Pas facile de fouiller dans une bibliographie aussi volumineuse que diverse, de défricher et déchiffrer les historiens antiques, tels que Tite-Live, Polybe et Appien, tout en relevant leur manque d'objectivité, leur chauvinisme et leur partialité pour en extraire les informations fiables que l'on cherche. D'autant qu'il s'agit d'un géant comme Massinissa (238-148 av. J.-C.). Un travail de recherche et de synthèse ardu, — pas de compilations —, mais de recoupements d'informations, une véritable enquête, il faut le reconnaître. Houaria Kadra-Hadjadji l'a fait avec brio, avec un regard critique, consignant et analysant plusieurs versions. S'il y a beaucoup de blancs dans cette sorte de biographie de Massinissa, c'est que l'histoire de la Numidie et ses différents rois n'intéressaient ces historiens que quand il était question de Rome la conquérante, nous dirons aujourd'hui l'impérialisme romain. Que cet aguelid fut un génie en matière de guerre, un bon meneur d'hommes, fondateur de la grande Numidie, cela est incontestable, tous le reconnaissent. Beaucoup avancent qu'il a été admiré, idéalisé, voire divinisé, «malgré quelques ombres dans ce brillant tableau». Mais, d'abord, qu'en était-il ? Les deux royaumes numides, celui des Massyles (numides de l'Est) et celui des Masaesyles (numides de l'Ouest), étaient entraînés dans les guerres puniques (surtout la deuxième) par les deux puissances, Rome et Carthage. En ce temps-là, Massinissa devait récupérer la terre de ses ancêtres, tandis que Syphax trônait sur les deux royaumes. Aussi devaient-ils inexorablement être alliés chacun à l'une ou l'autre puissance. De fait, le sort de la grande Numidie était indissociable de ces deux puissances. Alors, quand Syphax était l'allié de Rome, Massinissa combattait en Espagne pour Carthage, puis quand le premier, une fois marié à la belle Sophonisbe, la Carthaginoise, sera avec cette dernière puissance, le second se rapprochera de Scipion. Il faut dire que si Massinissa voulait à tout prix se rapprocher des Romains, Syphax était, par contre, courtisé par les deux puissances. Et ces deux frères ennemis se feront la guerre jusqu'à la chute de l'un d'eux, en l'occurrence Syphax. Entre les deux, il y avait la belle Sophonisbe, qui fut promise à Massinissa, nous dit-on, avant qu'on la marie à Syphax. Sa fin fut tragique, elle fut sacrifiée par Massinissa pour sa cause et son avenir. Et si Syphax avait gagné, serait-on tenté de se demander ? Mais pourquoi ce revirement de Massinissa, s'interroge-t-on ? Selon Tite-Live, «le motif de son revirement n'apparut pas clairement à l'époque, mais la fidélité qu'il ne cessa de manifester jusqu'à la fin de sa longue vie à l'égard des Romains prouva, après coup, qu'il n'avait agi, dès ce moment-là, sans de sérieuses raisons». L'auteure écrit : «Pour la plupart des (historiens) modernes, Massinissa, sentant le vent tourner, passa dans le camp des futurs vainqueurs de la guerre. Il savait que les armées romaines valeureuses, bien entraînées, bien commandées, étaient supérieures aux troupes puniques». Plus loin, elle ajoute pour la postérité : «Le ralliement de Massinissa aux Romains, alors qu'il combattait en Espagne au service de Carthage, risque de décevoir ses admirateurs. S'il abandonna le camp des perdants, c'est qu'il était convaincu de connaître un destin heureux grâce à l'alliance romaine. Quelques modernes ont tenté de lui trouver des motifs honorables, mais la plupart d'entre eux reconnaissent qu'il a agi par opportunisme.» La Numidie, propriétée de Rome Nous apprenons aussi qu'il fut un roi-client de Rome. L'auteure écrit : «Les liens clientélaires unissaient un noble puissant et riche, le patron, à des citoyens moins puissants ou pauvres, qui étaient ses clients… Massinissa se comporta en client exemplaire, rendant tous les services (officia) demandés par le Sénat. Il prouvait ainsi sa reconnaissance pour les bienfaits (beneficia) accordés par le Sénat et le peuple romain et aurait même déclaré qu'il n'était que le gérant de son royaume, dont le peuple romain était le véritable propriétaire. Masgaba et Adherbal (fils et petit-fils) tiendront les mêmes propos.» Cependant, atténuant l'état de vassalité du roi, l'auteure ajoute ceci : «Pendant cinquante ans, il fut un roi-client de Rome sans sacrifier sa dignité à cette alliance. Il entretint avec l'aristocratie sénatoriale de vraies relations d'amitié, fondées sur l'admiration réciproque, la reconnaissance mutuelle et une claire conscience de leurs intérêts respectifs… Les Romains se montrèrent durs et méprisants envers les rois d'Orient. Massinissa eut droit à un traitement privilégié.» Oui, c'est plus qu'un livre de vulgarisation sur une figure emblématique de notre pays, voire de l'Afrique, c'est un document précieux, utile et édifiant.