Par ses contours mouvants et le manque d'indicateurs fiables et actualisés, le monde du cinéma et de l'audiovisuel dans notre pays demeure une nébuleuse, plus sujette aux approximations qu'aux données. Au demeurant, la carence statistique n'est pas propre à ce secteur et explique, par bien des façons, que la gestion ressemble souvent à une navigation à courte vue. Ainsi, petit et grand écrans se voient privés d'un éclairage adéquat, les débats à leur propos évoluant dans la plus parfaite des confusions, souvent au bénéfice de celui qui en dit le plus, le plus fort et le plus souvent. C'est donc avec intérêt que l'on peut accueillir la publication de la Monographie Algérie incluse dans le Projet de collectes de données statistiques sur les marchés cinématographiques et audiovisuels dans neuf pays méditerranéens (Algérie, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Libye, Maroc, Palestine et Tunisie). Ce travail d'envergure parvient à sa conclusion bien que trois des monographies, prévues (Israël, Libye et Tunisie) n'aient pas été réalisées. Le projet, conduit par le programme Euromed Audiovisuel et financé par l'Union européenne, a été supervisé par l'Observatoire européen de l'audiovisuel. Ce travail a été confié à Sahar Ali, experte égyptienne/canadienne (lire encadré page suivante) sous la supervision d'André Lange, responsable du Département informations sur les marchés et financements de l'Observatoire européen de l'audiovisuel. Le résultat est particulièrement intéressant, du moins pour ce qui concerne la Monographie Algérie, un document de 137 pages achevé fin mars 2014. L'étude fournit quelques données de base sur l'Algérie et ses relations avec l'Europe, de même que sur l'adhésion du pays aux organisations internationales audiovisuelles. Elle présente ensuite l'état de développement des infrastructures de télécommunication avec un aperçu du marché (téléphonie fixe, mobile et internet à large bande). La distribution des services audiovisuels est abordée à travers l'opérateur TDA (Télédiffusion Algérie) qui dispose d'un monopole couvrant «tous services de communication audiovisuelle, notamment de diffusion, de transmission et de réception, en Algérie, de et vers l'étranger». On apprend qu'en 2010, l'Algérie comptait près de 6 millions de foyers TV, selon l'opérateur satellite Eutelsat. Avec un réseau de 43 émetteurs et 400 réémetteurs, TDA s'est attachée à réduire les zones d'ombre du vaste territoire que constitue l'Algérie. L'opérateur agit autant à travers la télévision numérique terrestre que la télévision par satellite. Toujours selon Eutelsat, 97,3% des foyers TV algériens sont dotés de paraboles, soit la quasi-totalité. Le document se penche ensuite sur le cadre réglementaire de la télévision (ministère de la communication et établissements sous tutelles) ainsi que sur le dispositif juridique (Loi 2014 sur l'activité audiovisuelle et Loi 2012 sur l'information) affirmant notamment avec optimisme : «En dépit de la polémique et des vives critiques qu'a suscité cette loi auprès des professionnels de l'audiovisuel, l'adoption de la loi sur l'activité audiovisuelle constitue un pas en avant sur la voie de l'ouverture irrémédiable du secteur audiovisuel et de sa libéralisation». Il est signalé que l'Algérie est le premier pays du Maghreb à avoir adopté une telle loi par voie parlementaire. Le chapitre sur le paysage télévisuel présente, en premier lieu, l'ENTV (Entreprise nationale de TV) devenue, en 1991, l'EPTV, avec un statut d'EPIC (Entreprise publique à caractère industriel et commercial). L'étude fournit, pour l'année 2012, les sources et montants de financement de la télévision publique : plus de 9,2 milliards DA de contributions de l'Etat, plus de 968 millions DA de redevances payées par les usagers, et plus de 1,9 milliard DA en ressources propres (publicité, droits de diffusion et prestations diverses). Ce financement représente un montant global proche de 115 millions d'euros. Au cours des années 2010-2014, l'investissement au titre du plan directeur pour la transition numérique a mobilisé plus de 17 400 millions DA. A travers ses structures et cinq chaînes, l'EPTV emploie 3494 personnes dont 715 journalistes. Ses programmes sont à 67,4% nationaux, 26,8% arabes et 5,7% «occidentaux». Elle réalise plus de 95% de ses programmes et ne délègue que 4,9% en production exécutive (2012) bien que cette dernière proportion ait augmenté par rapport à 2011 où elle ne représentait que 1,6%. Des tableaux détaillés fournissent les types et genres de programmes diffusés. Signalons que toutes ces données sont tirées d'un rapport de l'EPTV. Le document présente ensuite, de manière synthétique, les nouvelles chaînes privées de télévision (31 en 2013) qui continuent à disposer d'un «statut de sociétés de droit étranger (off-shore)» en attendant la mise en vigueur de la loi 2014 sur l'audiovisuel. On sent bien, pour cette partie, que l'experte en charge a peiné à réunir des informations, au point qu'elle n'a pu disposer que du financement d'une seule, El Djazaïria TV, dont l'investissement a coûté 6 millions de dollars US. La mesure d'audience s'appuie sur les seules enquêtes disponibles réalisées par Immar Research & Consultancy et Média & Survey. Ce dernier sondeur a établi qu'en 2013, les parts d'audience se répartissaient en 54,9% pour les chaînes étrangères, 23,5% pour les chaînes privées réunies et 19,8% pour l'EPTV. Cette partie audiovisuelle se termine sur la publicité, les services audiovisuels à la demande, les sites de partage vidéo, etc. On apprend qu'en 2014, le premier site algérien est le site d'annonces ouedkniss.com