-Quelle est la spécificité du bénévolat dans le secteur de la santé? Le travail bénévole des acteurs associatifs auprès des malades peut être comparé au travail domestique de santé mené par les familles auprès de leurs proches. Cette ressemblance peut être liée à certaines tâches accomplies par les bénévoles, mais elle réside essentiellement dans son caractère gratuit, invisible et majoritairement féminin. Ainsi, à l'arrière-plan des activités médicales assurées par les professionnels de la santé, se déploie quotidiennement une véritable activité de soutien et d'entraide réalisée par les bénévoles des associations de santé permettant à certains malades d'être pris en charge dans de meilleures conditions. Les bénévoles interviennent auprès des malades dans plusieurs domaines d'activité afin de créer et entretenir des conditions de vie favorables, prendre soin des malades, éduquer à la santé, servir d'intermédiaire avec l'extérieur et faire face aux crises. Concrètement, leur travail consiste généralement à prendre rendez-vous et accompagner les malades pour les différents examens d'investigation, leur procurer des médicaments qu'ils ne peuvent acheter, leur trouver du sang, leur assurer le transport et l'hébergement, etc. En plus du soutien matériel apporté aux malades, les bénévoles leur apportent leur soutien moral à travers leurs visites à l'hôpital et même à domicile ainsi que l'organisation d'activités récréatives pour les enfants malades. Les bénévoles peuvent agir aussi sur le plan de la sensibilisation, la prévention et la formation, par exemple dans le cas du VIH/sida, de la toxicomanie, etc. Les bénévoles constituent un véritable capital social pour les malades qui n'ont pas de relations. -Le bénévolat est-il réellement un acte désintéressé ? Si pour le sens commun il est naturel de faire le bien autour de soi en menant des actions de bienfaisance et de charité, le sociologue doit comprendre le sens de ce bien que l'on fait autour de soi. Est-ce un acte purement altruiste, désintéressé ou gratuit ? L'action des bénévoles vis-à-vis des autres personnes n'est pas aussi gratuite qu'on le pense. Même s'ils n'attendent rien en retour, leur récompense est de l'ordre du symbolique. Elle peut se traduire dans le simple lien tissé avec l'autre, mais aussi dans une satisfaction personnelle ou même spirituelle en ayant le sentiment de s'être rapproché de Dieu. Les bénévoles agissent soit par conviction humaniste, ou par conviction religieuse. Et le meilleur exemple que nous pouvons donner en ce sens est celui du Ramadhan, mois pendant lequel le taux de bénévoles atteint son comble. Différentes personnes apportent leur contribution. Des femmes et des hommes, des personnes de tous âges, même les enfants sont impliqués, des gens de différentes catégories sociales et professionnelles s'impliquent aussi. Certains donateurs, qui d'habitude veulent rester dans l'ombre, font eux-mêmes la distribution de leurs dons considérés comme sadaqa et comme zakat. -Pourquoi devient-on bénévole ? C'est la question phare à laquelle nous essayons de répondre à travers notre thèse de doctorat sur les bénévoles des associations de santé au sein de l'Unité de recherche en sciences sociales et santé de l'université d'Oran, sous la direction du professeur Mohamed Mebtoul. Comment et pourquoi devient-on bénévole de la santé ? A travers l'étude des trajectoires des acteurs associatifs, en remontant leur histoire personnelle et professionnelle, nous espérons déterminer à quel moment de leur vie ces personnes deviennent bénévoles et quels sont les facteurs en jeu dans leur engagement. Sinon, le terrain nous apprend que les bénévoles sont loin de former un seul groupe homogène, chacun s'engage avec ses propres motivations. Parmi les bénévoles de la santé se trouvent des étudiants, des professionnels de la santé, des malades, des parents de malades et des retraités. D'après Omar Derras (docteur d'Etat en sociologie et maître de conférences à l'université d'Oran, Ndlr), pour chaque personne des facteurs sont en cause. Le premier facteur est d'ordre individuel. Il recouvre une dimension psycho-sociologique. Il s'agit du sentiment d'être utile dans la société, d'être bien intégré socialement, et le sentiment d'une satisfaction morale personnelle. Le deuxième facteur est perceptible dans les actions en direction des autres en étant utile, solidaire et dévoué pour les personnes qui ont besoin de soutien, particulièrement les gens pauvres, vulnérables et les handicapés. Le troisième facteur est d'ordre sociétal et se fonde sur la défense des idées