Comment en sommes-nous arrivés là ? Le drame, qui s'est produit, samedi soir au stade de Tizi Ouzou, restera irrémédiablement une tache noire dans l'histoire prestigieuse du club du Djurdjura et du sport algérien. Cet odieux acte couronne tragiquement la décadence d'un football national aux mains de dirigeants véreux mus uniquement par le seul souci de se faire de l'argent. La Jeunesse sportive de Kabylie est plus qu'un club. Il a été pendant longtemps un espace autour duquel s'est forgée une conscience politique et d'éducation citoyenne quand la parole libre était interdite. C'était un symbole pas seulement d'une région mais de tout un pays. Son emblème est arboré fièrement dans toute l'Afrique. Ce continent qui tente de s'en sortir grâce aussi au génie de ses joueurs de football qui procurent du bonheur aux millions de personnes dans le monde. Le Cameroun, pays d'Albert Ebossé, en est le cœur vivant. La JSK, autrefois grande tribune d'expression politique, depuis la mort tragique de son meilleur joueur, devient un nom qui sera difficile à porter. Il ne va plus renvoyer à la gloire des années d'or, mais devient désormais le symbole d'une déchéance, d'une clochardisation qui gangrènent tous les secteurs de la vie publique. Les présidents des clubs de football sont devenus des potentats locaux qui ont accaparé les équipes pour en faire de grands centres commerciaux privés avec la complicité politique d'Alger. La JSK n'a pas échappé à cette règle de la marchandisation outrancière du football qui a fait perdre au club son âme. Elle a dévoyé la JSK comme tous les autres clubs de leur mission d'éducation de la jeunesse et de transmission des valeurs de paix, de tolérance, de sérénité et de sportivité. Depuis quelques années, la violence rythme les compétitions sportives. Non seulement dans les tribunes, mais également sur le terrain. Les joueurs censés donner l'exemple de fair-play sont comme des gladiateurs qui passent plus de temps à se bagarrer qu'à jouer au foot. Les matchs ne se gagnent plus sur le rectangle vert, mais dans les coulisses où transite l'argent sale. Pour pouvoir durer, ces dirigeants de club recrutent au sein d'une jeunesse désœuvrée pour en faire des hordes faisant régner la terreur dans les stades et les villes. Tizi Ouzou n'y a pas échappé. Le vocabulaire sportif a dangereusement laissé place à une littérature guerrière avant, pendant et après chaque match. Les stades sont devenus des arènes où se déverse la violence accumulée d'une jeunesse livrée à elle-même. Les week-ends sportifs sont devenus des rendez-vous avec la mort où se cristallise une névrose générale. Les pouvoirs publics qui agissent avec une légèreté déconcertante endossent une grande responsabilité. Au lieu de prendre à bras-le-corps un aussi grave problème qu'est la violence, les décideurs politiques jouent avec le feu en instrumentalisant vulgairement les sports. Parce que mobilisateurs, les clubs de football sont devenus également des instruments entre leurs mains pour en faire des vecteurs de leur «politique». Lors des rendez-vous électoraux, le pouvoir s'appuie sur ces clubs transformés en comités de soutien et exploite abusivement leur prestige pour chasser des voix. Dans une récente interview télévisée, Albert Ebossé disait : «Le foot n'est qu'un sport, un plaisir…» En Algérie, cher Albert, le foot comme la religion, on en a fait un opium dévastateur.