La rencontre qui s'est tenue lundi à la Bibliothèque nationale d'El Hamma a réuni quelques-uns des principaux acteurs du monde du théâtre et de la danse autour de la nouvelle ministre de la Culture. S'ils ont salué cette initiative de Madame Nadia Labidi, tous ont dressé un constat sans appel de la situation dramatique du théâtre algérien et formulé des propositions pour une sortie de crise. Cette rencontre ouverte et assez informelle autour des arts de la scène a permis aux intervenants de pointer du doigt les dysfonctionnements et les maux du domaine. La formation a été au cœur du débat et l'urgence de repenser l'Institut supérieur des métiers des arts du spectacle (ISMAS) a fait consensus. Cet institut qui regroupe actuellement la formation pour les métiers du cinéma et du théâtre et abrite le Ballet national n'est plus efficient, selon les aveux de Nadia Labidi elle-même. Omar Fetmouche n'hésitera pas à user du qualificatif de «catastrophique» pour évoquer «la médiocrité» de la formation. Il proposera d'axer le recrutement non plus sur les diplômes mais sur la compétence et la passion pour le théâtre. Mme Labidi abondera dans son sens en affichant sa volonté d'impliquer le secteur de la formation professionnelle. Quant au Ballet national, il a été qualifié de «maillon faible» des arts de la scène faute de structures et de financement dignes d'une telle institution. Le chorégraphe Slimane Habès a, pour sa part, souligné la créativité des compagnies indépendantes qui devraient, selon lui, être encouragées en priorité. Il en va de même pour les coopératives théâtrales qui sont encadrées encore par des textes juridiques datant de l'ère socialiste ! Ahmed Benaïssa a crevé l'abcès en déclarant : «Nous sommes dans une économie de marché. Il est nécessaire de libérer les initiatives privées». Il a également souligné «l'aliénation» des jeunes par les sommes faramineuses injectées dans le domaine théâtral dans une logique rentière. Madame Labidi a jugé que l'ouverture du théâtre au privé était tout à fait envisageable. Elle ajoutera qu'une réflexion est engagée pour la création d'un «Ansej de la culture». Ce dispositif d'aide à la création d'entreprise s'adapterait ainsi aux métiers de la culture, que devront répertorier les acteurs du domaine, a-t-elle annoncé. La nécessaire mise en valeur de la culture de proximité a été au cœur des débats. Haroun Kilani a souligné le manque dramatique de théâtres et d'instituts de formation régionaux dans le sud du pays. Le rôle des conservatoires, comme pépinières de talents, a aussi été rappelé. Sur ce sujet comme sur d'autres, le mal d'une administration lourde, opaque et ignorante de la chose artistique a été diagnostiqué à l'unanimité. Le jeune comédien Faouzi Benbrahim a résumé la situation en appelant à sortir de la pensée administrative des «programmes», qui ne sont souvent rien d'autre que des justifications vis-à-vis de la hiérarchie, pour s'orienter vers une pensée de «projets» centrés sur l'artiste et l'œuvre d'art. Dans le même sens, Slimane Benaïssa a vertement critiqué le bilan du ministère de la Culture à ce jour : «Il faut sortir du fait du prince qui fait de l'artiste un bouffon ! Arrêtons avec le ‘‘sous le haut patronage''… L'Etat n'est pas mécène, il s'agit de l'argent public !» Il a aussi appelé à faire confiance aux compétences nationales avant d'inviter des artistes étrangers au prix fort. Nadia Labidi a précisément annoncé que son rôle est de «regagner la confiance des artistes et de rétablir la transparence», ajoutant qu'il s'agit-là de «recommandations du président de la République». Au-delà de l'aspect cathartique de ces rencontres qui permettent aux artistes «d'exprimer leurs malheurs pour les atténuer», des décisions concrètes devraient sortir des assises de la culture annoncées pour «après septembre».