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Juste un mot : De Mustapha à Ali
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Publié dans El Watan le 03 - 07 - 2014

Après-demain, samedi 5 juillet, fête de l'Indépendance et de la Jeunesse, les habitants de Ben Aknoun, les enfants de Sidi Bouchachia, en groupe, en famille, dans les quartiers, les cafés, petits et grands, les vieux et les jeunes, les femmes et les hommes, même ceux qui ont quitté la maison se rappelleront avec émotion l'un des leurs, l'un de leurs enfants authentiques, dont ils sont fiers et qu'ils n'oublieront jamais,
Mustapha Khodja, fort connu ici et ailleurs sous le nom d'Ali Khodja, qui a créé et dirigé les fameux et légendaires commandos de l'ALN, portant le même nom, dès la première année de notre guerre de libération dans la région de Palestro.
Pour notre part, nous avons déjà commencé à évoquer Mustapha durant une longue et belle après-midi d'été au bord de l'eau, en présence de sa sœur Salima à la mémoire très fertile, de son frère Omar et ses souvenirs émouvants qu'il nous offrait avec beaucoup d'humour. Les quelques amies présentes n'oublieront pas de sitôt des moments aussi beaux, utiles et nécessaires en ces temps de chaleur et même de canicule en tout genre, où tout flambe, comme, par exemple, presque 70 partis politiques sans militants ni adhérents, plus de 130 quotidiens sans journalistes ni lecteurs, et que dire des nombreuses télévisions-bidon que le pouvoir a créées et utilisées pour donner le change.
Nous raconterons ici, le plus simplement du monde, quelques faits et gestes de Mustapha, de son enfance et son adolescence, qui nous disent beaucoup sur son caractère et sa personnalité. La famille Khodja, nombreuse comme on dit, avec huit enfants, quatre filles et quatre garçons, est arrivée à Ben Aknoun dès le début de la Seconde Guerre mondiale. Cette famille algéroise et citadine, originaire de Belcourt et du Ruisseau, connut une adaptation à notre village de façon rapide et totale, à l'instar de quelques rares autres familles comme les Bendjafar, leurs cousins, et avec lesquels ils aimaient faire des escapades dans les bois de Sidi Merzouk, lequel a vivement marqué l'histoire de notre village, en offrant le terrain de son premier cimetière qui porte toujours le même nom.
S'intégrer à Ben Aknoun, ce petit morceau de Kabylie implanté dans la proche banlieue d'Alger, veut dire apprendre et maîtriser la langue kabyle au plus vite. L'école et surtout le sport, le foot et le cyclisme facilitèrent beaucoup cette adaptation. Les filles Khodja, toutes belles et élégantes, ouvrirent les portes de l'école aux nôtres en donnant l'exemple ; les garçons, grands footballeurs pour les deux premiers, cyclistes pour les deux autres firent l'admiration de nous tous. Mustapha, comme le raconte si bien sa sœur, a arrêté le foot dès le début des années cinquante, alors qu'il était sociétaire à la JSEB (Jeunesse sportive d'El Biar), suite à une injustice venant d'un dirigeant de ce club qui voulait lui faire payer l'accès au stade, un dimanche après-midi, pour voir jouer l'équipe première des frères Soukhane, alors qu'il avait joué le matin avec les juniors.
Sa sœur nous raconta aussi comment, plus jeune, en pleine Guerre mondiale et alors que le pain se faisait rare, il se rendait à pied jusqu'à Notre-Dame d'Afrique et lorsqu'il empruntait les sentiers des collines du djebel Koukou, non habitées à l'époque, il se déchaussait, suspendait ses chaussures à l'épaule pour les protéger d'un vilain coup de pierre ou de racine. Il pratiquait le même manège pour le retour et, en arrivant à la maison, les pains dans sa sacoche, il savait atténuer sa joie et sa fierté ; aussi, lorsque sa mère le remerciait et le félicitait, il lui répondait calmement : «Tu sais, mère, pour que cette misère cesse, il faut que les occupants quittent notre pays comme ils sont arrivés par Sidi Fredj.»
Mustapha n'avait alors que… dix ans. Cette anecdote nous rappelle l'histoire que nous avait narrée un aîné, Boudjema Ouabadi, lui aussi moudjahid, l'un des proches amis de Mustapha Khodja : «En 1945, alors que les échos des massacres de Sétif nous parvenaient, Mustapha fut brutalement renvoyé de l'école juste avant l'examen du certificat d'études, car il avait déclamé un chant patriotique en classe».
Omar, le benjamin, tenait à nous dire, à son tour en riant, combien il était à l'aise et heureux en compagnie de son frère Mustapha, avec lequel il apprenait beaucoup de choses, la lecture, le foot, le cyclisme, alors que seulement quatre années les séparaient, et il rit encore plus en nous avouant que : «Mon frère Mustapha jouait déjà le rôle du père que nous avions perdu depuis de longue années et ses félicitations étaient bien sobres , lorsque cadet je gagnais une course et remportais un boyau.».
Il ajouta, les yeux de plus en plus rieurs, les moments tellement fort vécus avec son frère : «notre maison, toujours bien fleurie grâce à ma mère et mes sœurs, était située face à celle de la famille Amrouche dont l'un des enfants, Saïd, du même âge que mon frère était aveugle. Mon frère qui travaillait déjà comme tourneur-fraiseur, alors qu'il n'avait que seize ans, métier qu'il avait appris en fréquentant le centre de formation de la rue Marengo à Alger, comme beaucoup de jeunes de Ben Aknoun qui aimaient pratiquer les beaux métiers, n'oubliait jamais de promener Saïd, le soir, après le travail et de faire une halte au Café des sports pour lui lire Alger républicain et, le dimanche, il assistait avec lui au match de l'ERB (Etoile rouge de Ben Aknoun). Match qu'il regardait pour deux».
Emu et rougissant, Omar ajouta : «Aujourd'hui, je me rends compte combien mon frère Mustapha avait raison de me demander de l'accompagner tout le temps, car il me donnait alors les plus belles leçons de la vie.» Puis, Novembre 1954 arriva, Ali Khodja devint un héros pour le monde entier mais, pour nous, il est et sera toujours Mustapha.


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