qui vient en 5e position derrière Facebook, Google.dz, Youtube et Google.com auprès des internautes algériens. Le marché du cinéma est abordé par une synthèse historique du cinéma algérien de ses origines à l'émergence récente d'une nouvelle génération de cinéastes où les femmes prennent une part active. Une chronologie des structures du cinéma algérien permet de parcourir rapidement les modes de gestion de ce secteur depuis 1957, année de création dans les maquis de l'ALN d'une école de cinéma dirigée par René Vautier. Suit l'inventaire précis des textes légaux et réglementaires de 1968 à 2012. L'étude s'attache aux missions et actions du ministère de la Culture ainsi qu'à ses structures rattachées : le Centre algérien de la cinématographie (CAC) ou Cinémathèque algérienne, le Centre national de la cinématographie et de l'audiovisuel (CNCA) et, enfin, le Fonds de développement de l'art, de la technique et de l'industrie cinématographiques (FDATIC), lequel a subventionné la production, entre 2007 et 2013, à hauteur de 915,5 millions DA, soit 8,6 millions d'euros. Un graphique permet de constater que ce montant a permis de financer 37 longs métrages, 21 documentaires, 15 courts métrages et 25 coproductions. Le document fournit, en outre, la liste détaillée de ces films, leurs producteurs et auteurs ainsi que les montants alloués. Le rôle de l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC) en matière de promotion et de production cinématographiques fait l'objet d'un chapitre particulier relevant qu'au milieu de l'année 2013, cette EPIC avait déjà soutenu 78 films dont 42 courts métrages. La liste des sociétés de production fournie comprend 43 entreprises mais il s'agit de celles en rapport avec l'AARC car il en manque plusieurs comme nous avons pu le constater. Le parc des salles est abordé d'un point de vue historique. Des données du ministère de la Culture établies, en 2013, précisent que sur les 458 salles existant après 1962, il n'en reste que 358 dont 91 «en état de fonctionnement». Une soixantaine appartient au secteur de la culture (15 opérationnelles et les autres en cours de travaux ou d'études). On compte 232 salles relevant des APC (72 % du parc total) et 26 relevant de particuliers ou d'autres institutions (8%). La question de la distribution est aussi abordée à travers les opérateurs. Au nombre de 50 disposant d'un agrément en la matière, seule une poignée active plus ou moins. La filière affiche ainsi un «constat sévère» et le qualificatif est sans doute faible au regard du potentiel et des attentes. Concernant la coproduction, 34 projets ont été réalisés entre 2006 et 2013. Des tableaux indiquent les répartitions fictions/documentaires, les pays de coproduction et leurs zones géographiques (l'Europe et notamment la France demeurant dominantes), enfin, la liste des films concernés. Un tableau fournit les entrées des films algériens en Europe entre 1996 et 2013. Une quarantaine de films, dont de très anciens, comme La Bataille d'Alger (1965) ont été vus par près de six millions de spectateurs. L'amplitude va de Indigènes (Bouchareb, 2006) avec plus de 3 millions d'entrées à Kedach ethabni (F. Z. Zamoum, 2011) avec seulement 9 entrées, les répartitions dépendant aussi des budgets et de l'effort de promotion, la présence de coproducteurs européens importants étant décisive. Il est remarquable que de telles données ne soient pas disponibles pour la distribution des films en Algérie. L'étude aborde la question de la piraterie des œuvres, celle des droits d'auteurs et droits voisins avant de présenter les manifestations cinématographiques en Algérie (festivals et panoramas) au faible nombre de 6, dont nous avons exclu le Panaf 2009 du fait de son caractère non périodique. Un chapitre porte sur la censure et souligne que l'article 38 de la Constitution garantit au citoyen «la liberté de création intellectuelle, artistique et scientifique» avant de préciser que «la censure structurelle existe» en relevant les articles 5 et 6 de la loi 2011 sur la cinématographie et de l'existence d'une commission de visionnage des films en application de cette loi (décret d'application en 2013). Le document s'achève sur la formation des professionnels de l'audiovisuel qui ne dispose que de trois établissements : Institut supérieur des métiers des arts du spectacle et de l'audiovisuel (ISMAS), Institut national des métiers de l'audiovisuel et Institut de formation interne de l'EPTV. En conclusion, l'auteure de l'étude recense les perspectives d'avenir, soulignant d'emblée la faiblesse du dispositif de formation académique public et privé. Il est constaté globalement un «développement significatif du secteur audiovisuel». Le financement de la cinématographie par l'Etat est considéré comme jouant un rôle important, «même s'il demeure encore insuffisant». Quelques mesures proposées par les professionnels sont présentées dans le document ainsi que les actions indispensables (dont certaines entamées) à l'essor d'une industrie cinématographique en Algérie à partir d'une «meilleure intelligence économique et une meilleure transparence des marchés et des formes d'aide». Les imprécisions que nous avons pu relever sont, sans doute, à mettre au compte de «l'absence d'un outil statistique» et des «rares chiffres disponibles». C'est la carence la plus importante que pointe du doigt cette monographie car s'il est intéressant que les autres s'intéressent à nous, notre intérêt est de commencer à établir des circuits nationaux d'élaboration et de communication des informations et données. Il n'existe pas de progrès sans connaissance et sans transparence.