Nominé pour quatre prix à la fois… On peut dire que c'est une performance pour un écrivain que d'être sélectionné sur les listes de plusieurs prix et, quels qu'en soient les résultats, il s'agit là déjà d'une reconnaissance importante. Ainsi, Kamel Daoud, se retrouve sur les tablettes de quatre prix littéraires français dont de bien prestigieux : le Goncourt (décerné par l'Académie éponyme), le Prix des cinq continents (décerné par l'Organisation internationale de la francophonie), le Prix de la jeune littérature arabe (décerné par l'Institut du Monde arabe et la Fondation Lagardère) et le Prix Renaudot (décerné par un collège de dix journalistes et critiques littéraires). Cet engouement, il le doit à son premier roman, Meursault, contre-enquête, publié chez Barzakh (Alger, 2013) avant d'être réédité cette année par Actes Sud en France. Entretemps, voilà qu'il est devenu le lauréat 2014 du Prix François-Mauriac d'Aquitaine qu'il doit recevoir, le 10 octobre prochain, à l'Hôtel de Région de Bordeaux. Il ne s'agit pas, comme nous avons pu l'annoncer jeudi dans nos colonnes, du Prix homonyme François-Mauriac de l'Académie française, considéré plutôt comme un prix d'encouragement destiné à «un jeune écrivain». Pour être régional, le prix Mauriac d'Aquitaine dispose d'une identité forte et d'une audience appréciable et s'affirme plus comme un prix de consécration que d'encouragement. Créé en 1985 pour rendre hommage à François Mauriac (1885-1970), il a été relancé en 2002 en référence aux engagements du grand écrivain bordelais. C'est la première fois qu'un auteur algérien est lauréat de ce prix et il n'est pas inutile de rappeler ici, car on l'oublie souvent, que François Mauriac, membre de l'Académie française, Prix Nobel de littérature 1952, et plutôt de droite, fut un ardent défenseur de l'indépendance de l'Algérie qui osa écrire notamment : «Nous avons tous été victimes du mensonge initial : l'Algérie c'est la France.» Quelles sont désormais les chances de notre brillant outsider littéraire de glaner un autre prix ? Il est sûr déjà qu'il ne pourra avoir et le Goncourt et le Renaudot puisque ce dernier attend les résultats du premier pour se prononcer. On peut supposer que le Renaudot lui serait plus favorable, la composition du jury pouvant éventuellement se montrer favorable à un confrère de la presse. Mais, en la matière, bien malin qui pourrait aligner un pronostic. De plus, il s'agit là de premières listes. Pour le Goncourt, par exemple, Kamel Daoud a été sélectionné le 4 septembre parmi 15 écrivains. Il reste encore deux autres sélections qui vont réduite cette liste en peau de chagrin jusqu'au choix final de l'heureux lauréat. Et, dans ce prix, comme dans les autres d'ailleurs, la concurrence est rude. Mais, Kamel Daoud peut déjà se targuer, à travers ces nombreuses sélections, d'avoir marqué son entrée internationale dans le monde du roman, lui qui s'était jusque-là distingué par la nouvelle. La thématique de son roman, sorte de miroir algérien à L'Etranger d'Albert Camus, a sans doute bénéficié de la vague, l'an dernier, du Centenaire du Prix Nobel 1957. Mais, a contrario, dans l'avalanche de publications sur, autour et à travers Camus, il était encore plus difficile de se distinguer. La stratégie des éditions Barzakh a également joué son rôle et c'est là aussi le métier d'éditeur que d'accompagner et de promouvoir ses écrivains. Mais, sans le talent de Kamel Daoud, son imaginaire et son écriture prenante, rien de tout cela n'aurait pu avoir d'effet. Un grand romancier algérien s'est affirmé ici. Et il n'a pas attendu ses révérences et irrévérences à Camus pour être remarqué puisqu'il avait déjà été nominé pour le Goncourt de la Nouvelle avec son magnifique recueil La Préface du nègre (Barzakh, 2011) devenu Le Minotaure 504 chez l'éditrice parisienne Sabine Wespieser. D'ailleurs, son Mersault, contre-enquête, s'il part de l'œuvre-phare de Camus pour la prendre à contre-pied, est, fondamentalement, un roman sur la société algérienne. Avec ce personnage du frère de «l'Arabe» tué sur une plage par le personnage de Camus, Kamel Daoud interpelle nos fantasmes et contradictions sur une gamme étendue d'idées et d'émotions. Que les jurys français veuillent le considérer avant tout comme un livre sur Camus, c'est leur affaire et, en l'occurrence, nous ne saurions bouder notre fierté de voir un écrivain algérien, à son premier roman, glaner tant de considération. On peut, bien sûr, regretter que de grands écrivains algériens, décédés ou vivants, n'aient pu accéder à de telles sélections. Mais on ne peut discourir sur des prix que l'Algérie ne décerne pas, elle qui ne dispose pas de prix littéraires stables et majeurs. Le tropisme de Paris pour les écrivains francophones et de Beyrouth pour les écrivains arabophones pose encore la question de la reconnaissance de nos auteurs dans leur propre pays. Cependant, on peut relever positivement que quelques livres publiés en Algérie sont désormais réédités en France ou au Liban, ce qui suggère une inversion possible du courant dominant, et que Kamel Daoud a reçu sa première consécration en Algérie avec le Prix Mohammed Dib en 2008 pour le recueil précité. Allez, bonne chance. Signalons que l'écrivain Abdelkader Djemaï vient de recevoir de l'Académie française le Prix Amic de soutien à la création littéraire pour son roman «Une ville en temps de guerre» et que Samir Toumi pour «Alger, le cri» (Barzakh) et Abdelkader Benatia pour «Jiwel ou l'alchimie du bonheur» (Casbah) figurent aux côtés de Kamel Daoud sur la liste du Prix de la jeune littérature arabe (soit 3 algériens sur 17 auteurs en lice).