C'est dans le décor mystique du cimetière jouxtant le mausolée de Sidi Abderrahmane Ethaalibi, à La Casbah, que repose désormais la dépouille de Si Mohamed Mechati, l'un des derniers des «22». Il s'est éteint le 3 juillet dernier à Genève, à l'âge de 93 ans. Le destin a voulu qu'il fût rappelé à Dieu au 52e anniversaire de l'indépendance, clin d'œil céleste à son long combat pour la liberté. La dépouille de feu Mohamed Mechati est arrivée, lundi en fin d'après-midi, à l'aéroport Houari Boumediène. Une cérémonie de recueillement à sa mémoire a été organisée dans la foulée à Maqam Echahid. Et, conformément donc à sa dernière volonté, il a été inhumé hier au cimetière de Sidi Abderrahmane. Lui, l'enfant des quartiers pauvres de Constantine où il vit le jour le 21 mars 1921, confiait, en effet, à ses proches qu'il souhaitait reposer près de Ahmed Bey, le dernier gouverneur ottoman de Constantine qui opposa une résistance farouche aux Français de 1837 à 1848. L'illustre bey avait émis le vœu, lui aussi, d'être inhumé au mausolée de Sidi Abderrahmane. L'enterrement était annoncé pour après la prière du dohr. A notre arrivée sur les lieux, vers 12h30, il y avait foule au cimetière. Feu Mechati était déjà en terre et des éléments de la Protection civile s'affairaient à refermer la tombe sur sa face magnanime. Liliane, son épouse, dressée dignement à la lisière de la tombe, tient la main de la moudjahida Annie Steiner. Un ami du défunt ramasse une motte de terre et la met dans la main de Mme Mechati, une autre dans celle d'Annie Steiner, afin qu'elles les dispersent sur la tombe palpitante. Samir, son fils, retient stoïquement ses larmes. L'émotion est à son paroxysme. A mesure que le temps passe, le petit cimetière situé en contrebas du mausolée continue à se remplir. «On pensait que ce serait après la prière…», s'excuse presque un visiteur. Les obsèques ont vu surtout affluer les anciens frères de lutte du défunt, dont Ahmed Doum, l'un de ses plus intimes compagnons. Côté officiels, seuls le jeune ministre des Moudjahidine, Tayeb Zitouni, et le ministre du Commerce, Amara Benyounès, ont fait le déplacement. Citons aussi Saïd Abadou, secrétaire général de l'ONM. Sellal brille par son absence. Au demeurant, Mechati était connu pour être rétif aux honneurs. Il ne voulait pas d'El Alia ni de funérailles nationales. Humble jusqu'au bout des ongles, il a eu droit à des obsèques sobres et dignes. Si l'Exécutif n'est pas descendu en force à La Casbah comme il l'avait fait la veille, pour l'enterrement du général Benabbes Gheziel à El Alia, en revanche, la classe politique a été au rendez-vous. Parmi les présents, Mouloud Hamrouche, Ali Benflis, Ali Laskri, Noureddine Bahbouh, Tarik Mira et autre Soufiane Djillali. D'autres personnalités ont également tenu à rendre un dernier hommage à Mohamed Mechati : Abdelaziz Rahabi, Hocine Zehouane, Miloud Brahimi, l'industriel Issad Rebrab, le professeur Daho Djerbal ou encore le chroniqueur Mustapha Hammouche. Ce dernier s'était fendu d'un émouvant témoignage, dimanche («Rencontre avec un généreux patriote», Liberté du 6 juillet 2014), sur l'homme, racontant comment Mechati faisait la queue comme tout le monde pour retirer un extrait de naissance à la mairie de son quartier, lui sans qui l'état civil algérien n'aurait pas existé ! Dès que les pompiers ont déposé leurs pelles, un imam s'est mis à réciter un long chapelet de prières et de louanges. Une gerbe de fleurs a été déposée sur la sobre tombe qui abritera désormais l'impétueux combattant à la crinière rebelle comme son caractère. Un ancien moudjahid esquisse une oraison funèbre où il revient sur le parcours trépidant de Si Mohamed Mechati. «Il était de tous les combats» Pendant ce temps, Ali Benflis est assailli par les caméras. Il apporte ce témoignage lapidaire et néanmoins touchant : «Sa première qualité morale, c'était l'humilité. Il espérait pour l'Algérie qu'elle vive dans une vraie démocratie et qu'elle soit prospère. Il lui tenait à cœur aussi de transmettre le flambeau à la nouvelle génération et il a lutté pour cela. Il était de tous les combats et vouait un amour démesuré pour l'Algérie.» Un fonctionnaire s'approche de Samir, le fils du défunt, et lui remet une enveloppe et un drapeau plié. Quand les micros se tendent vers lui, il retient difficilement ses larmes. Il a une pensée émue à «toute la douleur passée dont il m'a parlé, tout ce que j'ai lu, la souffrance de ce peuple». Et il éclate en sanglots. Sa mère évoque, pour sa part, «le poids de tant de turpitudes de l'ancienne génération». La famille croule sous les marques de sollicitude des anciens compagnons de lutte de feu Mechati et des nombreux admirateurs du militant exceptionnel qu'il fut. L'un d'eux offre à Samir un précieux portrait représentant les «22» dont il ne reste, aujourd'hui, que cinq «survivants» : Abdelkader Lamoudi, Zoubir Bouadjadj, Othmane Belouizdad, Lies Derriche et Amar Benaouda. A 13h, tout est fini. A 13h05, Ahmed Taleb Ibrahimi, manifestement déçu d'avoir manqué l'enterrement, s'approche d'un pas solennel de la tombe de son ami et lit la Fatiha. Il dresse ce portrait de Mohamed Mechati : «Nous étions très proches» dit-il d'emblée. «Nous aimions en lui la pureté de l'âme et sa haute moralité, sa grande humilité et son abnégation dans le travail. Les Algériens connaissent Mohamed Mechati comme membre des 22, mais ils ne savent pas qu'avant le groupe des 22, il a joué un rôle important dans l'enrôlement de la jeunesse algérienne cultivée qui fréquentait les lycées et universités dans les rangs du Mouvement national, puis dans les rangs du FLN. Il était, au début des années 1950, le représentant de l'OS à l'ouest du pays. Après le groupe des 22, beaucoup ignorent que Mohamed Mechati était parmi les piliers qui ont crée la Fédération de France du FLN. Et il était parmi les cinq que je considère comme les ténors du FLN en France, à savoir Mourad Tarbouche, Fodhil Bensalem, Abderrahmane Guerras, Ahmed Doum et Mohamed Mechati. Après l'indépendance, il a travaillé pour le compte du ministère des Affaires étrangères. Il a occupé des postes malheureusement très modestes. Il a dû attendre les années 1980 pour être nommé consul général, puis ambassadeur. Allah Yerham tous les martyrs de l'Algérie !»