Le procès de l'ex-chef de la brigade criminelle d'Alger, son adjoint et d'un citoyen, a été très riche hier en révélations qui ont jeté l'effroi dans la salle d'audience du tribunal de Baïnem. Les déclarations de nombreux policiers, convoqués en tant que témoins pour tenter de faire éclater la vérité sur ce qui s'est passé en cette journée du 21 juillet 2003, lorsque Gasmi Amirouche a été arrêté à Diar El Kaf (Bab el Oued) et en sa possession (ou non) deux kilos de drogue, n'ont finalement servi qu'à lever le voile sur une lutte d'intérêts entre deux clans ayant la mainmise sur la sûreté de wilaya et dont les victimes ne sont en fin de compte que les trois prévenus, lesquels chacun de son côté a crié au complot. L'ex-chef de la sûreté de wilaya, Sebbouh Abdelwahab, en personne, cité en tant que témoin, a bien résumé la situation en affirmant clairement : « Dans cette affaire, il y avait volonté de salir des personnes au lieu d'élucider le fait qu'un dealer arrêté avec 2,5 kg de kif soit remis en liberté sans que le procureur n'en soit informé ni de l'interpellation ni de la perquisition et encore moins de la mise en liberté ». Le premier appelé à la barre à été le commissaire principal, Yacine Oussadit, ancien chef de la brigade criminelle d'Alger. Il raconte que le 27 mars 2005, qu'après avoir été suspendu de son poste et mis à la disposition de la direction des ressources humaines, il a informé le chef de la sûreté de wilaya d'Alger, M. Sebbouh, de l'existence dans le coffre de la brigade criminelle d'une quantité de 2,5 kg de kif. Cette drogue, a-t-il expliqué, a été retrouvée sur Gasmi Amirouche, le 21 juillet 2003, lors d'une souricière tendue à la suite d'informations parvenues à son service. « Pourquoi avoir attendu deux années pour informer de l'existence de cette drogue ? », lui a demandé la présidente. Le prévenu s'est défendu en affirmant qu'il avait informé verbalement le chef de la police judiciaire, Messaoud Zayane et à plusieurs reprises. La magistrate veut comprendre comment s'est passé la souricière : « Qui était chargé de cette opération ? » M.Oussadit a répondu : « Les éléments de la section se sont déplacés sur les lieux à deux reprises. Une première fois, ils ont trouvé 500 gr puis 2 kg. Tout le monde était au courant, parce que l'interpellation a été annoncée par radio à la salle de contrôle. L'officier Azzoug Zidane a entendu Gasmi Amirouche et moi j'étais informé des détails par Zidane Bedra, qui a participé à l'opération. C'est alors que le chef de la police judiciaire, Zayane Messaoud, m'a appelé pour m'instruire de stopper la procédure et de remettre Gasmi Amirouche à Bahouri Lyes de la brigade de lutte contre la drogue dans l'éventualité du démantèlement du réseau. Ce dernier est venu avec Fateh et Saïd et il a pris avec lui Gasmi Amirouche en présence de tout le personnel du service. » La présidente a tenté de déstabiliser le prévenu en lui demandant pourquoi ne pas avoir exigé un écrit ou une décharge en contrepartie de la remise de Gasmi à Bahouri. L'ancien commissaire a tout simplement déclaré : « J'avais une confiance aveugle en Zayane, qui était mon ami de 20 ans. Je ne pouvais penser à ce moment qu'il fallait demander une décharge. » Non convaincue, la juge est revenue à la charge en s'interrogeant comment « un professionnel comme vous, avez-vous accepté de compromettre vos 28 années de carrière en remettant un suspect à un autre service sans aucune pièce documentaire ? Pourquoi avoir gardé les 2,5 kg de kif ? Pourquoi n'avez-vous pas pas informé le procureur ? » A cette pluie de questions, M.Oussadit a eu du mal à trouver des réponses convaincantes. Il a crié « au complot ourdi par des responsables », dont il a tu les noms. Appelé à la barre Amirouche Gasmi a nié en bloc avoir été arrêté en possession de kif. Il a fait état d'une version des faits tout à fait différente de celle avancée par le commissaire. « J'ai eu une altercation verbale avec quelqu'un qui m'avait prêté 20 000 DA. Pour lui faire peur je l'ai menacé avec un couteau. Une semaine plus tard, j'étais dans un café à Triolet, lorsque des policiers sont venus me demander de les suivre, parce que ce Mohamed, qui s'est avéré être un membre de la famille de M.Oussadit, aurait déposé plainte à mon encontre. J'ai été au commissariat central pour être entendu sur ces faits, puis ils m'ont demandé de signer le procès-verbal et je suis reparti. Je suis analphabète, je ne sais pas ce que j'ai signé. Ce n'est que deux ans après que j'ai découvert cette histoire de drogue. Pensez-vous qu'avec une telle quantité, les