-Quelle lecture faite-vous du classement obtenu par l'Algérie cette année d'après l'indice de perception de Transparency International ? Il ne faut pas que l'opinion publique soit trompée ou se fasse des illusions : la médiatisation des grandes affaires de corruption n'obéit pas à une réelle détermination de lancer effectivement la lutte contre ce fléau. D'ailleurs toutes les études et les classements internationaux de ces dernières années le confirment : l'Algérie ne cesse d'accumuler les mauvaises performances. Le très net recul du classement de l'Algérie, une perte de 6 places, n'est pas une surprise, parce que les pratiques de corruption à tous les niveaux ont connu une très nette explosion. Parce que ces pratiques sont «facilitées » par la complicité des pouvoirs publics qui non seulement laissent faire, mais plus grave, ils ont vidé le code des marchés publics de sa substance, ont fait du gré à gré la règle dans l'exécution de la commande publique, ont très mal légiféré en matière de prévention et de lutte contre la corruption (loi du 20 février 2006), et ont gelé de fait le processus de déclaration de patrimoine. Le retour en force d'un Etat policier, autoritaire, répressif et liberticide est un des principaux indicateurs du maintien de l'Algérie parmi les pays cancres de la corruption au sein de la communauté internationale. Les dénonciateurs de cas avérés de corruption subissent systématiquement des représailles, notamment de la part de leur employeur, des services de sécurité et de la justice. -Habituellement, les autorités algériennes critiquent ces classements jugés comme non objectifs. Quel est votre avis ? L'image de l'Algérie est déjà bien ternie à l'étranger, et ce, depuis des décennies, à tous les points de vue : processus démocratique très fragile et constamment malmené par le pouvoir en place ; atteintes répétées contre les droits de l'homme ; abus dans la prolongation déguisée de l'état d'urgence ; corruption généralisée ; violations des droits de l'opposition ; violations du droit syndical, pauvreté et grande misère un peu partout dans la société ; etc. L'Algérie est aussi très mal classée dans les autres indices internationaux : climat des affaires, compétitivité, liberté de la presse, développement humain, NTIC, etc. L'alibi du complot contre l'Algérie brandi par le pouvoir ne tient pas la route… Mieux encore, ces enquêtes qui permettent d'établir l'IPC sont menées surtout par des institutions intergouvernementales, telles que la Banque mondiale, le FMI, la Banque africaine de développement, dont l'Algérie est membre à part entière. -Le président de Transparency International, José Ogar, en commentant le rapport, a déclaré : «Le développement économique se réduit et les efforts pour arrêter la corruption reculent, lorsque les dirigeants et les hauts responsables abusent de l'utilisation des fonds publics à des fins personnelles.» Vous ne pensez pas que cette déclaration s'applique également à l'Algérie ? Tout à fait : l'Algérie est dans une phase aiguë de régression en termes de développement économique, et ce, à tous les niveaux. Cette situation est encore plus nette dans nombre de wilayas où la corruption explose. Pour comprendre l'avènement et l'extension de la corruption en Algérie, il est essentiel de revenir sur l'exploitation des hydrocarbures d'économie. En effet, l'or noir nourrit depuis des décennies une véritable culture de la rente. Cette forme de pensée mortifère place en toutes circonstances le calcul égoïste et borné de l'argent facile à répartir, au-dessus de la préoccupation de l'avenir d'un peuple. Nombre d'observateurs et de spécialistes de l'Algérie s'interrogent à juste titre : comment ce pays, qui possède un potentiel humain magnifique, un territoire gigantesque, une histoire millénaire et de fantastiques ressources naturelles, peut-il plus de 50 années après son indépendance compter près de la moitié de la population en dessous du seuil de pauvreté et parallèlement, une caste de nouveaux riches issus des cercles du pouvoir ? -Le rapport indique que l'on peut améliorer le classement des pays par l'ouverture des gouvernements sur le public, en permettant au peuple de demander des comptes aux responsables. Quelles sont les propositions soumises par votre association au gouvernement algérien pour améliorer le classement de l'année prochaine ? Les questions de la démocratie, des droits de l'homme et des libertés sont fondamentales pour avancer, et en même temps plus il y aura de transparence dans la vie publique et la gestion des deniers publics, plus la pratique démocratique enregistrera des progrès. L'indépendance de la justice est aussi un des objectifs à atteindre et nous en sommes encore loin. La démocratie participative et l'émergence de contre-pouvoirs au sein de la société sont une alternative incontournable, surtout dans des situations où la démocratie représentative subit encore des contraintes et où le pluralisme, dans toutes ses expressions, peine encore à se faire une place. Concernant les dénonciateurs de la corruption et les donneurs d'alerte, en termes d'objectifs, il serait plus juste de contribuer à créer un climat et une dynamique favorables à leur implication dans la lutte contre la corruption, plus que de se limiter à les protéger : ils doivent à terme devenir de véritables acteurs de ce combat. Ce qui est valable aussi pour les médias et les journalistes : le droit d'accès à l'information et leur indépendance sont indispensables pour mener des enquêtes et faire un travail professionnel d'investigation. -Comment voyez-vous la conduite du gouvernement et de la justice algérienne durant 2014 sur les grands dossiers de corruption qui ont bouleversé l'opinion publique, à l'image de l'affaire Khalifa et celle de Chakib Khelil. Les scandales de corruption qui ont été médiatisés ces derniers mois – affaire de l'autoroute, Khalifa, SNC Lavalin, Saipem, Sonatrach, secteur des transports, la pêche, etc. – ne sont qu'une partie de la grande corruption qui gangrène le pays. S'il y avait une police judiciaire et une justice indépendantes, la corruption ne serait pas restée impunie. Et la dépendance sans cesse grandissante de la justice à l'égard de l'Exécutif n'est pas faite pour arranger les choses. Ces dernières années, le report de plus en plus fréquent des procès concernant les grandes affaires de corruption est une des illustrations de cette ingérence du pouvoir dans le fonctionnement de la justice. Pour le pouvoir, il faut notamment faire baisser la «température» des affaires scabreuses ! 2015 risque de ressembler à 2014 : les dossiers et les enquêtes judiciaires continueront de moisir dans les tiroirs. Il y a quand même une probable petite éclaircie à l'horizon : la chute continue des prix du pétrole va contribuer à faire baisser le risque corruption !