Les hommes politiques financent leurs campagnes électorales avec des pots-de-vin.» Une phrase loin d'être anodine, figurant sous une certaine forme parmi les perles du bac 2014 en France. Elle reflète surtout la perception et le rapport à l'argent que les électeurs développent au sein même des démocraties occidentales. Pourtant, ce rapport à l'argent change d'un pays à l'autre. Si aux Etats-Unis, le lobbying des réseaux d'affaires et le truchement de l'argent en politique est parfaitement admis et, dans une certaine mesure, suit même certaines «règles», dans les pays du vieux continent, ce même rapport est plutôt mal vu. Cela se reflète d'ailleurs dans leurs législations respectives. Cependant, en Algérie, ce rapport est plus complexe qu'il n'y paraît. Si, dans notre pays, nous avons la même propension que dans les systèmes politiques latins à dénoncer l'intervention des réseaux d'argent en politique, celle-ci se fait de plus en plus présente depuis quelques années grâce à des réseaux informels bien organisés, sans que la législation n'évolue, ne s'adapte pour autant et ne prenne en compte les nouvelles réalités. Financement des campagnes électorales Quelques tentatives émergent parfois sans être toutefois suffisantes, notamment en ce qui concerne le cas des élus au sein des assemblées locales et législatives. C'est dans ce sens justement qu'abonde la loi organique n°12-02 du 12 janvier 2012 fixant les cas d'incompatibilité avec le mandat parlementaire, dont l'objectif était de limiter les interactions entre les assemblées élues et les milieux financiers. Peine perdue, nul n'ignore aujourd'hui les cas de parlementaires à la tête d'importantes affaires et ayant réussi non seulement à acheter leurs sièges, mais aussi les voix pour se faire élire. Le rapport à l'argent est plus complexe lorsqu'il s'agit d'évoquer des échéances électorales plus importantes, ainsi que les interactions entre réseaux d'affaires et centres de décision. Le financement de campagnes électorales pour des échéances telle que la présidentielle était jusque-là un sujet que l'on prenait le plus grand soin d'éviter. Cependant, depuis les tiraillements nés au sein du Forum des chefs d'entreprises concernant le soutien à la candidature du Président sortant et l'organisation d'une levée de fonds au sein de cette organisation pour le financement de la campagne électorale, la question est sortie de l'ombre. Pourtant, pour ce qui est de la loi, il semblerait bien que les textes n'appréhendent pas suffisamment les enjeux et les mécanismes de financement d'une campagne électorale. Selon la constitutionnaliste Fatiha Bennabou, il faudrait procéder à une lecture transversale des dispositions du code électoral et de la loi sur les partis politiques.Des textes qui instituent d'ailleurs la nécessité du passage des dépenses inhérentes au fonctionnement d'un parti ou celles liées à la campagne électorale par des comptes dédiés. L'article 209 de la loi électorale évoque ainsi l'obligation, pour le candidat à une élection présidentielle ou législative, de tenir un compte de campagne retraçant les recettes et leur origine, ainsi que l'ensemble des dépenses. De même que les articles 203 et 204 insistent sur le fait que le financement d'une campagne électorale ne peut passer que par les ressources provenant de la contribution des partis politiques, de l'aide éventuelle de l'Etat ainsi que des revenus du candidat. De même qu'il est interdit de recevoir des legs et dons d'Etats étrangers ou de personnes de nationalité étrangère. Véracité des comptes de campagne La loi sur les partis définit, quant à elle, dans ses articles 52 à 60, la gestion des ressources financières du parti, précisant que les ressources peuvent être constituées des cotisations des membres du parti politique, des revenus liés à ses activités et à ses biens, des aides de l'Etat ainsi que des dons, legs et libéralités, à condition qu'ils soient d'origine nationale, qu'ils proviennent de personnes physiques identifiées et qu'ils ne dépassent par 300 fois le salaire national minimum garanti. Autant d'éléments vérifiables dans le cadre de la présentation d'un bilan moral et financier ayant reçu le quitus d'un commissaire aux comptes. Au-delà du fait que certains partis dérogent à cette obligation réglementaire, c'est la véracité des comptes qui fait débat. Débat qui prend plus d'ampleur lorsqu'il s'agit de vérifier et valider les comptes de campagne. D'après Mme Bennabou, les dispositions de la loi électorale se limitent à évoquer les plafonds de dépenses de campagne à 60 millions de dinars et à 80 millions de dinars en cas de deuxième tour pour la présidentielle, ainsi que les conditions dans lesquelles un candidat peut prétendre au remboursement des frais engagés. Elle estime, cependant, que les textes pèchent par l'insuffisance des dispositions relatives à la validation des comptes de campagne. Ainsi, si ceux-ci doivent obtenir le quitus d'un commissaire aux comptes et être validés par le Conseil constitutionnel avant d'être publiés au Journal officiel, Mme Bennabou insiste sur le fait qu'il est rare de voir celui-ci rejeter les comptes de campagne d'un candidat dont la candidature et l'élection à la magistrature suprême du pays a été validée. Elle précise aussi que le rejet des comptes de campagne n'induit pas de sanction notable pour le candidat concerné car il n'est fait état, dans le cadre de la loi électorale, que de l'impossibilité de prétendre au remboursement des frais engagés. Ainsi, à titre de comparaison, Mme Bennabou estime que si en France, on voit aujourd'hui la dénonciation de plusieurs scandales politico-financiers, c'est bien grâce à l'existence de nombreux garde-fous. Au-delà de l'indépendance de la justice qui peut se saisir en cas de transactions douteuses, la constitutionnaliste évoque une batterie de mesures prises en France dans le cadre la loi de janvier 1995, qui établissent que les comptes de campagne doivent être examinés par une commission d'experts indépendants et être validés par la Cour des comptes ; elle met également en place des sanctions dissuasives impliquant des poursuites pénales et même l'inéligibilité.