policiers m'auraient laissé partir ? », a-t-il raconté, tout en précisant ne pas connaître l'officier Lyes Bahouri. Appelé à la barre en tant que témoin, ce dernier a également démenti avoir pris Gasmi du bureau de la brigade criminelle. « Je ne peux aller dans ce service parce que j'étais en mission, dans le cadre d'une opération de saisie de 80 kg de kif, qui a eu lieu d'ailleurs le 22 juillet 2003. » Propos que M.Oussadit a rejeté en insistant sur le fait que Bahouri et Gasmi, étant tous les deux de Bab El Oued, se connaissaient. Citée également comme témoin, l'inspectrice Zidane Bedra, qui avait, selon elle, mené la souricière contre Gasmi a fait état de la même version des faits avancés par M.Oussadit, à savoir que la drogue appartient à Gasmi, lequel a été remis à l'officier Bahouri de la brigade de drogue et ses deux accompagnateurs, Fateh et Saïd. La magistrate lui a alors demandé s'il s'agit bel et bien de Gasmi, désignant l'accusé. « Je ne me rappelle pas bien de son visage, cela fait déjà trois ans. » « On ne demande pas une décharge au chef » L'inspectrice a relevé avec force détail, le sentiment de « frustration » engendré par la remise du suspect à la brigade de drogue, sur instruction de Messaoud Zayane. Les mêmes propos sont tenus par ses collègues (témoins), l'inspecteur Merad Sofiane de la section de recherche, le secrétaire de M.Oussadit, Menasria Toufik. Ce dernier a néanmoins fait état d'un détail surprenant. Selon lui, l'inspecteur Azoug Zidane a attiré l'attention du commissaire Oussadit sur la nécessité d'une décharge. « Lorsqu'il lui a fait cette remarque, le commissaire a répondu : vous êtes fou. On ne demande pas une décharge au chef de la Police judiciaire », a-t-il déclaré. La présidente l'a alors interrogé : « Pensez-vous que c'est normal de remettre un suspect sans décharge ? » « Non madame la présidente », lui a-t-il répondu. Déclarations confirmées par Azoug Zidane, lui aussi appelé à la barre en tant que témoin. « Pourquoi n'avez-vous pas informé les responsables ? Pourquoi n'avez-vous pas enregistré l'affaire sur le registre ? », lui a demandé la présidente. Le témoin a expliqué que « l'affaire était connue de tous. elle a été annoncée par radio. A aucun moment nous n'avions pensé qu'elle allait connaître cette cette tournure ». Anarchie et dysfonctionnement Smaïl Djallal et Mehar Rachid, tous deux des policiers convoqués en tant que témoins, ont fait état de leur participation à l'interpellation de Gasmi, en insistant sur le fait que ce dernier avait été remis à Bahouri, de la brigade des stupéfiants sans aucune décharge. Le représentant du ministère public a pour sa part tenté de piéger le commissaire Oussadit en lui demandant « une preuve quelconque » de la remise du suspect à Bahouri. Mais, le prévenu n'a pas réagi. « Avez-vous informé le procureur de l'opération d'interpellation ou de perquisition et en plus vous avez gardé les 2,5 kg de drogue dans votre bureau pendant plus de deux ans. Pourquoi ? » Le prévenu, quelque peu nerveux, est revenu sur les circonstances de son geste, mais la présidente lui rappelle la nécessité de répondre uniquement aux questions sans détail. L'autre témoin capital est le commissaire Ali Adel, chef de la division centre, au nom duquel le procès d'audition a été signé alors qu'il était en congé. « Moi-même j'ai signalé ce dysfonctionnement au niveau du service à mes responsables. Normalement je suis le chef du commissaire Oussadit, qui avait la charge de la brigade criminelle. Mais souvent il ne m'informait pas de ses actes de gestion. Il préférait communiquer directement avec le chef de la Police judiciaire, au lieu de passer par mes services. » L'officier a déclaré que même après sa reprise du travail, deux semaines plus tard, M.Oussadit ne l'a pas informé de l'affaire de Gasmi. Lorsque le scandale a éclaté il a été mis au courant et chargé de faire l'enquête. « J'ai trouvé une véritable anarchie dans le bureau de M.Oussadit. Les dossiers étaient mélangés et on a eu du mal à remettre de l'ordre. Des personnes ont fait exprès de faire disparaître certains documents », a-t-il noté. Déféré pour trafic d'influence, Bachir Benchaâl, adjoint de Oussadit a nié tous les faits qu'ils lui sont reprochés. Trois policiers l'ont accusé d'avoir fait pression sur eux pour dire que Messaoud Zayane a donné instruction afin de remettre Gasmi à la brigade de drogue. Merad Sofiane, Guenaz Redouane, Sara Tarek ont tous déclaré que Benchaâlal est venu les voir pour leur dire que Sebbour, chef de sûreté de wilaya allait être nommé DGSN et à ce titre il va leur