Trois ans après l'annonce des fameuses réformes politiques, qui n'ont pas eu lieu, l'Algérie se retrouve, une fois encore, à réviser sa Constitution Beaucoup d'encre a coulé depuis avril 2011, date où le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, qui au milieu de la tourmente des «révoltes arabes», avait annoncé une batterie de réformes politiques, parmi lesquelles la révision de la Constitution figurait en bonne place. Des consultations ont été lancées et une commission a été mise en place pour rédiger le projet de la nouvelle Loi fondamentale remaniée, faut-il le souligner, en décembre 2008 pour satisfaire les désirs d'un chef d'Etat que la disposition 74 de l'ancien texte empêchait de briguer un troisième… et un quatrième mandats. A contrario des réformes annoncées tambour battant, l'Algérie hérite au final, trois ans après, d'une présidence à vie et une situation politique totalement bloquée. La précarité de son état de santé n'a pas empêché Abdelaziz Bouteflika de se présenter aux dernières élections présidentielles. Il a pourtant, dans un discours mémorable, prononcé à Sétif à la veille des élections législatives de mai 2012, laissé entendre qu'il était temps de passer le flambeau. La promesse n'a pas été tenue. L'avidité du pouvoir, les jouissances et les protections qu'il procure, ont été visiblement plus fortes que l'altruisme politique que peut susciter la prise de conscience du bénéfice que le pays pouvait bien tirer du principe de l'alternance pacifique au pouvoir et des autres mécanismes de gouvernance que seule la démocratie peut permettre. Trois ans après l'annonce donc des fameuses réformes qui n'ont pas eu lieu, l'Algérie se retrouve avec un président réélu pour un quatrième mandat dans des conditions que l'opposition a énergiquement contestées et qui éprouve toutes les difficultés du monde à répondre à la charge de travail que la fonction présidentielle impose au titulaire du poste. Mais qu'à cela ne tienne, le locataire du palais d'El Mouradia vient encore décliner son intention, et «sérieusement» cette fois-ci, de réviser prochainement la Constitution. Le débat fait depuis quelque temps rage. Pas sur le contenu de la nouvelle mouture constitutionnelle, mais sur l'opportunité d'une éventuelle révision. Seulement à la lumière de tout ce qui a été dit autour du projet agité tantôt pour faire du remplissage politique et gagner du temps, tantôt pour détourner le regard sur une situation politique des plus kafkaïenne, la véritable question qui se pose aujourd'hui : pourquoi les tenants du pouvoir remettent-ils le projet sur la table pour réformer une Constitution qu'ils ont eux-mêmes dégarnie après la révision de 2008 ? S'il est clair que l'arrière-pensée de la consécration de la non-limitation des mandats et la concentration d'importants pouvoirs entre les mains du chef de l'Etat ont mis à nu la réalité d'un régime despotique, très peu éclairé au demeurant, l'on ne peut pas s'attendre à mieux de la part de ceux qui ont engagé le pays dans une impasse structurelle : blocage politique, institutionnel et panne économique. Plus que cela, au fil des débats enclenchés autour de l'incapacité du président Bouteflika d'assumer, à cause de sa maladie, les charges dues à la fonction présidentielle, apparaît l'inapplicabilité de l'article 88 de la Constitution. L'empêchement et son impossible application L'avocat Mokrane Aït Larbi a affirmé que le Conseil constitutionnel, bridé, ne peut prononcer l'empêchement du président Abdelziz Bouteflika. L'on sait que le jeu politique et la marge de manœuvre de cette institution qui agit en véritable verrou au cœur du pouvoir algérien sont totalement réduits. Le chef de l'Etat y a installé l'un des siens, un de ses fidèles lieutenant en la personne de Mourad Medelci qui a validé sa candidature lors de la dernière élection présidentielle. L'on sait que dans les annales politiques, des chefs d'Etat sont tombés malades au milieu de leurs mandats présidentiels qu'ils ont menés à terme, mais rarement un président sortant très affaibli par la maladie n'a présenté sa candidature à une élection présidentielle et qui plus est dans l'état de santé qui était celui du président de la République en avril dernier. D'ailleurs, beaucoup de responsables de l'opposition n'ont pas hésité à remettre en cause l'impartialité du Conseil constitutionnel et avaient exigé la publication du