L'appel ayant été largement relayé par les réseaux sociaux, ils y ont répondu, venant de partout, de toutes les communes où vivent des Mozabites, à l'instar de Guerrara, Berriane, El Atteuf, Bounoura, Beni Izguen et, bien sûr, le berceau des Mozabites, la splendide et envoûtante Ghardaïa. Rien ne pouvait les dissuader de venir, ni le jeûne ni cette terrible chaleur qui plombe la région. En effet, pendant que la foule grossissait à vue d'œil, dès 8h le soleil tapait très fort en cette matinée de dimanche, frôlant déjà les 45° alors qu'il n'avait pas encore atteint son zénith. Affluant de toutes parts, notamment des rues et ruelles qui entourent la mythique place du Marché de Ghardaïa, par petits groupes de jeunes et moins jeunes, habillés de leurs tenues traditionnelles avec sarouel et chéchia immaculée, ils arrivaient avec banderoles, portraits des victimes et emblème national. Entonnant l'hymne national puis des slogans en mozabite dénonçant l'insécurité et exigeant une justice forte et équitable, des centaines de Mozabites, dans un ordre de marche martiale, ont d'abord emprunté la rue Amieur Aïssa puis le boulevard Emir Abdelkader et ensuite l'avenue du 1er Novembre, pour enfin, s'arrêter devant les grilles de la wilaya de Ghardaïa où ils ont organisé un sit-in. Ils étaient plus de 2000 à battre imperturbablement le pavé sous un soleil de plomb en criant à gorge déployée des slogans tels que «Libérez les innocents», «Où sont vos promesses Monsieur Sellal ?» ou encore «Arrêtez les assassins de Mohamed Yassâa Aouf» et ce, pendant qu'une délégation de 16 représentants d'associations, les sages et les membres du Conseil de coordination et de suivi (CCS ) des événements de Ghardaïa, emmenés par l'incontournable Khodir Babbaz (membre du FFS, de la ligue des droits de l'homme et de l'UGCAA de la commune de Ghardaïa) ont été invités à entrer dans la wilaya transformée en bunker, en véritable caserne de police avec ses dizaines de fourgons, de camions béliers et lance-eau stationnés à l'intérieur ainsi que de centaines d'éléments antiémeute, matraques et boucliers en main, prêts à la manœuvre, dirigés par le chef de sûreté de wilaya himself présent sur place. Alors que la circulation automobile était détournée du centre-ville, les manifestants étaient encadrés aussi à l'extérieur par un impressionnant cordon de sécurité, et ce, pendant qu‘un hélicoptère de la police tournoyait à basse altitude au-dessus de la masse compacte des protestataires qui répétaient à l'aide d'un mégaphone leurs revendications, toutes d'ordre sécuritaire. «L'Etat ne fait rien pour démasquer les coupables du crime du jeune Aouf», déclare Khoddir Babbaz, ajoutant : «Tant que tous les coupables n'ont pas été arrêtés et jugés, la situation ne s'améliorera pas. Ce n'est qu'une fois que la justice aura fait son travail que les gens reprendront confiance et reviendront, qui chez lui, qui à son commerce. C'est la condition sine qua non.» Pour l'industriel Alouani, propriétaire d'une usine de production de lait située dans le sensible triangle Châabet Telli- Benghanem-El Korti, «la situation économique est désastreuse. Nos camions ne peuvent se déplacer pour alimenter le marché local en lait, pourtant très demandé notamment en cette période de Ramadhan. Nos chauffeurs ont peur de se faire agresser. Nous tournons à moins de 20% de nos capacités. L'Etat doit impérativement prendre en compte ce facteur de sécurité économique de la région». Après une «cuisson» de plus de deux heures sous les dards d'un soleil de plomb, les protestataires ont repris le même chemin que le matin pour se rendre sur la place du Marché, écouter le compte rendu de la rencontre de leurs représentants avec le wali. Ces derniers ont été sortis par une porte dérobée pour leur permettre d'arriver en premier sur les lieux du rassemblement final. «Nous avons exposé au premier magistrat de la wilaya nos revendications en matière de sécurité mais aussi de dédommagement des dégâts subis par les citoyens et les commerçants se chiffrant à plusieurs milliards de dinars», tonne Hammou Chkebkeb, l'un des quatre animateurs du CCS. Et d'ajouter : «Nous refusons d'être traités de khaouaredj, les khaouaredj sont ceux qui assassinent, ceux qui violent et qui détruisent la région.» Prenant la parole, Khodir Babbaz affirme que «l'Etat est mis devant ses responsabilités qu'il doit impérativement assumer en termes de maintien de l'ordre et de sanction des coupables. Tant que des barons de la drogue continueront à imposer leur loi, il n'y aura pas de justice. C'est aux autorités sécuritaires de les démasquer, les arrêter et les traduire devant la justice. Ils sont connus mais intouchables jusqu'ici».