Plusieurs enseignants que nous avons interrogés à Oran ont exprimé leur sentiment d'être «dévalorisés». Sont-ils satisfaits de leur métier ? Sont-ils considérés ? Sont-ils écoutés ? Abdelkader Benfiroud est en colère. A 45 ans, cet enseignant de français depuis cinq ans dans un lycée à Chteibo, quartier déshérité greffé comme une métastase à la périphérie d'Oran, estime que les enseignants sont dévalorisés. «Les enseignants veulent vraiment contribuer par leurs expériences et leurs idées pour améliorer la qualité de l'enseignement, mais ils ne sont pas écoutés. Le système est trop rigide. L'enseignant est réduit à la fonction d'exécutant de tout ce qui vient d'en haut. L'enseignant devra jouir d'une certaine autonomie pour pouvoir exprimer tout son potentiel», dit-il. «L'enseignant est loin d'être considéré à sa juste valeur. Nous assistons à une dévalorisation du métier d'enseignant», déplore Djelloul Nair qui a un très long parcours comme enseignant de français à Oran. «Les réformes que nous subissons ne sont pas pensées, réfléchies. Nous n'y participons pas directement», regrette-t-il. D'emblée, M. Benfiroud souligne la nécessité de bannir le parcoeurisme pour laisser place à la compréhension intelligente des leçons. Il en va ainsi de l'évaluation basée sur le parcoeurisme. «Pourtant théoriquement, l'on nous parle de l'approche par compétences», fait-il remarquer. Cette approche, qui consiste en un apprentissage plus concret, plus actif et plus durable, n'a jamais été appliquée sur le terrain. Pourtant, elle est un des éléments clés des réformes actuelles pour adapter l'école aux besoins de notre temps. Elle consiste à définir les compétences dont chaque élève a besoin pour passer à l'étape suivante de son parcours scolaire, pour accéder à une qualification et pour être préparé à l'apprentissage tout au long de la vie. «Il faut former des citoyens éclairés sans faire de formatage en développant leur sens d'analyse, de synthèse, de critique et leur autonomie», plaide M. Hakem, professeur de mathématiques au lycée Colonel Lotfi d'Oran et porte-parole du CLA et Fondateur des syndicats autonomes SNAPEST et CLA. L'Ecole algérienne a de tout temps été un enjeu de populisme. «En plus d'une orientation contestée et du système d'évaluation ne répondant pas aux exigences d'une bonne qualité d'enseignement, le cycle secondaire subit les méfaits d'une politique populiste qui se veut être plus ‘'sociale'' que pédagogique. Pour s'attaquer au phénomène de la déperdition scolaire, le système a produit une clochardisation scolaire en permettant aux élèves qui n'ont ni la volonté ni la compétence de refaire l'année sans limite. Ainsi, on retrouve des élèves de 22 ans dans des classes de terminale. Résultat : faible taux de réussite au bac, recrudescence de la violence dans les lycées, fléaux sociaux en milieu scolaire etc.», pointe du doigt Larbi Nouar, professeur de mathématiques au lycée et coordonnateur national du CNAPEST, tout en prenant le soin de préciser qu'il exprime son point de vue personnel. Ce dernier plaide pour «un système d'évaluation sélectif et une orientation objective». «Toutes les précédentes réformes n'ont pas pu améliorer la qualité de l'enseignement, bien au contraire, elles n'ont fait que compliquer et alourdir les contenus pour les rendre inassimilables. Il est absolument urgent d'alléger les programmes en les simplifiant», insiste M. Benfiroud. «Le cycle primaire est encombré par d'innombrables matières qui rendent la tâche des enseignants et des apprenants assez pénible et moins rentable. C'est le cas des éducations (civique, morale et islamique). Du moment où l'objectif de l'enseignement primaire est d'apprendre à l'élève à lire, à écrire et à compter, il est nécessaire de s'appuyer sur les matières structurantes (les langues et les maths)», estime M. Nouar. Tout comme lui, Mohamed Aous, enseignant de langue arabe et coordinateur régional Ouest du SNAPEST, réclame «un allègement urgent et intelligent des programmes pour laisser place aux révisions en fin d'année». «Il faut favoriser le développement de pratiques éducatives plus participatives, en donnant toute leur place aux activités récréatives, artistiques et sportives», souhaite M. Hakem. M. Benfiroud propose «un BAC à deux sessions : une pour les matières secondaires qui validera la deuxième année secondaire et une autre session en terminale pour les matières principales». «Les trois examens (5ème, BEM et BAC) doivent se décliner en deux sessions», souhaite M. Aous. «Force est de constater que le BEM est un brevet littéraire. Les matières littéraires totalisent un coefficient de 16, tandis que les matières scientifiques n'en ont que 8. Avec un tel système d'évaluation, les élèves les mieux classés n'ont peut-être pas les profils de scientifiques, mais ils seront admis en première année secondaire dans les filières dédiées aux sciences», s'étonne M. Nouar. «L'orientation pour l'accès au lycée doit être revue et corrigée. Les élèves doivent être dirigés en classe de sciences et lettres selon leurs moyennes dans ces matières et non selon les moyennes générales. Cela explique pourquoi les élèves de lettres sont très faibles car ce sont les plus nuls», regrette M. Nair. Autre anomalie relevée par M. Benfiroud : «Il y a un grand décalage entre les pré requis que les élèves n'ont même pas en arrivant au lycée et le contenu des programmes», observe-t-il. «Le programme de Français au lycée est très avancé alors que les bataillons d'élèves qui arrivent du collège ont un niveau très faible. Le fossé est énorme. D'où le décrochage», déplore-t-il. M. Abbès, enseignant à la retraite fustige le contenu des manuels scolaires: «Sur quelle base choisit-on les textes ? Le manuel est bourré de textes incompréhensibles, incohérents et illisibles !» Bien former les enseignants pour mieux réformer La ministre de l'Education nationale, Nouria Benghebrit, promet de «promouvoir la formation des enseignants». Comment améliorer cette formation ? «Une formation sélective, exigeante et continue des enseignants est la clé de réussite de toute réforme». C'est le diagnostic des syndicalistes interrogés. «Nous souhaitons que les sciences de l'éducation soient enseignées comme spécialité à l'université dont le cursus inclura deux années de formation psychopédagogique», souligne M. Aous. «Les enseignants doivent pouvoir bénéficier d'une vraie formation initiale et continue», estime M. Hakem. La ministre vient d'annoncer que son département compte recruter 24 000 enseignants sur la base d'une évaluation qui se fera entre le15 et le 30 août. Le système de recrutement actuel garantit-il une embauche de qualité ? «Le recrutement des enseignants incombait exclusivement aux écoles normales spécialisées dans la formation des enseignants. Mais, eu égard au déficit en enseignants sortants de ces écoles, l'on a souvent recouru à l'organisation des concours de recrutement. Des concours initialement conçus comme une mesure provisoire mais qui ont duré longtemps. C'est le provisoire qui dure ! Il est impératif de rouvrir les ex-ITE», plaide M. Nouar. «Les enseignants n'ont bénéficié d'aucune formation préalable à l'application des réformes. Ils sont des laissés-pour-compte. Ils ont subi les nouveaux programmes et les nouvelles méthodes d'enseignement basées sur l'approche par compétences sans aucune formation», regrette ce syndicaliste. M. Hakem cite le cas de la Finlande, un des meilleurs exemples de recrutement au monde. «La pédagogie, la connaissance de la psychologie de l'enfant et les théories de l'apprentissage gardent aujourd'hui une place prépondérante dans les masters d'enseignement des professeurs dans ce pays». «Dans ce pays nordique, la profession d'enseignant est très attractive. Les candidats au métier de professeur d'école sont nombreux à se bousculer aux portes des facultés d'éducation. Les candidats doivent avoir une expérience d'au moins un an comme assistants d'éducation. On cherche avant tout à évaluer chez les candidats, plus qu'une compétence académique, l'intérêt réel pour les enfants». «La formation des enseignants devait avoir comme but de faire apparaître chez l'enseignant trois vertus essentielles, à savoir : la disponibilité, la compétence et la responsabilité. Un enseignant responsable doit être disponible et compétent à la fois. Il doit avoir une conscience inséparable du sens de sa propre responsabilité sociale. L'enseignant efficace est celui qui parviendra à mesurer exactement la signification de son rôle social, celle des moyens qu'il emploie, des méthodes qu'il expérimente. L'enseignant efficace est ainsi celui qui devient capable de porter sur soi-même un jugement critique. Tout enseignant conscient de son rôle a une double responsabilité : une responsabilité sociale vis-à-vis de son groupe et une responsabilité humaine vis-à-vis de ses propres élèves. C'est bien un enseignant autonome qu'il convient de former.» Paroles de syndicalistes Connus et reconnus comme étant des acteurs majeurs du front social dans sa matrice éminemment revendicative, les syndicats restent, paradoxalement, peu audibles sur tout ce qui a trait à la conception de la réforme de l'institution éducative, notamment dans son segment pédagogique. Quel en est leur apport ? «Au sein de notre syndicat, nous n'avons jamais organisé un débat sur le système éducatif», affirme Larbi Nouar, coordonnateur national du CNAPESTE. «Les syndicats n'ont eu aucun apport dans la conception de la réforme éducative sur tous les volets», dit également Bachir Hakem, porte-parole du CLA et fondateur du SNAPEST et du CLA. Les revendications socioprofessionnelles ont, certes, pris le dessus sur le plan pédagogique, mais nous n'avons jamais raté la moindre occasion pour «émettre des propositions visant à améliorer la qualité de l'enseignement», nuance, de son côté, Mohamed Aous, coordinateur régional Ouest du SNAPEST. «En 2003, les syndicats (dont notamment le CLA avant que le SNAPEST ne prenne le relais) se sont opposés au démantèlement des lycées techniques», rappelle-t-il. «Il y a 11 ans, une réforme fut imposée, avec le démantèlement des lycées techniques et des milliards d'équipement modernes sont partis en fumée. Le CLA dénonce cette réforme et continue sa lutte pour rouvrir les lycées techniques et la création de baccalauréat professionnel car le manque d'ouvriers qualifiés est de plus en plus grand», lance M. Hakem. M. Aous propose de «généraliser et rendre obligatoire le préscolaire et le doter d'un programme officiel». L'outil pédagogique doit être modernisé et les vacances scolaires doivent être adaptées aux spécificités et au climat des régions, l'Algérie étant un vaste territoire et diversifié. «Il faut absolument consacrer le droit pour tous les élèves en difficulté d'accéder à un soutien scolaire», plaide encore M. Aous. «Le soutien scolaire est géré d'une façon administrative et rigide. Dans le cas où l'enseignant accomplit le volume horaire exigé, ses heures supplémentaires sont rémunérées à raison de 225 DA brut de l'heure dans le secondaire. Ceci ne pourra jamais aboutir à un résultat positif. Il faut revaloriser la rémunération des heures supplémentaires car la qualité se paye», insiste M. Nouar. La ministre de l'Education a annoncé, la semaine dernière, «la généralisation du système des cours de soutien à tous les élèves des classes d'examen, en collaboration avec les walis, les collectivités locales». Une mesure bien accueillie par les enseignants interrogés. Mais ces derniers estiment que «beaucoup reste à faire». Dur, dur de réformer l'Ecole algérienne!