Aéroport international Houari Boumediène. Il est un peu plus de 13h. Une foule compacte est massée devant le grand portail du salon d'honneur, niché entre l'ancienne et la nouvelle aérogare. Les supporters piaffent d'impatience de voir enfin surgir les Feghouli, Brahimi et autre M'bolhi pour leur sauter dessus. En attendant, ils font la fête. Grosse ambiance entre ghaïta, fumigènes, trompettes et karkabou. Plusieurs troupes folkloriques ont été mobilisées pour la circonstance. «L'avion de l'équipe nationale est prévu à 13h25», indique une jeune femme du service information de l'aéroport. Pendant ce temps, une autre colonie de Fennecs fait son apparition : c'est notre équipe nationale de handibasket. Elle devait s'envoler en direction de Inchéon, en Corée du Sud, pour participer au Championnat du monde de handibasket. Nous leur souhaitons bonne chance. A l'extérieur de l'aéroport, l'ambiance est de plus en plus folle. Ils sont venus d'un peu partout, certains en famille, pour faire un accueil triomphal à nos héros. Des vagues d'aficionados des Verts continuent d'affluer en bravant les rigueurs du Ramadhan. Heureusement que le temps est clément et la chaleur supportable. Des groupes de supporters ont continué à pied en longeant la route qui relie Dar El Beïda à l'aéroport. C'est le cas de Hamid, 42 ans, employé à la Seaal et résidant aux Eucalyptus. Hamid est accompagné de ses deux enfants, Soheib et Oussama. «Nous avons pris le bus, après, nous avons parcouru une bonne distance à pied pour le plaisir de voir notre équipe nationale», explique Hamid. «C'est le Ramadhan mais j'ai tenu à venir avec mes enfants pour saluer la performance de notre équipe. J'ai dû déserter mon poste de travail pour venir», ajoute-t-il. Hamid arbore un maillot des Verts floqué du nom de Yebda. Son tee-shirt porte même une signature du sociétaire de Grenade. «C'est un vrai maillot, machi m'derrah. Je l'ai gagné dans une loterie à la foire. C'est le maillot avec lequel il a tiré le penalty lors du match contre le Maroc qui s'est déroulé à Annaba (1-0 pour l'Algérie)», lance fièrement notre ami. Son fils Soheib, 7 ans, porte, quant à lui, un maillot «Ziani». Il s'agrippe à un poteau en tendant le cou par-dessus la foule. Son autre fils, Oussama, est vêtu d'un maillot jaune aux couleurs du Brésil estampillé «Neymar». «Allah Akbar Halilhodzic !» «J'espère que mes enfants feront du foot», lâche Hamid. «J'ai tenu à les ramener pour leur inculquer l'amour du maillot et leur communiquer ce sentiment de fierté nationale», dit-il. Comme la grande majorité des fans, Hamid est impressionné par le parcours des Verts durant cette Coupe du monde. «Ils ont été au top !» reconnaît-il avec émotion. Hamid nous confie qu'il a été tout de même très affecté par la défaite contre l'Allemagne : «J'étais abattu. C'était comme si j'avais perdu un membre de ma famille. Mais au fond, ce n'était pas une défaite tellement notre équipe s'est surpassée.» Dans la foulée, il renchérit : «J'espère que Halilhodzic va rempiler. Je lui demande de rester. On ne doit pas le laisser s'en aller. Ce serait de l'ingratitude que de le laisser partir. Et puis, on a maintenant une équipe, on ne va pas repartir de zéro. Je souhaite simplement qu'on donne leur chance aux joueurs locaux.» Des barrières de police sont disposées tout au long de la bande de bitume menant au salon d'honneur. Les supporters sont massés de part et d'autre. On se croirait au stade Mustapha Tchaker, le porte-bonneur des Verts. Les plus téméraires ont pris d'assaut la toiture du préau reliant les deux aérogares. D'autres ont grimpé sur les branches des eucalyptus géants qui bordent le site en agitant des drapeaux. Les aficionados des Fennecs scandent à l'unisson les slogans habituels des stades. «One, two, three, viva l'Algérie», «Miziria ou Tayha El Djazaïr», ou encore «Allah Akbar Halilhodzic» fusent de ces bouches asséchées et gutturales. Le Ramadhan ne semble pas avoir d'effet