C'est dans un bel état d'esprit que le spectacle d'ouverture sera donné à la salle Bleue, lieu retenu pour abriter la manifestation officielle. C oncocté par le sympathique Benmaâlem, la fresque retracera l'interminable parcours poétique, culturel, musical et épique de Mostaganem et de Mazagran, sa voisine et néanmoins devancière. Appuyé par un double montage audiovisuel qui sera simultanément projeté sur deux écrans, le spectacle sera accompagné de chorégraphies et de rôles de composition. Autour de la trame centrale, le réalisateur fera appel à deux meddahine afin d'accompagner les documentaires. Les textes, pour la plupart empruntés au patrimoine poétique local, seront simultanément déclamés de chaque côté de la scène. Mais le réalisateur osera une première entorse en faisant jouer une jeune comédienne qui finira par s'imposer pour littéralement exploser dans son rôle, reléguant à l'arrière plan ses deux virils compères. Un véritable pied de nez à l'adresse des conservateurs de tous bords. D'autant que la jeune actrice ne manquera ni d'audace ni de talent. D'une voix limpide et d'une élocution parfaite, la jeune actrice appartient désormais au gotha des jeunes amateurs atteints de la grâce. C'est à sa seule présence que le spectacle parviendra par moments à se hisser à un niveau raisonnable. Ayant délibérément choisi la difficulté, le réalisateur n'accédera que par moments à la félicité. Outre un travail d'historien pour lequel il n'était pas préparé, Benmaâlem pêchera également par amateurisme lorsqu'il s'essayera à une technique que seul Khaled Belhadj parviendra, à travers plusieurs productions, à porter au firmament. En effet, parvenir à une réelle maîtrise des NTIC et les mettre au service d'une œuvre éminemment culturelle dans laquelle les aspects scénographiques, plastiques et esthétiques se complètent dans une harmonie quasi parfaite, n'est pas une sinécure. Ahmed Benmaâlem l'aura appris à ses dépens. Cependant, son spectacle recèle quelques moments de rare bonheur que seuls les artistes authentiques peuvent produire. A l'image de Kaki dont la voix « off » rappela que le seul théâtre qui vaille la peine d'être produit est celui qui plaît au jeune public, martelant avec conviction et sincérité que « ce théâtre n'est pas le théâtre de Kaki mais celui de la jeunesse ». Un délicieux moment d'émotion que le public écoutera dans un silence pénétrant. C'est à raison qu'à la fin de ce trop court extrait, il offrira la plus longue et la plus appuyée des ovations à ce fils de Tigditt qui fit les beaux jours du théâtre national. Le feu de la contestation Interprétée en tamazight, la pièce présentée par la troupe Taourirt Amokrane aura eu l'insigne honneur d'ouvrir le festival. Partant avec le terrible handicap de la langue, les comédiens se devaient de jouer exclusivement sur le registre de la scénographie, de la tragédie et de la contestation. Dans une certaine mesure, ils y parviendront sans peine. Notamment dans la chorégraphie, les costumes, la musique et les chants ainsi que dans la narration des situations. Si l'ensemble des acteurs saura tirer son épingle du jeu, il est incontestable que le forgeron — interprété par H. Hamid — fera montre de réelles capacités dramaturgiques. Chants et chorale, mis au point par Hamdi Azzedine, accompagneront avec délicatesse le jeu d'acteurs. Notamment la longue complainte finale qui ponctuera sans doute le moment le plus dramatique de la pièce. Après la mort violente de son bien-aimé de forgeron, la princesse passera sans transition de la douleur à la résignation. Qui peut parfois mener à la folie. Une issue fatale que l'auteur de la pièce, Mokrab Lyès, ne fera que suggérer. Par l'intermédiaire d'une longue complainte interprétée avec justesse et abnégation par la séduisante Dahbia. Un véritable instant de bonheur que le public vivra dans une parfaite harmonie et une insoutenable émotion. En présentant Le feu dans leur langue maternelle, les comédiens des cimes enneigées auront également su conquérir un public difficile. La communion n'aura été possible sans cet insaisissable ingrédient qu'est la contestation. Du dieu feu, de l'amour enflammé entre une belle princesse et un coriace forgeron et de l'ordre en place. Entre le feu de la contestation que la narratrice n'aura pas cessé d'attiser durant toute la pièce, l'auteur réalisateur parviendra à exacerber les sentiments de révolte jusqu'à entraîner la mort du plus faible socialement. Des invités bien encombrants En effet, cette comédie met en jeu les rouages qui permettent au système de survivre et de se perpétuer grâce à un jeu de coulisses où les plus entreprenants ne sont pas toujours les gagnants. En remettant au goût du jour le café théâtre, avec ses situations les plus burlesques, les comédiens chélifiens auront certainement fait le meilleur choix possible pour revenir sur une période d'une insoutenable actualité. Celle du racket organisé qui se joue d'un sénateur potiche pour parvenir à toutes les fins. Des plus inavouables au plus cocasses. Mais Abdelhamid Belkhodja, le metteur en scène, nous réservera beaucoup de surprises. En effet, malgré une certaine lourdeur qui de temps à autre vient casser le rythme, Les invités du sénateur est une pièce qui lui vaudra énormément de satisfaction. Renouant avec courage et lucidité avec les terribles années de l'islamisme intégriste sanguinaire, il parviendra souvent, avec en prime un humour qui fait la force de sa comédie, à parler de ces tabous que sont la corruption à grande échelle, la prévarication et la forfaiture qui sont les véritables fléaux sur lesquels l'islamisme contestataire s'appuiera pour recruter à grande échelle. Il parviendra à faire se rencontrer dans le salon du sénateur des vrais et des faux terroristes, des agents doubles dont on ne sait s'ils appartiennent aux services ou s'il s'agit de membres de la mafia politico-financière locale qui nomme et dégomme les ministres et les ambassadeurs à la vitesse de la lumière. Des moments de pur bonheur arc-boutés sur une amère actualité qui font de cette pièce une œuvre qui mérite toutes les attentions. Pas celles consacrées par le jury du festival qui ne relèvent que de sa seule compétence, mais celles liées à la distribution. Car c'est faire preuve de vigilance que de rappeler, même en s'appuyant sur la comédie, que la corruption et le terrorisme firent souvent bon ménage. Une petite tournée nationale pour l'association chélifienne serait le meilleur hommage à tous les patriotes de ce pays.