Annoncée de longue date, la suppression de l'article 87 bis relatif aux relations de travail sera l'un des dossiers phares de cette nouvelle rentrée sociale. Cette suppression ayant été entérinée dans le cadre de la loi de finances 2015, c'est maintenant la redéfinition du SNMG (Salaire minimum garanti), objet de l'article en question qui suscite débat et quelques inquiétudes dans le monde du travail. L'article 87 bis de la loi 90-11 relative aux relations de travail stipulait que «le Salaire minimum national garanti (SMNG) doit comprendre le salaire de base, les primes et les indemnités, quelle que soit leur nature, à l'exception des indemnités versées pour payer les dépenses assumées par le travailleur». Une définition qui relativise toute augmentation pour les catégories de travailleurs payés au SNMG qui après imposition se trouvent avec moins de 18 000 dinars par mois. De ce point de vue, la suppression de cet article doit faire en sorte que «le salaire de base devienne le SNMG» pour tous les travailleurs qui touchaient moins, explique Rachid Malaoui, porte-parole du Syndicat national du personnel de l'administration publique (SNAPAP). En d'autres termes, plus aucun travailleur ne sera payé à moins de 18000 dinars par mois. Et selon notre interlocuteur, ils seraient nombreux à en bénéficier. Fonction publique et secteurs économiques compris, ils seraient «plus de 4 millions à toucher moins 18 000 dinars par mois», dit-il. La décision du gouvernement qui a fini par reconnaître l'inadéquation de l'article 87 bis avec la nouvelle réalité économique et sociale est donc louable. Pourtant, elle suscite quelques «inquiétudes légitimes», de l'avis de Smaïn Kouadria, député du Parti des Travailleurs et syndicaliste. Car, si la suppression est acquise, on ignore encore ce qui remplacera le 87 bis. «Le président de la République a parlé d'abrogation, alors que le plan d'action du gouvernement parle de réaménagement. Il y a une ambiguïté», estime notre interlocuteur. Certains représentants des travailleurs craignent en fait qu'il y ait l'adoption d'une nouvelle définition du SNMG qui réduirait la portée d'une suppression pure et simple de l'article. «Pour limiter les pertes pour le Trésor, le gouvernement pourrait adopter une nouvelle définition dans laquelle on rajouterait une nouvelle indemnité par exemple», explique le porte-parole du Snapap. Plus clairement, M. Kouadria considère que dans ce dossier il y a deux possibilités. Soit une suppression pure et simple de l'article et dont l'impact toucherait «3 millions de travailleurs payés à moins de 18000 dinars par mois, soit une suppression suivie d'un réaménagement de la définition précédente qui n'impacterait le salaire que de 1,2 million de travailleurs seulement». Ce réaménagement pourrait se traduire par exemple par «maintenir dans le calcul du SNMG certaines primes et indemnités qui ont un impact financier sur les salaires, telle que l'indemnité d'expérience professionnelle ou encore la prime de productivité». Une inquiétude exprimée à peine quelques heures avant que le contenu de l'avant-projet de loi du nouveau code du travail ne soit dévoilé dans la presse. Un texte qui semble nettement justifier ces craintes à la lecture de la nouvelle définition du SNMG qui, en effet, maintient certaines primes et stipule que ce salaire comprend «le salaire de base, ainsi que les primes liées à la productivité, au rendement et aux résultats du travail. Les primes et indemnités exclues seront définies par voie réglementaire». Il faut dire que l'une des raisons qui a jusque-là fait hésiter le gouvernement quant à la suppression de cet article, figure le manque à gagner qui serait supporté par le Trésor public. L'Union générale des travailleurs algériens (UGTA) a avancé à ce sujet un chiffre de 2400 milliards de dinars. Ils viendraient s'ajouter aux efforts consentis entre 2010 et 2012 dans le cadre du nouveau régime indemnitaire avec effet rétroactif. De 1126 milliards DA en 2008, la masse salariale des fonctionnaires est passée à 2850 milliards DA pour l'exercice 2012. Impact L'ancien ministre du Travail, Tayeb Louh, avait également évoqué l'impact financier sur le secteur économique dont plusieurs dirigeants avaient mis en avant «l'incapacité des entreprises publiques à prendre en charge ces effets, allant jusqu'à évoquer le licenciement de travailleurs». Il avait précisé dans l'une des ses interventions devant l'Assemblée populaire nationale au début de cette année que le Trésor avait pris en charge le règlement de 32 milliards de dinars d'arriérés de salaire des travailleurs dans le secteur public entre 2004 et 2012. D'où l'intérêt, avait-il précisé, que la nouvelle formule du SNMG garantisse non seulement le droit des travailleurs, mais également celui des entreprises économiques publiques et privées. Toutefois, pour les représentants des travailleurs, l'impact financier de cette abrogation ne constitue pas une justification. Smaïn Kouadria estime que les ressources financières sont là et il y a même moyen d'en trouver d'autres. Les recettes de l'IRG (Impôt sur le revenu global) «rapportent déjà à l'Etat 4 milliards de dollars, les entreprises publiques économiques ont vu leur chiffre d'affaires augmenter de 18% en 2013, selon l'ONS, il y a une reprise de production et on peut toujours imposer un impôt sur la fortune», argumente-t-il. De son côté, Rachid Malaoui estime qu'il y a toute «la corruption, les gaspillages et la gabegie au niveau des finances de l'Etat et des marchés publics» qui constituent autant de ressources d'argent. Quant aux entreprises privées qui s'inquiéteraient de ne pouvoir prendre en charge l'impact financier, le porte-parole du Snapap considère qu'elles ont déjà bénéficié de beaucoup d'avantages à travers «les crédits bancaires et les rééchelonnements des dettes.» Nivellement L'abrogation de l'article 87 bis aura donc une incidence notamment sur les salaires que l'UGTA a estimé à une «possible hausse de la masse salariale de 5 à 15%», selon son secrétaire national chargé des contentieux sociaux à l'UGTA, Telli Achour. Dans le secteur privé, certains patrons relativisent cependant l'impact. Djamel Mezine estime qu'il sera «limité», car il ne touchera que «10% de nos effectifs qui sont payés moins du SNMG». Pour Mouloud Kheloufi, président de l'AGEA (Association générale des entrepreneurs algériens), le traitement de ce dossier doit surtout permettre de «régulariser le statut de certains travailleurs. Nous avons des ouvriers qui travaillent à la tâche, mais que nous payons au forfait. La différence leur est reversée en cash et endossée par l'entreprise en tant que bénéfice imposable». Par ailleurs, le réaménagement du 87 bis «peut créer des conflits dans le monde du travail, car si on touche les bas salaires, il faudra aussi revaloriser les hauts salaires. Un non-diplômé ne peut pas être payé comme un non-diplômé», prévient M. Mezine. A ce sujet, le Snapap anticipe déjà les protestations à venir. «Il y aura un autre combat pour une nouvelle revalorisation de la grille salariale. Il n'est pas normal qu'un travailleur de catégorie 6 touche à peu près le même salaire qu'un autre de catégorie 10», explique M. Malaoui. Pour les patrons en revanche, si l'augmentation des salaires est inévitable, celle de la productivité doit l'être tout autant, dixit le président de la Confédération générale des entreprises algériennes (CGEA), Habib Yousfi.