Khouya Samir, tu as fini par rejoindre, pour faire danser les houriate au paradis, ceux parmi la bande joyeuse (Essaâda, célèbre troupe de Sétif, entre 1945 et 1977) qui t'a vu éclore à la chanson, devenue dès lors, et fièrement, sétifienne : Bachir dit «le gros», habile à remuer le ventre de la guitare électrique pour lui soutirer les trois notes qui ouvraient le bal (Galou aâla S'tif), Abbès Rezig, jambe raide, pour extraire de son «nay» les mélopées remuantes de tendresse, Bachir «Kahlouche» te faisant des clins d'œil derrière son «tar» pour t'encourager, te signifier que tu es bon, Saïd Mehentel, le plus lyrique des postiers, regardant toujours le ciel et priant le cavalier tenant la bride (Raa'i el meldjoum) de joindre sa belle Baya... «C'était le début, c'était le printemps… Dj'mal Khedidja»… Tu chantais les belles jamais admirées, à peine entrevues, dont tu tentais de nous expliquer qu'il ne faut surtout pas en provoquer les démons, de peur qu'elles nous envoûtent, laissent s'échapper les instincts sommeillant en chacun de nous et abandonnent nos corps comme proie des vautours (tiour h'diya) qui guettent la décomposition de notre déchirure dont elles se sont rassasiées. Sous l'arbre de chaque hara, et celle des Zemmour était pour toi la plus haute (Harat Zemmour el Aaliya), pour fêter la circoncision d'un fils chéri ou souhaiter la bienvenue à une mariée éclatante de beauté derrière son haïk, baissant les yeux pour ne pas laisser l'assistance mesurer son bonheur, tu animes les fêtes dont on ne sort jamais totalement indemne, soirées interminables à t'écouter ensorceler et remplir de bonne humeur l'assistance, heureuse d'avoir pu communier grâce à toi, le chantre et ta bande joyeuse. Tu perpétuas, plus de trente années durant, une tradition vieille comme les koubbas de ces contrées, où se sont tus les sons des bendirs et les voix des femmes. Elles y étaient libres de laisser leur trop-plein de tendresse contenue depuis la dernière zerda déborder de mélopées éloquentes du sraoui. Elles sont désormais condamnées à guetter tes rares passages sur les ondes de la radio ou les quelques instants volés aux invariances cathodiques. Samir khouya, tu étais plus habile à chanter qu'à dire… Comment te dire adieu sans se laisser aller, sinon en te rappelant à notre bon souvenir à chaque fois qu'un marié présente timidement son doigt, en cherchant ses amis du regard, par détresse, tandis qu'une vieille tante lui enduit le doigt de henné ? «Mad yeddek». Tu nous laisses orphelins d'une voix, d'un rire, d'une présence sur le trottoir de la rue des frères Meslem qui n'avait déjà plus la même ambiance, depuis que tu l'as désertée. «El Mektoub eddani…» Prière pour l'Absent.