bulletin de santé du président-candidat. Les réponses apportées par ses fervents supporteurs étaient que le président Bouteflika va gouverner avec sa tête pas avec ses pieds. Sauf que reconduire à la tête de l'Etat un candidat qui n'a pas participé à sa propre campagne électorale est une énormité politique que personne ne peut avaler. Si les cartes du pouvoir étaient entre les mains «du clan présidentiel» qui a pu imposer les décisions qu'il veut aux différentes institutions, il faut dire aussi que l'article 88, dont beaucoup réclament l'application (en raison de la vacance du pouvoir que constate de larges pans de l'opposition), est muet quant au déclenchement de la procédure de l'empêchement du président de la République. «Lorsque le président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l'impossibilité totale d'exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous les moyens appropriés, propose, à l'unanimité, au Parlement de déclarer l'état d'empêchement», stipule la disposition en question. Le texte reste flou sur l'organe qui peut constater la maladie du Président, et par quels mécanismes le Conseil constitutionnel peut-il vérifier la réalité de l'empêchement. Et qui pourra parmi l'équipe médicale du chef de l'Etat violer le secret médical ? Concrètement l'article 88 de la Constitution est un non- texte si on le situe dans le contexte actuel des choses et les rapports de forces qui existent en les différents segments du pouvoir. Par contre, le texte est d'une clarté limpide «en cas de démission ou de décès du président de la République». «Le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit et constate la vacance définitive de la présidence de la République. Il communique immédiatement l'acte de déclaration de vacance définitive au Parlement qui se réunit de plein droit.» La raison est très simple : le CC vient réagir à une situation de fait. «Quand est-ce qu'une maladie peut se transformer d'une cause d'empêchement provisoire à une source d'empêchement définitif ?» s'interrogent les spécialistes. Les chefs d'Etat s'attachent souvent à leurs capacités mentales. Dans le cas qui est celui du président Bouteflika, l'on ne cesse pas de dire qu'il suit les dossiers et garde ses capacités intellectuelles intactes. L'argument n'est pas nouveau, usité déjà par le défunt président français, François Mitterrand, qui à sa sortie d'hôpital en septembre 1992, où il avait subi une opération qui l'avait diminué physiquement à l'entame de son deuxième septennat, déclarait qu'il n'avait là «aucun motif de démission, car les cellules de son cerveau étaient en parfait état». Très rares donc les chefs d'Etat qui abandonnent aussi facilement le pouvoir. La constitution : La feuille de vigne qui cache mal la réalité du pouvoir Dans les pays du Tiers-Monde, c'est un événement exceptionnel. Il s'est produit une fois avec le défunt Nelson Mandela, qui a quitté le pouvoir au terme de son premier mandat, et au Ghana, où John Kufuor a laissé jouer l'alternance démocratique après deux mandats présidentiels. Par ailleurs, dans la Constitution algérienne, il y a d'autres articles qui soit ils sont carrément violés et non respectés comme ceux liés à la liberté d'association de réunion ou de manifester ou des dispositions qui n'ont pas de prolongement dans la vie institutionnelle, tel l'article 158 qui stipule : «Il est institué une Haute Cour de l'Etat pour connaître des actes pouvant être qualifiés de haute trahison du président de la République, des crimes et délits du Premier ministre, commis dans l'exercice de leur fonction.» La composition, l'organisation et le fonctionnement de la Haute Cour de l'Etat, ainsi que les procédures applicables, fixés par une loi organique n'a jamais vu le jour. Dans l'une de ses contributions le professeur tunisien, Rafaâ Ben Achour, soutient que «la nature des régimes politiques (au Maghreb), l'ambiguïté de la notion de haute cour et son caractère très exceptionnel condamnent à l'échec de toute éventualité d'une mise en œuvre cette responsabilité politico-pénale». Selon lui, «la possibilité de poursuivre les chefs d'Etat pour trahison est d'un point de vue de philosophie politique, liée à la théorie de l'Etat de droit». Dans la Constitution, la disposition joue un double rôle : de belle façade démocratique, mais aussi de recours d'urgence comme l'explique dans l'entretien Mme Fatiha Benabbou.