L'histoire commune entre l'Algérie et la France durant l'année 1871 a été riche en récits. Les événements de la commune de Paris et le soulèvement de Mokrani sont les faits marquants de cette année. Les vaincus de ces deux soulèvements subiront le même sort, un jugement infamant, une déportation d'hommes et de femmes à grande échelle et des spoliations de biens. L'insurrection contre l'occupant français est initiée par Mohamed Mokrani en janvier 1871 qui sera rejoint le 8 avril 1871 par l'appel du cheikh Mohand Améziane El Haddad appelant ses fidèles de la confrérie Rahmania à se joindre à ce soulèvement. Mohamed Mokrani sera tué le 5 mai 1871, son frère Boumezrag prend la tête de l'insurrection. Le cheikh El Haddad, âgé de 80 ans, condamné à une peine de prison, est enfermé à la prison de Constantine où il décède le cinquième jour de sa détention. Il est enterré au cimetière de Constantine à côté de son fils Abdelazziz, contrairement à son vœu d'être enterré à Seddouk. Leur tombe commune a été récemment réhabilitée par les fidèles de la confrérie. C'est ainsi qu'un grand nombre d'Algériens seront déportés en Nouvelle-Calédonie et que certains d'entre eux, au terme de leur longue détention, finiront par fonder des foyers et même terminer leur vie dans cette région éloignée de plus de 25 000 km de leur pays d'origine. Les plus illustres sont Boumezrag, Mokrani, qui sera maintenu en exil forcé durant 30 ans et Abdelazziz Ben Cheikh El Haddad fils de Mohand Améziane qui s'échappera de Nouvelle-Calédonie en 1881. Amnistie et retour au pays Beaucoup d'intellectuels français ont lutté pour l'amnistie et le retour en France des communards, mais peu de voix se sont élevées pour associer à leur lutte la cause des déportés algériens. Il y a malheureusement peu d'écrits à ce sujet. C'est ainsi que Victor Hugo, Emile Zola, Paul Verlaine, Arthur Rimbaud et d'autres ont activement participé à cette lutte. Victor Hugo a même été obligé de s'expatrier à Bruxelles, sa maison sera brûlée par des émeutiers en désaccord avec ses prises de position en faveur des communards. Il a écrit L'année terrible, un livre mémoire retraçant ces événements et un poème Viro major en hommage à Louise Michel. La cause des déportés algériens sera prise en charge par un petit nombre de personnalités connues et d'intellectuels français communards après leur libération, pour certains, et leur fuite de Nouvelle-Calédonie, pour d'autres. Louise Michel, la pasionaria du syndicalisme français naissant et de la commune de Paris, s'est beaucoup investie pour la défense de leurs droits au retour à leur pays. Henri Rochefort, un autre communard échappé de Nouvelle-Calédonie avec d'autres compagnons, s'est beaucoup illustré dans cette lutte. Après son évasion rocambolesque le 20 mars 1874, il s'installe aussi à Bruxelles et crée son propre journal La lanterne qui consacrera beaucoup de temps à la cause des déportés algériens. Les échos furent nombreux, ses talents de polémiste et de journaliste confirmé et une stature internationale ont largement contribué à la reconnaissance de leurs droits. Son apport à cette cause juste est indéniable. A Paris, une rue située non loin de notre ambassade porte le nom de cet illustre défenseur des causes justes. Fruit probablement d'un hasard mais un symbole tout de même. Les communards bénéficient d'un début d'amnistie suite à une loi promulguée en 1880. Les déportés algériens sont exclus du champ d'application de cette loi. Sous la pression de la gauche et des « Calédoniens » de retour en métropole, Gambetta, président de la chambre, opte pour une amnistie plénière. Henri Rochefort bénéficie de cette loi d'amnistie, son combat en faveur des déportés algériens se déplacera vers un cadre beaucoup plus légal. De retour en Europe après leur évasion, Rochefort et ses compagnons racontent les affres subies durant leur déportation, la vérité finit pas éclater, ses compagnons d'infortune algériens profiteront de ce travail de sensibilisation. Une toile peinte par Manet raconte cette aventure, elle est actuellement exposée au musée d'Orsay à Paris. Rébellion des canaques En 1878, les tribus canaques avec à leur tête Ataï se soulèvent contre l'occupant français. La répression fut sanglante, cette révolte sera matée, le chef Ataï et son successeur Naïna seront mis à mort. Le bilan de cette révolte est lourd plus de 1400 tués dont 200 Européens. Boumezrag opte pour les militaires et offre ses services au gouverneur de la région qui les acceptera. Il apporte la caution des déportés algériens en mettant à la disposition des oppresseurs des Canaques une troupe de 50 cavaliers algériens. Par cette prise de position, il abandonne son commerce de transport en plein essor. Voilà ce que l'on peut lire dans les rares manuels traitant de l'histoire de cette époque de la Nouvelle-Calédonie. Cette tranche d'histoire, celle depuis l'occupation de la Nouvelle-Calédonie, a été écrite par les vainqueurs, les militaires. Un des rares témoignages retraçant l'histoire des déportés algériens est celui du commandant Louis Rinn qui était en poste dans cette région. Il est difficile d'accorder un quelconque crédit historique à ce genre d'écrits. Pour preuve, les historiens se sont très peu attardés sur ce détail de l'histoire de la Nouvelle-Calédonie, la vérité historique doit se baser sur des faits avérés et des preuves écrites authentifiées. Pour cette participation volontaire de Boumezrag à la répression des Canaques, il existe peu de preuves irréfutables, sinon quelques échanges de courriers attestant de sa participation à la répression de ce soulèvement et au rétablissement de l'ordre. Il n'y a rien de précis sur les motivations et les conditions de sa participation.Boumezrag voulait absolument rentrer dans son pays. Tous les subterfuges seront utilisés pour empêcher ce retour, les administrations et institutions officielles coloniales piétinaient leurs propres lois. Malgré sa longue détention, il restait une légende vivante et crainte, le but à atteindre est de le garder le plus longtemps possible éloigné de son pays. Pour son élargissement, suite aux lois d'amnistie votées, tous les moyens légaux disponibles ont été mis en œuvre, aucune action n'a abouti. D'un point de vue stratégique, son action doit être remise dans son contexte, quelles étaient les motivations des leaders canaques de l'insurrection ? La minorité algérienne se sentait-elle menacée par ce soulèvement ? partir de ce questionnement, on pourrait bien comprendre la prise de position de Boumezrag. Il abandonne un commerce florissant, il engage sa personne, sa notoriété, celle de sa lignée et surtout la vie de ses compagnons. On peut épiloguer sur le fait que le soulèvement canaque est aussi juste que le sien, mais à la différence que le sien ne mettait en danger aucune minorité en Algérie et que le pays possédait déjà des structures dans beaucoup de régions. A l'époque des faits sanglants, les tribus canaques étaient dans un état d'aliénation déplorable, elles n'étaient pas structurées, encore moins aptes à se gérer elles-mêmes. Le risque pour cette minorité de déportés était élevé, c'était une question de survie Je voudrais à travers ces lignes rendre un vibrant hommage au regretté Seddik Taouti qui a le premier fait connaître en Algérie les descendants des déportés algériens et pour les avoir aidé à construire à Bourail la seule mosquée de Nouvelle-Calédonie. Je voudrais aussi rendre hommage au réalisateur Saïd Oulmi pour l'excellent reportage qu'il a réalisé à la mémoire d'hommes qui ont participé à la longue lutte de libération du pays.