Légendes maghrébines chantées et enchantées... Déjà connue pour ses émissions de radio et de télévision autour du conte et du patrimoine culturel, Sihem Kennouche nous revient sur scène avec un excellent spectacle intitulé Semaâ Enda. Durant plus d'une heure, la conteuse nous propose d'explorer les contes et autres récits du Maghreb en dialogue avec leurs versions musicales interprétées par une brochette de chanteurs et de musiciens de talent. Kennouche a vu les choses en grand puisque, en plus des chanteurs algériens, on retrouve le Tunisien Mohamed Jebali et la Marocaine Hayet Boukhris. Deux grandes voix dans leurs styles respectifs. Côté algérien, plusieurs genres sont représentés : le chaâbi dans la tradition d'El Anka avec Mahdi Tamache (Alger), le malouf avec le jeune et brillant Abbas Righi (Constantine), la musique kabyle avec la très rock'n'roll Melissa Aït et les musiques du sud algérien avec la voix suave de Djeloul Merga. Le tout accompagné par des arrangements modernes distillés par l'orchestre sous la direction distinguée de Kamel Maati. Le dialogue entre conte et musique se fait de manière tout à fait naturelle. Et pour cause, les chansons (tirées pour la plupart du fonds poétique melhoun) sont basées elles-mêmes sur des récits. «L'art de la narration n'est pas bien différent de l'art de la chanson... tout est poésie», résume Kennouche. Revenant sur la genèse du spectacle, elle affirme que le concept existait en germe dans la poésie elle-même : «L'idée est née lors de ma recherche sur les anciens prénoms du Maghreb. J'avais pris le temps d'examiner les textes du melhoun et voilà que je tombe sur autre chose. Je découvre que chaque texte était à l'origine une histoire, une légende. Alors, je me suis dit : pourquoi ne pas jouer sur la symbiose qui existe entre la chanson et sa propre légende ?» A travers leurs versions contées, on se rend compte de la grande diversité des thèmes abordés par des textes que nous connaissons grâce à leur mise en musique sans forcément tendre l'oreille à leur signification. On va du registre spirituel du chef-d'œuvre mystique El Fiyachia au tragique avec les puissantes histoires d'amour de Hiziya ou El Boughi en passant par le merveilleux dans A Vava Inouva. Avant chaque chanson, Sihem Kennouche raconte, avec le talent qu'on lui connaît l'histoire derrière la musique. Le dialogue entre conte, poésie et musique est véritablement équilibré. Il ne s'agit en aucun cas «d'accompagnement» mais d'un véritable dialogue entre ces expressions. La conteuse jongle joyeusement entre l'arabe algérien et le français, saupoudrant le tout d'une pincée de kabyle. C'est surtout dans le dialectal que se déploie toute la beauté des contes avec des mots du quotidien mêlés de quelques termes anciens ou rares. La conteuse touche juste, car elle sait qu'en parlant la langue maternelle du public, c'est non plus à son esprit qu'elle s'adresse mais à son cœur. Et la magie a bien opéré auprès d'un public de tous âges durant une tournée qui a traversé Tlemcen, Annaba, El Oued, Tizi Ouzou pour se terminer à Alger le 10 décembre. Drapée d'un bel habit berbère, Kennouche affirme la continuité culturelle du Maghreb avec un constant va-et-vient entre le Maroc, l'Algérie et la Tunisie. Loin de tout slogan politique, l'unité maghrébine est ici affirmée comme une réalité culturelle vécue et ancestrale. «Nous ne sommes ni Orientaux, ni Occidentaux, nous sommes Maghrébins et notre culture est la même, martèle la conteuse. Nous avons les mêmes contes, les mêmes poésies et le même esprit». Elle illustre cela par la circulation des textes et légendes. En effet, longtemps avant l'avènement des réseaux sociaux et autres chaînes satellitaires, les Maghrébins communiquaient ce qu'ils avaient de plus beau (leur poésie) d'un bout à l'autre de la région. «Bien des poèmes ont voyagé à travers tout le Maghreb. El Meknassia qui a vu le jour à Meknès (Maroc) est bien plus célèbre à Alger que dans sa terre natale... El Fiyachia a vu le jour en Tunisie, pourtant elle est plus chantée dans le répertoire melhoun marocain... C'est cela le Maghreb !» Avec «Semaâ enda», littéralement «Celui qui écoute la rosée», l'on est convié à tendre l'oreille aux sonorités de cette belle langue qui se déploie dans les contes et les poèmes chantés dans les divers des genres musicaux maghrébins. Nous tendons l'oreille également à un certain esprit d'enfance qui devrait être la seule forme d'authenticité à retrouver. Cet esprit d'enfance qui, selon les mots de Jean El Mouhoub Amrouche, «n'est pas un résidu mémorial, mais un mode d'être qu'il importe de conquérir». Il s'agit aussi de tendre l'oreille au sens premier pour écouter l'autre. Une disposition qui se fait rare de nos jours. En prenant le temps d'écouter une histoire, nous réapprenons simplement à écouter, explique la conteuse. Enfin, l'intérêt de ce spectacle est de réhabiliter ce genre littéraire à part entière qu'est le conte. Souvent considéré comme genre mineur ou encore confiné au jeune public, le conte est pourtant porteur de pans entiers de notre culture, au cœur de la littérature orale. Avant de trouver le soutien de l'Agence algérienne de rayonnement culturel (AARC), Kennouche a dû faire face au scepticisme des producteurs «qui ne trouvent pas le conte assez rentable». Bref, des producteurs plus enclins à faire le compte qu'à faire des contes. Pourtant, la conteuse a relevé le défi et, devant le succès de sa tournée algérienne, elle pense déjà à une tournée maghrébine.