« Pour prédire la note d'un candidat à un examen mieux vaut connaître son examinateur que le candidat lui-même. » H. Pieron L'histoire de l'école universelle a de tout temps opposé les partisans de l'évaluation continue et de la promotion automatique des élèves à ceux qui prônent la sélection par les examens de passage dès le primaire. C'est en France que ces derniers ont trouvé leur terrain de prédilection avec comme argument essentiel : le renforcement de l'idéologie de l'Etat nation. Les promoteurs de cette orientation strictement idéologique se recrutaient parmi les zélés pédagogues officiels que l'on qualifiait à l'époque — vers la fin du XIXe et au début du XXe siècle — de « soldats de la République ». Félix Pécaut l'un des plus célèbres d'entre eux — il fut de la promotion des premiers directeurs d'Ecoles normales en France — écrivait en 1882 : « Les examens sont une des sortes de plantes qui s'acclimatent le mieux sur le sol de la France. Beaucoup s'en plaignent, qui, l'occasion venue, n'oseraient prendre sur eux d'y porter la main. En effet, l'examen est une institution qui, à côté de maints inconvénients, présente des avantages auxquels un homme de sens ne saurait renoncer. Il (l'examen) n'est peut-être pas sans correspondre à certaines dispositions de l'esprit français. Quoi qu'il en soit, il apparaît comme une véritable nécessité dans un grand Etat fortement centralisé. » La lecture de ce plaidoyer en faveur des examens scolaires de sélection ne mentionne nullement un quelconque impact pédagogique — même pas l'ombre d'un fondement scientifique. Les romantiques de la Révolution de 1789 croyaient naïvement que ces examens à répétition s'inscrivaient dans l'idéal égalitaire de leur mouvement. On ne peut les en blâmer, vu leur conviction de départ qui consistait à mettre fin à l'hérédité et à la vénalité des charges, un des fondements de la noblesse jacobine. Des pédagogues de génie dont Célestin Freinet, le père des méthodes actives, s'inscrivaient en porte-à-faux contre un tel système élitiste. Ces hommes de progrès militaient pour une pédagogie de « la réussite pour tous » à l'instar de ce qui se fait dans les pays anglo-saxons où la sélection rigoureuse — mais juste et légitime — n'est mise en route qu'à partir de la première année de l'université. Le piège des notes /sanctions Il serait utile pour les Algériens de s'intéresser au fonctionnement et surtout aux modalités d'accès aux universités de ces pays. Cela ne signifie pas que chez eux, le laxisme et la permissivité servent de moteur à l'action pédagogique au primaire et au secondaire. Bien au contraire, les méthodes d'enseignement et d'évaluation ainsi que les programmes et l'organisation d'ensemble du système scolaire se nourrissent des principes de base de l'éducation universelle et des droits de l'homme : égalité des chances et des possibilités, respect de l'élève en tant qu'individualité unique, pédagogie différenciée, dépistage et détection précoce des handicaps et des dons. Dans ces pays à forte option décentralisatrice et à la pratique démocratique avérée, les élèves ne connaissent pas le stress et l'angoisse des examens à répétition. Les Algériens exilés dans ces contrées et qui reviennent en vacance au pays nous ramènent des témoignages instructifs. Telle cette mère choquée par les scènes algéroises de liesse et de tristesse au lendemain des proclamations des résultats de fin d'année. Elle affirme qu'au Québec les compositions et les autres épreuves d'évaluation sont vécues et par les parents et par les élèves dans un climat des plus sereins sans stress ni panique. Le plus normalement du monde. Les notes sur les bulletins sont toujours accompagnées d'appréciations précises liées à l'observation régulière et permanente de l'élève par ses enseignants. Ce qui n'est pas le cas en Algérie où le vieux rituel de l'école coloniale continue à façonner les mœurs scolaires : des notes froides et sèches avec les mêmes commentaires que ceux du temps de Jules Ferry. D'ailleurs, les