sur eux. Certains redoublent d'ingéniosité en termes de costumes. Un supporter est affublé d'une djellaba aux couleurs de l'Algérie. Tel autre s'est entièrement maquillé le visage en blanc, vert, rouge. Un troisième s'est confectionné un masque «anonymous», aux couleurs nationales là aussi. Même les tout-petits y vont de leur tenue de circonstance. Les femmes ne sont pas en reste dans cette fête. Voici, d'ailleurs, une jeune fille entièrement drapée de l'emblème national et portant un bébé tout mignon coiffé d'un foulard blanc et vert. «Je suis venue pour les voir de près et les saluer», explique cette femme au foyer. «Ils ont été énormes. J'espère que notre entraîneur va rester. Il a fait du bon travail», iniste-t-elle. Sid-Ali, 27 ans, poireaute calmement derrière la haie en ébullition. «J'attends mon frère qui rentre aujourd'hui du Brésil et j'en profite pour voir, en même temps, les joueurs de l'équipe nationale», confie-t-il. Sid-Ali s'est déplacé spécialement de Staouéli où il gère avec ses frères une usine de matériaux de construction. «Je devais y aller, moi aussi. J'ai même pris le billet. Mais mes deux frères m'ont devancé, alors j'ai été obligé de rester.» Mais il compte se rattraper lors de la prochaine Coupe d'Afrique. «C'est sûr que j'irai !» martèle-t-il. D'autant plus sûr qu'il a été charmé par la prestation des Verts lors de ce Mondial. «On a vu une grande équipe. J'espère qu'elle va gagner la Coupe d'Afrique», exulte-t-il. Sid-Ali plaide, lui aussi, pour le maintien de Halilhodzic. «Il a fait un très bon travail. Il faut le garder. Il a su construire une équipe. Nous avons besoin de stabilité.» Un parfum d'OmDurman Il faut reconnaître que Sid-Ali n'a pas attendu les dernières prouesses des Verts pour s'enflammer pour nos «fabulous 23». «J'ai déjà été à Omdurman en 2009, assure-t-il. J'ai suivi l'équipe nationale partout.» Sidi-Ali estime que l'ambiance, hier, était tout de même moins explosive que celle du 19 novembre 2009, au lendemain de la victoire contre l'Egypte. Peut-être est-ce l'effet du Ramadhan ? «Non, je pense que le contexte était différent en 2009. Cela faisait longtemps qu'on ne s'était pas qualifiés à une Coupe du monde (depuis 1986, ndlr) et puis, il y avait aussi l'effet de l'injustice que nous avions subie au Caire. Les Egyptiens hagrouna. Ils nous avaient agressés et il fallait répondre», argue-t-il. Un jeune se faufile dans la marée humaine en proposant fanions et écharpes DZ à 200 DA pièce. Un autre a disposé carrément une panoplie d'objets fétiches sur le gazon pour se faire un peu d'argent. Un fourgon diffuse des chansons à la gloire de l'EN. Les policiers s'affairent à mettre un peu d'ordre dans cette foule en folie en s'évertuant à «parquer» les plus excités derrière les haies. Une femme n'en a cure. Elle sillonne l'allée centrale, drapeau en main, en chantant sa joie, suivie par des supporters exaltés. «Rana saymine ya Madame !», la chambrent des jeunes en transe. D'autres chantent : «Ezawaliya rabbi yarhamhom.» Un barbu en qamis, deux écharpes autour du cou, l'une aux couleurs de l'Algérie, l'autre représentant le drapeau de la Palestine, invite le public à donner de la voix en répétant : «Falastine echouhada.» Un autre supporter arbore, quant à lui, une pancarte de couleur rouge où est inscrit : «Halliloreste», allusion à une page facebook créée pour demander à Raouraoua de garder Coach Vahid. Cela devient même un mot d'ordre national, à en juger par l'ampleur qu'est en train de prendre cette campagne, assortie d'une pétition en faveur de Vahid. Mot d'ordre que rallie allègrement cette jeune fille, lunettes de soleil et fichu aux couleurs nationales, venue avec sa famille depuis Zéralda : «Je veux que Halilhodzic continue. Je veux lui dire que je l'adore. Toute l'Algérie souhaite qu'il reste.» Notre interlocutrice nous assure qu'elle était prête à reste jusqu'au f'tour et qu'elle ne quitterait pas les lieux avant d'avoir enfin vu de près ses héros du moment. «Mon préféré, c'est Slimani. J'aime aussi Feghouli et M'bolhi bien sûr. Mais ils ont tous été magnifiques ! On est fiers d'eux !» «Merci les guerriers !» Les minutes s'égrènent dans l'euphorie générale. 