Les musulmans de France – citoyens, institutions religieuses, intellectuels – s'élèvent massivement contre le terrorisme au nom de l'islam, contre les amalgames entre une minorité fanatique et l'écrasante majorité de ceux qui sont musulmans par la pratique, l'origine ou la culture. «Tuer un homme, c'est comme tuer toute l'humanité», a rappelé hier, citant le Coran, le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Dalil Boubakeur. Paris De notre correspondante Cette mobilisation est-elle une réponse à ceux qui leur font injonction de se désolidariser des extrémistes chaque fois qu'un acte terroriste est perpétré ? Pour dénoncer haut et fort les amalgames et la stigmatisation dont ils sont victimes depuis des années ? Pour dire leur désaveu sans équivoque de ceux qui instrumentalisent l'islam à quelque fin que ce soit ? C'est tout cela à la fois. L'annonce de la décapitation d'Hervé Gourdel a choqué la communauté musulmane de l'Hexagone. Et si les musulmans réagissent avec ce même élan c'est parce que ce crime est odieux, injustifiable et heurte le respect de la vie auquel ils sont profondément attachés. Doivent-ils pour autant se justifier de crimes commis au nom de l'islam – que tous considèrent comme dévoyé – comme s'ils en étaient complices ou comptables ? D'aucuns ont reproché aux musulmans de France d'être restés silencieux face à des actes répréhensibles. «Certes, cette majorité de musulmans n'est pas toujours audible faute d'avoir accès aux médias, ou dans l'incapacité de créer elle-même ses propres outils de communication pour rétablir l'image déformée que l'on renvoie d'eux et qui en fait soit des djihadistes, soit des fondamentalistes mais jamais des citoyens ordinaires, soucieux de vivre leur foi dans le cadre des lois de la République et de sauvegarder les traditions et les cultures qui constituent chaque citoyen français dans la diversité de ses origines», relèvent des intellectuels musulmans dans un texte intitulé Nous aussi nous sommes de sales Français. Les signataires de ce texte, rendu public jeudi, dont une copie a été transmise à El Watan, sont des responsables politiques, des avocats, des universitaires... Ils expriment clairement et fermement la répulsion que leur inspire l'assassinat d'Hervé Gourdel. «Il est de notre devoir, au nom précisément de cette religion de paix et du véritable islam, d'appeler tous les musulmans qui veulent rester fidèles à ces valeurs cardinales à exprimer, là où ils sont et quelles que soient les circonstances, leur dégoût devant cette ultime manifestation de la barbarie.» «Nous, Français de France et de confession musulmane, tenons à exprimer avec force notre totale solidarité avec toutes les victimes de cette horde de barbares, soldats perdus d'un prétendu Etat islamique, et dénonçons avec la dernière énergie toutes les exactions commises au nom d'une idéologie meurtrière qui se cache derrière la religion islamique en confisquant son vocabulaire.» «Personne ne peut s'arroger le droit de s'exprimer en notre nom et, pour mieux attester de notre solidarité dans les circonstances dramatiques actuelles, nous revendiquons l'honneur de dire que ‘nous sommes aussi de sales Français'.» Et c'est à juste titre que le président du CFCM, Dalil Boubakeur, avait appelé jeudi à «un moment de recueillement et de solidarité», qui s'est déroulé hier après la grande prière devant la Mosquée de Paris, afin de «dénoncer l'horreur barbare et sanguinaire des terroristes qui, au nom d'une idéologie mortifère, pervertissent l'islam et ses valeurs». «Une idéologie contre laquelle s'élève avec force toute la communauté musulmane.» Deux autres initiatives ont précédé cet appel du président du CFCM : une initiative islamo-chrétienne réunissant, il y a une dizaine de jours à la Grande Mosquée de Paris, le Conseil français du culte musulman et la Coordination des chrétiens d'Orient en danger (Chredo) dans un «Appel de Paris» en solidarité avec les chrétiens d'Orient ; mi-septembre, la seconde initiative était un «Appel des musulmans de France» condamnant «fermement les exactions commises par l'organisation Daech (...) à l'encontre des civils en Irak et en Syrie parmi les chrétiens, les Yézidis, les Kurdes, les Turcomans, les musulmans chiites ou sunnites, les humanitaires, les journalistes et les reporters». Les signataires de cet appel – fédérations et responsables de mosquées français – estiment que ce groupe, en dépit de son appellation usurpée, «n'a rien ni d'Etat ni d'islamique» et exigent une enquête sur «les responsabilités des soutiens de cette organisation terroriste, ainsi que l'origine de ses moyens». Ils appellent «tous les citoyens épris de paix et de justice, quelles que soient leur religion ou leur conviction à afficher, aujourd'hui plus que jamais, leur unité face au terrorisme et à la barbarie et à œuvrer sans relâche pour que le dialogue et la solidarité entre eux puissent faire barrage aux adeptes de la prétendue ‘guerre des civilisations'.» «Nous réitérons notre appel aux jeunes musulmans de France qui seraient tentés d'aller combattre aux côtés de ces terroristes, de prendre conscience de l'ampleur de la gravité des crimes dont ils pourraient se rendre complices, ainsi que de la lourde responsabilité, devant Dieu et devant l'humanité, d'une telle complicité», ajoutent les signataires.