Approximativement, le son se propage dans l'air à 340 mètres par seconde, soit à 1224 kilomètres par heure. Il est bien loin d'égaler la vitesse de la lumière, mais il s'inscrit déjà dans l'ordre du prodigieux. Le son peut être un bruit et il en est de bien agréables : ceux des oiseaux, de la pluie, du ressac de la mer et autres expressions sereines. Sinon il devient une nuisance sonore parfois intolérable. Le contraire absolu du son est bien le silence, mais comme tous les véritables contraires, aucun des deux ne peut exister sans l'autre. Avec les physiciens, les artistes sont ceux qui ont le mieux compris cette interdépendance, notamment à travers la musique. Le grand peintre Georges Braque, fondateur du cubisme au début du XXe siècle, affirmait : «Le vase donne une forme au vide et la musique une forme au silence». Une vision partagée par le trompettiste de jazz Miles Davis, pour lequel «la véritable musique est le silence et toutes les notes ne font qu'encadrer ce silence». En effet, dans une salle de concert, de cinéma ou de théâtre, le silence de la salle permet d'apprécier le son provenant de la scène ou de l'écran. Sur ce plan, il faut reconnaître que nos publics ont fait des progrès considérables, bien qu'il existe encore des énergumènes capables à eux seuls de vous saborder un spectacle. Cela prouve au moins que le monde de l'art peut être plus réceptif aux changements. Dans la vie quotidienne, il en va autrement. Bien sûr, fatalement, dans des univers urbains surchargés, nous étions condamnés à subir une pollution sonore de plus en plus exacerbée. Mais il en est qui relèvent des comportements et sont sans doute symptomatiques de tendances sociologiques. Nous avions déjà les restaurants, cafés et salles des fêtes où l'on pousse le son des chaînes stéréo et des téléviseurs jusqu'à percer les tympans et empêcher toute discussion. Nous avions déjà la disparition des plaques d'interdiction de klaxonner devant les hôpitaux. Nous avions déjà la célébration du Mawlid El Nabawi que nous sommes sans doute les seuls musulmans à marquer aussi bruyamment. Nous avions déjà les klaxons encore sympathiques des cortèges nuptiaux. Nous avons désormais l'usage de feux d'artifice et de pétards sophistiqués imitant des rafales de fusils mitrailleurs pour fêter les mariages et autres fêtes à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. Comme si l'union de Mademoiselle Pipouna avec Monsieur Zmar devait concerner la moitié de l'humanité. Ce besoin de produire d'imbéciles décibels, de faire du bruit, de parler haut et fort est apparemment un phénomène socioculturel grandissant. Relève-t-il des tendances arrivistes qui s'imposent comme normes, le m'as-tu-entendu suivant naturellement le m'as-tu-vu ? D'où vient donc cette étrange «silentiophobie», quasiment psychotique ? Serait-elle la manifestation d'un peuple de sourds que ses dirigeants n'entendent que lorsqu'il hurle ?