14h10. Nous pénétrons dans la cour du salon d'honneur. Des dizaines de journalistes attendent l'apparition de nos héros. «L'avion a atterri», glisse un officier de police. Deux bus à impériale, l'un de l'Etusa, l'autre de la SNVI, sont stationnés à l'intérieur de la cour. Finalement, c'est le bus SNVI qui sera retenu pour la grande parade des Verts. Il est joliment bariolé, avec un virevoltent «1, 2, 3, viva l'Algérie» sur sa façade agrémenté des noms de tous les joueurs qui ont pris part à cette belle épopée brésilienne. Le temps presse. La foule s'impatiente. Une forêt de caméras et d'appareils photo a pris position en contrebas des escaliers menant vers le salon d'honneur cernant le bus à impériale de la SNVI. «Merci les guerriers», lit-on sur une pancarte brandie par un fan. Un hélicoptère bourdonne dans le ciel. Les clameurs montent. 14h25. ça y est, ils sont là ! On voit la tête du petit lutin Brahimi. Les appareils photo, iPad, téléphones portables, sont déclenchés en bloc et partent à l'affût de la moindre image. Halliche, Slimani, Yebda, Mahrez, Lacen, Mehdi Mostefa, Bougherra, Feghouli défilent les uns après les autres et montent aussitôt dans le bus sans faire la moindre déclaration. Les «One, two, three» redoublent d'intensité. Et quand enfin apparaît Vahid, c'est l'apothéose. Le sélectionneur des Verts est accueilli en maestro, comme si tout le pays tenait à lui exprimer sa gratitude et lui dire qu'il n'était pas seul. Les larmes qu'il a versées au terme de cet injuste match contre l'Allemagne ont largement ému les Algériens. Vahid se fraie difficilement un chemin vers le bus tandis que ses ouailles montent sur le toit du véhicule. Groggy après un voyage aussi pénible, ils voulaient certainement prendre le temps de savourer cette autre victoire, celle d'avoir conquis le cœur de tout un peuple. Les nouveaux débarqués, comme Mahrez et Bentaleb, ont des étoiles dans les yeux. Alger déroule le «tapis vert» pour ses héros 14h45. Le bus prend la route d'Alger dans une explosion générale de joie. La foule massée à l'extérieur laisse éclater sa passion des Verts et ça éclabousse même la cohorte d'uniformes mobilisés pour assurer la sécurité de l'événement entre BRI, gendarmerie, police, DRS, pompiers… Un bouquet de fumigènes enlumine le ciel. La foule est intenable. Même la toiture du préau finit par céder. Une femme peste devant une caméra contre l'incivisme de certains supporters qui écrasent tout sur leur passage. Un reporter faisant un direct pour une chaîne télé commente : «On se croirait au 5 Juillet.» Tout l'aéroport semble s'être mué en stade. Et c'est comme si Slimani venait d'inscrire un but. L'équipe nationale va maintenant s'offrir un bain de foule bien mérité dans les artères d'Alger. Il nous faudra une heure et demie (dont une quarantaine de minutes juste pour sortir du parking de l'aéroport) pour atteindre la capitale, soit le temps d'un match réglementaire. Heureusement que le bain de foule joue les prolongations. Nous retrouvons à nouveau cette ambiance de folie (dont nous n'avons pas manqué une miette grâce au direct de la Chaîne III) à Alger-Centre. Le bus vient de descendre par Maurétania avant de gagner la place du 1er Mai et se stabiliser devant le ministère des Sports. Quelle journée pour nos héroïques Fennecs ! Ils auront provoqué de véritables émeutes de popularité, comme les Beatles en leur temps. Il n'est pas certain que toutes les équipes ayant pris part à ce Mondial puissent se targuer d'avoir un tel accueil à leur retour au bercail. Hormis Halliche, Yebda et Bougherra, la grande majorité de nos capés n'avait pas vécu l'accueil hystérique de 2009. Là, ils avaient la preuve que ce peuple était définitivement fou… d'eux.