enseignants consciencieux se plaignent que sur les bulletins, les cases affectées aux appréciations soient minuscules — juste la place pour écrire les mentions laconiques de « bien, mauvais ou passable ». Au secours des partisans de l'évaluation continue et formative, il y a eu le formidable travail de fond réalisé vers les années 1920 par Henri Piéron, le fondateur de la docimologie ( science qui désigne l'étude systématique des examens scolaires). Sa célèbre phrase est restée gravée dans la littérature de la pédagogie universelle : « Pour prédire la note d'un candidat à un examen, mieux vaut connaître son examinateur que le candidat lui-même. » Dans son sillage, d'innombrables études menées à travers le monde aboutissent à la même conclusion : les notes des examens sont loin d'être fiables. Plusieurs facteurs sont à l'origine des fluctuations de la même note sur le même devoir donné à un même élève. Il ne s'agit pas ici d'analyser les énormes divergences entre les correcteurs. Nous nous contenterons de poser la question-clé : comment faire pour qu'une note d'examen soit fiable ? La réponse est assommante. Pour obtenir la vraie note dans une copie de mathématiques, les docimologues disent qu'il faut mobiliser pas moins de 78 correcteurs ; en physique, c'est 95 correcteurs ; en philosophie, c'est pas moins de 762 ; en français (en langue d'enseignement), 468 correcteurs. Ces chiffres émanent de laboratoires scientifiques sont validés. Ils parlent vrai et ne sont sujets à aucune manipulation. Que nous enseignent-ils ? Les examens scolaires à des fins de sélection, cette invention jacobine de la France coloniale (ils en sont revenus depuis la révolution culturelle de Mai 68), sont frappés d'arbitraire et d'injustice. Des solutions de rechange existent. Elles ne sont pas celles utilisées chez nous. La double ou la triple correction assortie d'un pactole en monnaie sonnante et trébuchante — en pleine chaleur de juillet — ne favorise pas la justesse et l'équité par la correction. Loin s'en faut ! Que dire alors d'un barème de correction où les enseignants sont invités à jouer de l'élastique pour ne pas pénaliser le candidat ou bien des épreuves concoctées en fonction d'un résultat escompté pour acheter la paix sociale et flatter l'ego des décideurs ? Il est grand temps d'arrêter la mascarade et de placer nos élèves et nos enseignants dans les conditions où leur énergie et leurs potentialités puissent s'épanouir. Le retour aux vieilles recettes napoléoniennes — c'est Napoléon qui institua les examens de passage au XIXe siècle — n'augure rien de bon. L'image de Mai 68 qui a enflammé la patrie des examens scolaires de sélection (certificat d'études primaires, 6e, brevet et bac) doit être méditée. N'y a-t-il que le modèle vétuste de la France jacobine qui convienne aux Algériens ? Pourquoi ne pas réfléchir au bonheur des enfants de Finlande (et d'autres pays) et y faire accéder les nôtres ? Cela nous coûtera moins cher en argent et à la clé des résultats meilleurs. L'éducation scolaire a connu d'énormes progrès depuis que la psychologie a intégré l'institution en harmonie avec la pédagogie. L'échec scolaire n'est pas inscrit dans les gènes de l'individu qui naît. Ce fléau est généré par la sélection inventée par les idéologues, via l'argent, le milieu socioculturel et les examens à répétition. Même les enfants handicapés — pas tous — lorsqu'ils sont bien pris en charge par l'éducation spécialisée sont éligibles à la réussite scolaire. C'est dire si les autres dits normaux ne le sont pas ? Toutefois, les esprits incultes en culture scolaire ne peuvent pas comprendre ces bouleversements de la pédagogie universelle et que viennent renforcer les NTICS. Nous demeurons figés au souvenir de ce que nous croyons être la panacée : le cérémonial des examens/tribunaux cher à la France coloniale. Bourdieu ce grand ami de l'Algérie grand analyste du système élitiste français doit se retourner dans sa tombe en apprenant que les « héritiers » reviennent... en Algérie.