assurer des promotions et des logements dans le cas où ils témoignent que c'est Messaoud Zayane qui a donné instruction pour remettre Gasmi à Bahouri. « J'ai eu peur alors j'ai signé le procès-verbal en le lisant à deux reprises et en laissant une marque, dans le cas où il serait trafiqué », a lancé Merad Sofiane. Des propos qui ont fait sortir la présidente de ses gonds. « Je suis vraiment abasourdie. D'un côté, trois policiers qui disent avoir subi des pressions pour signer des procès-verbaux, d'un autre deux autres groupes de policiers, l'un affirme avoir arrêté et remis Gasmi à Bahouri et l'autre dit le contraire. Et chacun des trois crie au complot. Ce qui se passe à la police est très inquiétant », a-t-elle lancé, avant d'être paraphrasée par le représentant de la DGSN qui lui a rétorqué : « Nous sommes devant une coalition. » « Laissez-moi parler, on m'a fait trop de mal » Le représentant ministère public s'est alors adressé à M.Oussadit et à M.Benchaâlal, en lui disant : « Vous aviez déclaré que Oussadit s'entendait avec Zayane, que s'est-il passé après... ? » Le prévenu lui a répondu : « Au début, oui, mais après sa suspension, lorsqu'il est parti se plaindre à Sebbouh tout a changé. Je ne sais pas pourquoi. » Le dernier témoin appelé à la barre a été l'ex-chef de la Sûreté de wilaya Sebbouh. Celui-ci a nié avoir été mis au courant de cette affaire, lorsque Gasmi a été arrêté. « Mais lorsque Oussadit est venu me voir pour me faire état de l'existence dans son bureau de 2,5 kg de kif, après sa suspension par la direction générale et dont la décision lui a été notifiée directement sans m'en informer, j'ai vite saisi le chef de la cellule de contrôle et d'inspection au niveau de la sûreté de wilaya pour qu'il ouvre une enquête. C'est moi-même qui ai saisi également le procureur général de cette affaire », a-t-il déclaré avant d'être interrompu par la présidente. Un geste que Sebbouh n'a pas apprécié. « Je veux parler des tenants de cette affaire, parce que moi j'ai répondu à la justice, pas comme ceux qui n'ont même pas daigné se présenter », a-t-il poursuivi en faisant certainement allusion à Messaoud Zayane, absent de l'audience alors qu'il est cité en tant que témoin. « Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais je voulais que la justice arrive à découvrir la vérité autour de la libération de Gasmi et ceux qui ont donné l'ordre de le donner à un autre service », a-t-il dit avant d'être interrompu une seconde fois par la juge. « Laissez-moi parler. Ils m'ont fait beaucoup de mal. Ils m'ont cité comme témoin uniquement pour me salir », a-t-il rétorqué, avant que la présidente ne suspende l'audience durant une demi-heure. Le réquisitoire du parquet a été très lourd. Le ministère public, et après avoir reconstitué les faits, a demandé une peine de 15 années de prison pour Gasmi Amirouche, assortie d'une amende de 10 000 DA, une autre de 10 ans de prison pour Oussadit Yacine et une peine de 5 ans de prison pour Benchaâlal, avec mandat de dépôt à l'audience pour les deux officiers et une amende de 500 000 DA pour chacun d'eux. La défense de Gasmi a plaidé la nullité de la procédure, puisque l'affaire remonte à 2003 et que le procès-verbal est un faux. Il a également relevé que « la perquisition et l'interpellation se sont faites sans le mandat du procureur, ce qui est une violation des dispositions du code de procédure pénale (...) Gasmi est une victime. Sa détention est le fruit de conflit d'intérêts entre les responsables de l'institution policière ». La défense de Benchaâlal et de Oussadit a, elle aussi, plaidé l'innocence, en se basant sur le témoignage des 8 policiers qui ont affirmé que la drogue a été récupérée sur Gasmi, lequel a été remis à Bahouri. « Si Oussadit, promu à son grade par Zayane, n'avait pas exécuté l'ordre de ce dernier, qui est son chef, quel sort lui aurait-été réservé ? », s'est interrogé un des avocats. La défense de M. Oussadit a plutôt axé sur le procès-verbal, qui selon elle est vrai quand il s'agit de Gasmi puisque le parquet a demandé 15 ans de prison, mais de faux quand il s'agit de M. Oussadit, accusé de faux et usage de faux. « Oussadit qui a arrêté Gasmi est condamné au même titre que ce dernier pour détention illégale de stupéfiant. A qui alors appartient la drogue à Oussadit ou à Gasmi », s'est-elle demandée en regrettant que « cette affaire qui aurait pu être réglée par l'institution a pris une proportion qui n'honore pas ce corps qui a payé un lourd tribut au terrorisme ». L'affaire a été mise en délibéré et le verdict sera connu mercredi prochain.