)


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