L'exposé de Sadi n'est pas très loin, en effet, du Procès écrit par Franz Kafka : il est tout aussi poignant, révoltant, déroutant. « Cette affaire, dira l'orateur, est un symptôme préoccupant pour le devenir politique de l'Algérie. » Pour lui, la nouveauté dans ce dossier tient à deux éléments d'une particulière gravité. Le premier, selon lui, est lié au fait que c'est la police qui gère l'affaire depuis le début. « Le huis clos décidé n'a pas été le fait de la cour, mais de la DGSN qui veut éviter les contradictions, les incohérences et autres violations de procédures commises tout au long de l'instruction », a-t-il expliqué. « Le deuxième élément, poursuit-il, vient du fait que nous sommes en face d'une prise d'otages : c'est la première fois que des parents d'un opposant politique sont pris en otages pendant si longtemps. » Le dossier Fréha révèle, aux yeux du leader du RCD, deux données importantes : un asservissement policier de l'instruction judiciaire pour la mettre au service de l'arbitraire et un choix stratégique attestant d'une volonté d'étouffer et de soumettre l'opposition par toutes sortes de moyens. Pour bien expliquer le fond de cette affaire qui sort carrément du registre de l'imaginable, le leader du RCD, documents et preuves à l'appui, revient au contexte politique de l'époque. « En plus de l'exécution par les gendarmes de plusieurs dizaines de jeunes, il y a eu, en Kabylie, entre 2001 et 2002, 152 incendies de locaux, dont certains ont provoqué mort d'homme, notamment à Chemini, Sidi Aïch », a-t-il rappelé avant d'observer qu'en dehors de Fréha, localité d'origine des deux parents du président du RCD, inculpés dans cette affaire, aucune autre procédure judiciaire n'a été engagée. Le contexte « Deux semaines avant le vote, les représentants du RCD en Kabylie sont l'objet de raids de délinquants, souvent nocturnes. Ces agressions contraignent le parti à mobiliser les militants et à organiser des tours de garde permanente, dans la quasi-totalité de ses locaux », a rappelé le docteur Sadi. Ce n'est pas tout : « Moins de dix jours avant le 8 avril, ajoute-t-il, une douzaine d'individus, inconnus dans la commune, s'installe à Fréha, déjeune et dîne aux frais de l'administration dans un restaurant de la bourgade et s'occupe quotidiennement à menacer et provoquer les citoyens en exhibant tantôt des armes blanches, tantôt des armes à feu. » Sitôt informé de cette « intrusion », le candidat Saïd Sadi interpelle le ministère de la Défense nationale, qui s'était engagé à veiller à la neutralité de l'administration. « Vaccinés par le retrait des six candidats en 1999, les militaires ordonnent, dès le lendemain, le départ des douze intrus », souligne le conférencier. « Le jour même du vote, ajoute l'ancien candidat à la présidentielle, dans les localités où Bouteflika dispose de quelques soutiens, il n'y a aucun incident. Par contre, en dehors de ces endroits, la Kabylie connaît d'autres provocations, émanant étrangement aussi des services de sécurité eux-mêmes. » Genèse de l'affaire « A la veille du scrutin du 8 avril, à Fréha, un kiosque, appartenant à Allouache (...), vendant parfums et autres cosmétiques, est carrément incendié. Le frère du propriétaire, qui y avait fait des travaux de soudure la veille, ne peut se réveiller malgré la chaleur et les odeurs qui s'y propagent. Alertés en revanche par la fumée et les flammes, deux militants du RCD, de garde dans le local RCD voisin, interviennent alors, forcent la porte et découvrent le dormeur, inanimé mais vivant », rapporte le président du RCD. Selon ce dernier, les deux militants prennent en charge le concerné et le déposent, peu après, à l'hôpital de Azazga, où il décédera quelques instants plus tard. « Ces secouristes sont ceux-là mêmes que la police convoque. Obtempérant tout naturellement à cette convocation, les deux inculpés, parents proches du président du RCD, sont aussitôt écroués », affirme l'orateur. L'instruction, selon Sadi, est menée, depuis, uniquement à charge et à tambour battant. « Le juge d'instruction a refusé d'entendre tous les témoins à décharge et a, dès le départ, orienté la procédure dans le seul but de répondre à la demande d'arrestation des deux mis en cause », remarque Sadi. Pis encore, estime-t-il, un cas de subornation de témoins avéré a été délibérément ignoré et la police judiciaire ne s'est jamais déplacée sur les lieux du drame. « Elle a élaboré son rapport sur la base d'instructions données à partir d'Alger », tranche le leader du RCD. Plus loin, le patron du rassemblement dévoile d'autres détails, non moins importants : « La reconstitution des faits est exécutée aussi dans des termes douteux, tandis que la chambre d'accusation, comme la Cour suprême, confirment de leur côté une procédure grossièrement tendancieuse. » Saïd Sadi a relevé également une flagrante contradiction dans l'enquête de moralité de l'un des deux prévenus : « L'officier de police judiciaire écrit ceci : “Sans antécédents judiciaires, inconnu des services de police…” avant de conclure : ”réputation très mauvaise” » ! Ce prévenu, un excellent étudiant, se verra même, selon le conférencier, refuser le droit de passer ses examens, malgré l'accord du comité pédagogique de son institut et, surtout, la loi qui l'y autorise. En conclusion, le président du RCD a tranché dans le vif : « L'incendie du kiosque de Fréha semble avoir été dicté par le souci de perturber le vote, y compris dans la région d'origine du candidat Sadi, de provoquer et d'entretenir des tensions dans la région, de terroriser les citoyens, particulièrement les étudiants, en montrant que même la famille d'un responsable politique n'échappe pas à l'arbitraire de Bouteflika. »