- Le ministre des Finances, dans une tentative de rassurer les Algériens quant à un éventuel contrecoup de la baisse des prix du pétrole, a tenu à garantir qu'aucun danger ne profile à l'horizon, étant donné que la loi de finances 2015 est basée sur un prix de pétrole à 37 dollars. N'y a-t-il pas des nuances à apporter à ces déclarations ? Les dernières déclarations du ministre des Finances me rendent perplexe et me laissent penser que le gouvernement ne se rend pas compte de l'ampleur de la situation. Celui-ci fait abstraction que dans la loi de finances 2015, le prix de référence du baril à 37 dollars engendre un déficit budgétaire estimé à 53 milliards de dollars (soit 22% du PIB). Le fait de faire croire indirectement aux Algériens que nous n'avons aucun risque financier tant que le baril n'est pas en dessous du seuil des 37 dollars est dangereux. En effet, si nous intégrons le déficit budgétaire, nous avons besoin d'un prix de référence du baril à plus de 100 dollars afin d'équilibrer le budget. Dans son intervention, le ministre a souligné à maintes reprises que le pays n'est pas endetté et dispose de réserves. Toutefois, je souhaite apporter un bémol à cette approche. Jusqu'à présent aucune loi de finances n'indique les engagements hors bilan du pays. Au profane, ceux-ci représentent la somme de ce que l'Etat devrait verser, s'il aurait à s'acquitter une seule fois de toutes les sommes qu'il se serait engagé à payer (telles que la retraite des fonctionnaires, les prestations sociales ou la garantie donnée par l'Etat, etc.). Dans un pays qui compte plus de 2 millions de fonctionnaires, cette donnée révèle toute son importance afin de connaître de façon précise notre situation financière. - Le ministre des Finances nous explique, qu'à court et à moyen termes, le pays peut absorber le contrechoc actuel grâce aux réserves de change et qu'il n'y a pas lieu de revoir les projets d'infrastructures économiques et sociaux. Qu'en pensez-vous ? Certes, il est vrai que nous disposons globalement de réserves de devises qui couvrent trois années d'importation sans aucune exportation d'hydrocarbures. Cependant, il est vrai aussi que nous avons besoin de développer des secteurs qui constitueront l'économie de demain. Vu l'état actuel de celle-ci, cela ne pourra se faire sans financement public. Avec les cours actuel du baril de pétrole, nous ne pouvons mener simultanément les projets actuels d'infrastructures et le financement de la diversification économique. Sachant qu'à court voire à moyen termes, bon nombre de spécialistes sont pessimistes, quant à un retour des cours du baril à des niveaux aussi élevés qu'auparavant. Ceux-ci à cause de l'augmentation de la production du Nigeria et de l'Iran, du retour à la quiétude sur la production de la Russie et du ralentissement des économies européennes et chinoises. Il faut aussi garder à l'esprit que de l'aveu même du Premier ministre «d'ici 2030, l'Algérie ne sera plus en mesure d'exporter les hydrocarbures». Face à cette situation, la restructuration des dépenses de l'Etat est primordiale. Nous devons donc agir rapidement sur la structure de ces dépenses. D'une part, en contenant certains transferts sociaux qui ne bénéficient pas aux Algériens en difficultés et, d'autre part, en stoppant les projets d'infrastructures non essentiels. L'objectif est de redéployer ces ressources vers des investissements qui permettront de créer les secteurs exportateurs de demain. A titre d'exemple, le succès des pays scandinaves est édifiant. Dans les années 1990, ces pays avaient réussi à surmonter leur crise financière en ciblant essentiellement ce genre de dépenses afin de les redéployer dans des projets industriels. - Quelle est, selon vous, l'approche qui vous semble appropriée face à cette situation ? Avec l'aggravation de la fragilité financière, la politique des transferts sociaux qui représente 30% du PIB devient trop coûteuse pour le pays. Aujourd'hui, nous devons cibler notre politique de subvention en rehaussant en priorité les prix de l'énergie et de l'eau. Tout en aidant, bien entendu, les familles les plus défavorisées. Le pays doit examiner les différents modèles efficients dans le monde afin de les adapter. A titre d'exemple, nous pouvons introduire un tarif social pour l'électricité, le gaz et l'eau, qui permettra aux plus modestes de payer aux tarifs actuels, avec une limite de consommation annuelle. En ce qui concerne les carburants, le GNC/GPL peut être une solution plus économique pour le pays. Nous devons financer à 100% les kits de conversion et subventionner les véhicules neufs d'entrée de gamme. En ce qui concerne les projets industriels, nous devons connaître de façon précise que vont être les besoins du marché algérien durant les dix prochaines années. Il serait intéressant de savoir aussi quels secteurs disposent ou disposeront d'avantages comparatifs adaptés à la demande algérienne, les futurs secteurs qui se substitueront au pétrole dans notre commerce extérieur, les couples pays-secteurs porteurs à l'export, etc. C'est à travers une analyse approfondie que les pouvoirs publics devront répondre à ces questions afin de construire une stratégie à horizon des dix prochaines années pour assurer le devenir des générations actuelles et futures. Toutefois, le niveau actuel des importations, les atouts dont disposent l'Algérie, et le bon sens nous indiquent que les dix secteurs prioritaires que nous devons développer pour sortir d'une économie rentière sont les énergies vertes et les mines, l'agriculture, l'agroalimentaire, la distribution, le tourisme, l'industrie pharmaceutique, les TIC, le recyclage, sans oublier les services (transport, banque, assurance, etc.). Pour assurer cela, il est nécessaire de déployer des politiques permettant de répondre aux défis majeurs qu'impliquent la diversification économique comme : l'amélioration du climat des affaires, la protection des industries existantes, le recul des pratiques bureaucratiques, le recul de la corruption, l'adéquation des ressources humaines aux besoins de l'entreprise, la modernisation du cadre juridique et social ainsi que la mise en œuvre d'infrastructure qui œuvre à cet objectif.