et des valeurs auxquelles on croit et pour lesquelles on se bat. -Quels sont les problèmes que vous avez dû affronter en entamant ce travail ? Nous travaillons sur un sujet qui n'est pas encore exploré profondément par les sociologues algériens. Nous disposons de peu d'informations scientifiques sur le secteur associatif en Algérie. Les quelques études faites sur le secteur abordent la question d'un point de vue quantitatif ou socio-politique. S'inscrivant dans une approche qualitative et compréhensive, ce qui nous intéresse c'est l'expérience des acteurs associatifs au quotidien. Ceci exige un travail permanent de proximité avec les bénévoles, ce qui n'est pas facile. Cette complexité de la recherche en sciences sociales n'est que le reflet de la complexité de l'être humain et de la société à la fois. Malheureusement, les sciences sociales n'ont pas la place qu'elle méritent dans notre pays, beaucoup de faits sociaux méritent une analyse approfondie et sérieuse, au lieu de s'adonner à des explications politico-idéologiques stériles. -A votre avis, quels sont les critères sociaux idéaux pour être un bon bénévole ? Tout d'abord l'humanisme, l'amour et le respect de l'autre. Mais, en réalité, il n'y a pas de bon ou de mauvais bénévole. Le fait qu'une personne s'engage, c'est qu'elle à une ou plusieurs qualités. Nous ne sommes pas encore au niveau des grands organismes humanitaires qui recrutent les bénévoles selon des critères bien précis. Nos associations acceptent des gens qui veulent bien faire, donc qui ont de la volonté. Mais cette volonté à elle seule n'est pas suffisante, «elle (la volonté) peut faire autant de dégâts que la méchanceté si elle n'est pas éclairée» (Albert Camus, La Peste). C'est pourquoi une formation est nécessaire pour les bénévoles afin qu'ils puissent avoir le minimum d'informations sur la raison de leur engagement. S'ils agissent auprès de personnes malades, de personnes porteuses de handicap, de personnes âgées, etc., ils doivent savoir comment se comporter avec elles, comment les respecter, quels sont leurs droits, etc. L'orientation des bénévoles dans l'accomplissement de leurs tâches au sein de l'association est aussi un aspect important, les compétences des personnes peuvent être utilisées dans l'aspect logistique et organisationnel plutôt que d'être centré uniquement sur le contact avec l'autre. A défaut de cela, la réalité associative nous renvoie souvent à des problèmes d'éthique dans la pratique du bénévolat. Comme c'est un domaine qui n'est pas juridiquement cadré, il est très difficile de faire face à certains comportements et agissements contradictoires de la part de certains bénévoles. Il s'agit là du respect de la vie privée et de la dignité des personnes à qui ils sont censés apporter leur aide. J'ai été dernièrement interpellé par une vidéo postée sur un réseau social par un membre d'une association dans le contexte d'une campagne de circoncision. La vidéo en question met en scène un enfant en train d'être circoncis. Pendant 22 secondes, on assiste aux détails de l'opération de cet enfant qui se débat et crie de toutes ses forces. Cela, sans évoquer l'étalage en public d'informations concernant des malades chroniques en situation de précarité sociale (photos, numéros de téléphone, adresse, diagnostic, etc.), sous prétexte de leur apporter leur aide. Il ne faut pas oublier que nous sommes face à des personnes vulnérables, et rien ne peut justifier de tels actes, même pas pour le bien de la personne en question. -Est-ce que les associations dans le champ médical sont reconnues comme des acteurs sociaux ou bien uniquement comme un mouvement associatif ? Le fait que certaines associations d'aide aux malades aient été conviées à participer aux assises régionales de la santé, ceci témoigne du début d'une reconnaissance des associations de malades comme un véritable acteur de la santé. Mais ceci ne devrait pas voiler le combat de beaucoup d'autres associations qui agissent dans l'ombre pour faire reconnaître leur travail à travers le territoire national. La réalité quotidienne nous montre que les associations sont productrices de soins et de santé par le savoir et l'expérience qu'elles détiennent. Les associations doivent ainsi être un acteur incontournable de la santé, que ce soit dans l'élaboration de textes législatifs ou dans la prise de décision. Toutefois, il faut reconnaître que certaines associations, loin d'être de véritables acteurs de la santé, ne font que dans la complaisance politico-institutionnelle afin d'arriver à des fins loin des espérances des malades.