Les cérémonies marquant l'indépendance de l'Algérie en 1962 avaient été célébrées officiellement avec la présence et la participation active des éléments de la fanfare de Cherchell. Cette troupe musicale avait été créée et dirigée par le professeur Gusmane. Tambours, cymbales, grosse caisse, clairons, flûtes, saxophones, clarinettes, tels étaient les instruments de musique utilisés par cette fanfare. Ses répétitions se déroulaient au conservatoire municipal qui se trouvait au marché de la ville, à quelques mètres de l'unique mosquée durant la période coloniale. Les personnes qui composaient cette troupe musicale étaient connues. Il s'agit entre autres de Khouane Latrèche Ouali dit Baho, Korchi Bouchema, Melhani Brahimi dit Benmira, Amani Bakhti Bouhni Bouteka Mohamed et son cousin Braham Battache Mohamed, El Ghobrini Farid et Meklati Braham. La grande majorité des musiciens est décédée. La fanfare de Cherchell était constituée en plus d'un agent de police, de 3 collégiens (Meklati, Batache et Ghobrini, les seuls survivants), des ouvriers de la municipalité et des artisans. A l'aube de l'indépendance de l'Algérie, elle avait été sollicitée pour préparer le défilé. Durant le mois de juin 1962, les musiciens avaient reçu l'ordre des responsables du FLN de se regrouper à 13h, munis de leurs instruments, devant la station de bus Mefti Frères, implantée le long de la rue du Théâtre romain. Le bus était réquisitionné alors qu'il assurait la liaison Cherchell-Menaceur. Bouteka Braham, qui était un agent de la police coloniale, avait été désigné chef de file de cette fanfare. Il dirigeait les répétitions. Le 1er juillet 1962 au moment où le peuple algérien s'apprêtait à donner sa voix dans les urnes pour son autodétermination, les illustres inconnus musiciens avaient été obligés de se soumettre aux ordres, pour prendre le départ vers une destination non divulguée. Ils ignoraient la durée de leur expédition. Ce n'est qu'une fois sur la route que Bouteka Braham avait dévoilé le secret. Finalement, ils sont arrivés au djebel de Mont-Gornot, à proximité de Zoubiria et Berrouaghia (wilaya de Médéa), pour s'installer durant les ultimes jours qui avaient précédé les premières festivités de l'Algérie indépendante. Le quotidien des musiciens était difficile en cette période estivale. C'était un lieu de cantonnement de la Wilaya IV. « Nous sommes arrivés dans la soirée et nous avons découvert un paysage vallonné et sans arbres », se souvient un des éléments de cette fanfare. Les djounoud algériens avaient offert une salle et des matelas pour permettre aux éléments de la fanfare de dormir. Les repas à base de couscous étaient préparés par les familles qui habitaient cette zone, mais distribués par la logistique du campement. « Nous étions frappés par l'absence de l'eau, révèle Braham Meklati. Quand nous avions soif et nous demandions de l'eau, les maquisards algériens nous tendaient des bouteilles de boissons gazeuses », enchaîne-t-il. Tous les matins de cette période estivale qui avaient précédé les festivités de l'indépendance du pays, les musiciens avaient pour mission de faire défiler les soldats de l'ALN de la Wilaya IV au pas, à la mesure des rythmes musicaux choisis par les responsables du FLN. Sous un soleil de plomb, au milieu des collines arides, les personnes âgées n'arrivaient plus à supporter la chaleur. Chaque musicien de cette fanfare devait être vêtu de sa chemise blanche, de son pantalon en toile kaki et un béret rouge avec deux bandelettes vertes. A force des répétitions inlassables, les membres de la clique avaient acquis une maîtrise exceptionnelle des instruments musicaux, à travers ces morceaux de musique exigés par les responsables de la Wilaya IV. Après avoir séjourné au Mont-Gornot, dans le Titteri, la fanfare avait été acheminée vers Blida. Elle s'était produite au kiosque à musique, au centre de la Ville des roses. La nuit, les musiciens allaient la passer chez les familles blidéennes. C'était la fièvre de l'indépendance. Le 5 juillet 1962, la fanfare de Cherchell, sous la direction des responsables militaires algériens, prendra la direction de la capitale, Alger, pour participer à la commémoration officielle de l'indépendance. « Je me souviens que nous avons défilé à pied de la place du 1er Mai jusqu'à la place des Martyrs, déclare Meklati Braham. Nous avons précédé le bataillon de la Wilaya IV avec lequel nous avons cohabité à Mont-Gornot. Je me rappelle de cette liesse générale le long du parcours. La présence humaine était incroyable. Les familles algériennes très heureuses exprimaient leur joie et leur bonheur. Tout se déroulait dans la dignité et sans dépassement. » « L'événement était couvert par la télévision algérienne. Le point fort de cette mémorable journée, enchaîne notre interlocuteur avec émotion, c'est incontestablement la levée des couleurs à Sidi Fredj vers 14h. Nous avons alors interprété pour la première fois dans l'histoire de l'Algérie indépendante, d'une manière solennelle, l'hymne national en présence des délégations étrangères et des journalistes étrangers venus couvrir l'événement historique. » « Mes jeunes amis et moi qui fréquentions le collège avons même eu à répondre en anglais à quelques questions posées par des journalistes étrangers qui avaient l'air surpris par notre jeune âge, mais surtout de l'existence d'une fanfare… militaire le jour de l'indépendance de notre pays », conclut l'ex-clarinettiste. Après le 5 juillet 1962, la fanfare se produisait bénévolement et répondait à une collection d'invitations. Le manque de moyens commençait à se faire sentir. Les autorités locales de la ville de Cherchell se sont détachées de la fanfare, jusqu'à la mépriser. Le groupe de musiciens s'était disloqué. Le conservatoire municipal de l'ex-Césarée fut détruit. Les instruments de musique qui existaient avant l'indépendance avaient fait l'objet de vandalisme et de destruction avant de disparaître. L'Académie militaire interarmes de Cherchell avait aussitôt créé sa propre fanfare par la suite et avait participé à plusieurs défilés officiels durant les premières années de l'indépendance. « Du moment que vous allez écrire ce sujet, nous, les rares survivants de cette fanfare, demandons simplement une faveur à l'ENTV, nous dira Meklati Braham, c'est de nous permettre de voir ce film historique, car nous n'avons jamais eu l'occasion de visionner ce documentaire relatif au défilé à Alger de la première fanfare algérienne et cette levée des couleurs le 5 juillet 1962 à Sidi Fredj qui avait eu lieu au début de l'après-midi de cette journée mémorable. D'ailleurs, lors d'une émission qui vient d'être diffusée sur une chaîne française, j'ai pu observer de furtives images », conclut notre interlocuteur.