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Poisson-lièvre, poisson-lapin : Poissons tueurs ?
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Publié dans El Watan le 19 - 09 - 2014

De nombreux médias algériens ont débattu d'un phénomène qui tend à remplacer celui, très récent, de la prolifération des méduses :
L'apparition d'un poisson que les uns présentent comme le poisson-lapin, les autres comme le poisson-lièvre ; certains parlent de poisson-coffre. Tous sont alarmistes et le décrivent comme un poisson suspect, dangereux, tueur ! Il me semble utile d'apporter ma contribution sous forme d'éléments d'information basés sur la recherche bibliographique et sur ma propre expérience, afin de rassurer les profanes. Ne dit-on pas que l'on ne gère bien que ce que l'on connaît bien ? De nombreuses espèces nouvelles s'installent ou se sont installées dans différentes régions de la Méditerranée. Leur nombre représente environ 10% de la faune ichtyologique de cette région.
Les origines géographiques de ces espèces sont différentes et variées, mais l'influence atlantique reste importante. L'entrée se fait par le détroit de Gibraltar (migration herculéenne) à partir des régions boréale ou tropicale, mais également par le canal de Suez (migration lessepsienne), en provenance de la mer Rouge. L'examen des apports récents a permis de constater que ce phénomène concerne également le bassin algérien. On citera, entre autres, le poisson chirurgien (Acanthurus monroviae), la cornette bleue (Fistularia commersonii), le poisson-globe ou poisson-coffre (Sphoeroides pachygaster, Lagocephalus sceleratus), le poisson-lapin (Siganus rivulatus, Siganus luridus).
Confusion
Les variations du milieu peuvent entraîner une compétition entre espèces et des modifications importantes de la répartition géographique locale de ces espèces. Leur coexistence peut être favorisée par des différences concernant la taille, la durée du cycle de reproduction et la fécondité. Il y a une nette confusion de la part des initiateurs de la polémique, entre le poisson-lapin (appartenant au genre Siganus) et le poisson-globe appartenant aux genres Fugu, Takifugu, Lagocephalus et Sphoeroides. Ces deux derniers sont depuis longtemps connus et signalés dans le bassin méditerranéen : en 1953, le professeur Dieuzeide, chercheur au centre de Castiglione (actuel CNDPA), signalait des individus de l'espèce Lagocephalus lagocephalus (appelé arnab en Algérie) échoués sur les plages après un gros temps. L'examen de la carte de répartition de Sphoeroides pachygaster montre qu'elle serait fréquente sur tout le pourtour de la Méditerranée occidentale, donc également au niveau des côtes algériennes.
Toxique
L'étymologie des noms scientifiques Lagocephalus et Siganus leur donne la même signification et est à l'origine de la confusion : pour le premier, l'aspect du museau fait penser à un lapin ; pour le second, ce sont les dents. Le poisson-lapin (Siganus rivulatus, Siganus luridus), espèce lessepsienne, herbivore, a commencé à apparaître dans le bassin oriental de la Méditerranée (dernièrement en Turquie et plus récemment en Tunisie) ; il est entré en compétition avec une espèce très connue appelée saupe (ou tchalba) avec laquelle il présente de grandes similarités morphologiques.
La consommation de ce poisson-lapin ne pose aucun problème. Les poissons-globes, herculéens, carnivores, signalés chez nous (Lagocephalus lagocephalus, Sphoeroides pachygaster) sont toxiques mais non létaux. Lagocephalus sceleratus provenant de la mer Rouge a été observé en Méditerranée orientale et signalé par une publication en 2010 au sud de la Tunisie ; aucun auteur n'a mentionné sa présence du côté septentrional tunisien. Comment aurait-il pu arriver en Algérie, si ce n'est en suivant cette côte ? Aurait-il échappé à la vigilance des chercheurs tunisiens ? Permettez-moi d'en douter. Ce poisson semble plus dangereux, mais aucune note scientifique n'en fait mention en Algérie. Par contre, le Takifugu-poisson-globe du Japon, mortel si on consomme par imprudence ses viscères (paradoxalement il constitue un mets de choix dans les restaurants de ce pays)- est heureusement absent en Méditerranée.
Prudence
Il serait judicieux de consulter les ichtyologistes des différentes universités (Annaba, Bab Ezzouar…) pour l'identification des spécimens rencontrés et leur conservation avec un numéro d'inventaire dans une collection disponible pour confirmer l'identification (les halieutes sont prêts à recevoir ces exemplaires). Toute observation nouvelle sera publiée dans une revue scientifique afin d'avoir une information fiable. Cela permettrait de dissiper la psychose actuelle, très certainement injustifiée, car provoquée par une médiatisation basée sur des informations inexactes.
La réaction de prudence qui s'impose doit être suivie d'études sur la nature, de la toxine des espèces suspectes et leur conséquence sur l'organisme humain par des tests appropriés. Faisons confiance au pêcheur professionnel, qui a une très grande connaissance des produits de la mer : il recommandera la prudence pour la manipulation d'espèces comme la vive (Trachinus draco) et les différentes rascasses (Scorpaena spp) dont les épines inoculent un venin, douloureux mais sans plus. Sa conscience ne le laissera jamais commercialiser des espèces suspectes comme le poisson globe, qui ne présente aucun intérêt et dont les biomasses n'ont jamais été importantes.
Le poisson-flûte ou cornette bleue, apparu le long de nos côtes en 2008, avait proliféré et était pêché en grandes quantités dans certaines régions ; il a même été commercialisé. Pourtant, on ne le voit plus ces derniers temps. Il semble qu'il n'a pas pu s'adapter. Doit-on s'inquiéter des quelques individus de poisson-globe qui ont été observés çà et là ? La réponse est assurément non. Le réalisme permet toujours d'apprécier l'inconnu et de le considérer à sa juste valeur.


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