Jamais depuis l'ouverture, en 1990, du champ médiatique au secteur privé, le pouvoir n'a usé d'autant de ruses pour tenter de faire taire les très rares voix médiatiques qui osent encore entonner une autre musique que la rengaine officielle. Et Hamid Grine, qui peut s'habiller du costume du ministre le plus contesté du gouvernement, en rajoute une couche en dissertant, par intermittence, des leçons sur la déontologie. L'ancien chargé de communication d'une entreprise de téléphonie mobile invente même, au passage, un nouveau concept : le «cercle vertueux» de la presse. Alors que les journalistes et éditeurs sont habitués à l'usage des leviers publics de pression que sont l'Agence nationale d'édition et de publicité (ANEP), les sociétés étatiques d'impression et les services des impôts, voilà qu'un nouveau segment est à présent exploité pour faire mal à des critiques que Hamid Grine assimile à de l'invective : les annonceurs privés subissent des pressions pour «savoir orienter» leurs publications. Les pressions sur les médias ne datent pas d'aujourd'hui. Plusieurs journaux, dont certains ont disparu des étals, ont subi les foudres du pouvoir depuis 25 ans. De l'interdiction de tirage à la saisie pure et simple en passant par l'emprisonnement de certains journalistes et responsables d'édition, les pouvoirs successifs ne se sont interdit aucun procédé pour faire taire les journalistes et leurs supports. Et lors que les méthodes «classiques» ne suffisent pas, la direction des impôts devient alors le bras long par lequel le régime tente de mettre au pas tel journal ou telle publication. De vieilles recettes Depuis que certains journaux, notamment El Watan et El Khabar, ont investi dans l'impression et la distribution pour acheter leur indépendance et s'extraire ainsi des griffes des imprimeries publiques, le pouvoir change de méthode. En plus des pressions fiscales qui n'ont jamais cessé, il met à contribution les annonceurs privés. Certains de ces derniers n'ont d'autre choix que se soumettre au diktat du pouvoir, craignant notamment des redressements fiscaux ou des fermetures déguisées de leurs entreprises. Même les sociétés étrangères ne sont pas en reste. «Ils nous insultent avec l'argent de vos entreprises», s'est ainsi «plaint» un personnage du régime auprès d'un ministre français en visite en Algérie. Par «insulter», l'homme évoque les informations et les enquêtes qui mettent en cause des personnalités proches du cercle présidentiel, créant ainsi l'amalgame entre l'information et l'invective. Si le ministre de la Communication ne dit pas clairement à quoi riment ces pressions, des observateurs de la scène médiatique pensent que ce chantage par la publicité vise à imposer aux Algériens un nouveau scénario politique qui serait le prolongement de l'élection présidentielle d'avril dernier. Selon Saâd Bouakba, chroniqueur au quotidien El Khabar, «on veut affaiblir les journaux critiques pour opérer la succession sans couac». Pourtant, ajoute-t-il dans un entretien paru dans nos colonnes, «ce raisonnement est totalement faux, car si les manœuvres pour la succession se déclenchent, ce ne sont pas les journaux qui vont les accentuer ou les contenir». Le pouvoir n'a-t-il pas déjà organisé un coup de force en 2008, avant de récidiver en avril 2014 ? Rien n'indique qu'il ne refera pas le coup.