La première chose que l'on remarque en arrivant à Aït Laâziz, à 12 km au nord-est de Bouira, c'est l'absence totale de panneaux : le siège de l'APC, le bureau de poste, le centre de santé, les écoles, etc. en sont complètement dépourvus. Ici, pour aller vers l'un ou l'autre de ces services publics, on est obligé de demander son chemin au premier venu. C'est ainsi que pour s'être fiée aux renseignements vagues d'un informateur obligeant une jeune personne étrangère à la commune qui cherchait à se rendre au siège de l'APC s'est retrouvée à la poste. Celle-ci comporte bien une inscription sur son fronton, mais elle est à demi-effacée ; et de toute façon pour pouvoir la remarquer, il faut venir de l'est par un sentier de chèvre. Ici, à Aït Laâziz, le moindre déplacement exige de bons jarrets et un cœur bien accroché, car on est en pleine montagne et les 33 hameaux ou villages qui sont éparpillés à travers la commune sont tous situés en montagne. 50 % de chômeurs « Aït Laâziz est un village-dortoir ». La formule est du président de l'APC, qui nous reçoit dans son bureau. Elle résume parfaitement la situation au plan socioprofessionnel : les gens se lèvent le matin pour se rendre à leur travail à Bouira et ne rentrent que le soir pour dormir. Les jeunes chômeurs qui représentent plus de 50 % de la population active, selon l'estimation de ce responsable, les imitent dans leur déplacement. Ici, comme un peu partout, les jeunes souffrent de deux problèmes : le chômage et l'absence d'une aire de jeux. L'ancien P/APC voulait doter la commune d'un stade, mais son projet est tombé à l'eau à cause des fonds énormes que nécessite une telle réalisation, du moment que tous les terrains sont en pente raide.Pourtant, les jeunes y tiennent comme à la prunelle de leurs yeux. Pendant notre entretien avec certains d'entre eux, la construction d'un stade semble venir en premier lieu dans leurs préoccupations quotidiennes. La commune fait d'ailleurs face à un problème de taille : l'absence de portefeuille foncier. La commune s'étale sur une superficie de 140 km2, mais celle-ci n'en détient que la plus infime partie. Le reste est privé. C'est d'ailleurs fort heureux qu'elle ait réalisé 20 logements sociaux (distribués) et 70 logements évolutifs (également distribués). L'on note aussi que 30 logements sont en voie d'achèvement et 50 en cours de réalisation. L'APC a également réalisé un CEM dont le bloc pédagogique est fini à 90 %, selon l'élu FFS. Ce projet tendrait à réparer l'erreur faite en 1987, lorsqu'il a été décidé de la construction d'un CEM à Maâla, un petit village à 5 ou 6 km du chef-lieu de commune. « Beaucoup d'élèves d'ici préfèrent se rendre dans d'autres CEM à Bouira », selon un citoyen. Ils boycottent donc le CEM de Maâla comme ils le feront certainement si l'inscription d'un lycée à Aït Laâziz suit un autre chemin. Le P/APC est personnellement favorable à son implantation à Maâla, mais la population qui a l'appui de la direction de l'éducation y est farouchement opposée. L'argument mis en avant par le responsable de la commune ne tient pas debout face à la réalité concrète du terrain : « Je tiens à préserver les bonnes terres. » De quelles bonnes terres s'agit-il quand tout est en pente abrupte ? En outre, selon certains citoyens, nombre de propriétaires seraient prêts à faire don du terrain pour accueillir le projet au niveau du chef-lieu de commune. Selon ce responsable, Aït Laâzib jouit d'une bonne couverture sanitaire dans la mesure où la commune dispose d'un centre de santé et de trois médecins et d'un dentiste privés. Visité ce mercredi matin, le centre, en dehors d'un infirmer qui dispense des soins élémentaires, est vide ; le dentiste est absent et le médecin qui devrait remplacer son confrère parti en congé n'a pu se présenter ce jour-là. Mouvement citoyen Sachons que cette commune de 14 103 habitants avait dès le déclenchement des émeutes de Kabylie compté au sein du mouvement citoyen. Beaucoup ont encore en mémoire la radicalisation du comité citoyen de cette commune par rapport aux revendications portées par le mouvement de Kabylie.Cette radicalisation s'est déjà exprimée par le rejet absolu des élections. Celles du 31 mai 2002 se sont soldées par la destruction des urnes, du siège d'APC et du parc, en y mettant le feu. Les élections locales du 10 octobre 2002 ont donné lieu aux mêmes scènes de violence qui ont fait cinq blessés parmi les manifestants. Aujourd'hui, avec l'annonce du dialogue avec le gouvernement, le calme semble installé pour toujours, mais il suffit, semble-t-il, d'une étincelle pour provoquer une explosion, tant le mécontentement est visible chez les jeunes désœuvrés, sans parler de la frustration née des revendications de la plate-forme qui restent lettre morte. Curieusement, cette commune qui a été miraculeusement épargnée par le terrorisme a été balayée comme par un ouragan par les émeutes du mouvement citoyen. On comprend que le courant passe très peu entre les jeunes qui se considèrent partie prenante de ce mouvement de revendication socioculturel et un P/APC, considéré comme un « indu élu » par l'ensemble des jeunes révoltés. La preuve en est que lorsqu'il a été interrogé sur les événements ayant marqué ces deux dates phares - le 31 mai et le 10 octobre 2002 - le P/APC a passé volontairement sous silence la dernière, celle où le FFS a décidé brusquement de se lancer dans la mêlée électorale locale. Par ailleurs, le conflit qui l'a opposé au médecin et au dentiste privés relève-t-il de la même politique trouble qu'on lui impute à tort ou à raison et qui tenterait d'éloigner de la population tout progrès scientifique et technique ? Le médecin et le dentiste reconnaissent que leurs relations avec le P/APC ont été difficiles au début. Il a cherché d'abord à résilier le bail de leurs locaux, mais n'ayant pas réussi, leurs relations se sont ensuite normalisées. La même hostilité se serait déjà manifestée à l'égard de deux pharmaciens qui auraient manifesté leur désir de s'établir à Aït Laâziz avant que, découragés, ils ne renoncent à leur projet, selon d'autres citoyens.