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Il faut se préparer à des années de disette
Ahmed Benbitour. Ancien chef de gouvernement
Publié dans El Watan le 02 - 01 - 2015

Pour être capable d'encaisser la baisse des prix du pétrole, l'Algérie doit revoir son système de gouvernance tout entier. L'ancien ministre, qui n'a de cesse de le rappeler, explique pourquoi les années de rente sont derrière nous.
- La baisse du prix du pétrole est au cœur du débat sur l'avenir de l'Algérie. Combien de temps peut-elle durer ?
Les économies de plusieurs pays dans le monde sont en récession. D'où la baisse de la demande qui n'est pas accompagnée d'une baisse de l'offre. Une offre excédentaire entraîne la baisse des prix. La baisse durera le temps que les gros producteurs refusent de baisser leur niveau de production.
- Qui contrôle finalement le prix du pétrole dans le monde ?
La détermination des prix passe par des accords tacites entre un nombre restreint de décideurs dans les pays exportateurs et dans les pays importateurs. Je rappelle qu'en 1985, un accord secret entre un pays du Nord et un pays gros producteur de pétrole, pour inonder le marché en vue d'affaiblir l'URSS, a vu les recettes d'exportation de l'Algérie baisser de 40% en 1986 et le pouvoir d'achat de ces recettes baisser de 50%. Le problème, aujourd'hui, c'est qu'il y a une divergence d'intérêts entre les pays producteurs. Les pays gros producteurs avec des réserves importantes développent des politiques de parts de marché, alors que les petits producteurs, comme l'Algérie, sont intéressés par des politiques de prix.
- Quelles seront les répercussions de cette baisse du prix du baril sur l'économie nationale ? Pensez-vous que le plan d'austérité lancé par le gouvernement est la bonne solution ?
Vous savez ce qui est arrivé à l'Algérie après 1986. Aujourd'hui, les conséquences seront plus catastrophiques encore, parce que les dirigeants de ce pays ont géré l'aisance financière avec beaucoup de laxisme, enfonçant l'économie nationale dans une dépendance extrême des recettes d'exportation des hydrocarbures.
Dans les années 1970, le gouvernement s'était imposé la règle d'or de ne financer le budget de fonctionnement que par les recettes ordinaires, épargnant la totalité de la fiscalité pétrolière pour le budget d'équipement et pour les investissements dans les entreprises publiques. Effectivement, les recettes ordinaires sur la période 1969-1978 ont totalisé 97,6 milliards de dinars, alors que les dépenses de fonctionnement se sont situées à 71,1 milliards de dinars, soit une épargne, hors fiscalité pétrolière, de 26,5 milliards de dinars. Aujourd'hui, deux tiers des dépenses de fonctionnement sont financés par la fiscalité pétrolière.
En 2011, sur chaque baril de pétrole exporté, 70 dollars allaient au budget de fonctionnement. Ce qui signifie que si le prix tombe au-dessous de 70 dollars, il ne restera rien pour financer les dépenses d'équipement. Et ceci, avec les niveaux de production et de consommation nationale de 2011. Or, nous enregistrons depuis 2006 une baisse tendancielle de la production d'hydrocarbures et une augmentation importante de la consommation nationale, ce qui a pour conséquence une baisse importante des quantités exportées. Les exportations en volume de 2013 représentaient 63% par rapport à leur niveau en 2006.
Le prix nécessaire pour l'équilibre des dépenses budgétaires est passé de 34 dollars en 2005 à 115 dollars en 2011 et 130 en 2012. Aujourd'hui, nous enregistrons une baisse des prix et des quantités, soit une accélération de la baisse des recettes qui va apparaître dès 2015. Vous parlez de «plan d'austérité», alors qu'il s'agit de simples coupes budgétaires marginales. C'est donner de l'aspirine à une personne atteinte de cancer. En 2014, le prix moyen d'exportation était autour des 100 dollars, mais s'il tombe à 60 dollars en 2015, il faudra faire face à une baisse des recettes fiscales de l'ordre de 40%. Il y a, certes, une épargne dans le fonds de régulation qui permettra de faire face à ce niveau de prix pour une année, mais que faire après ?
- Pensez-vous que le gouvernement actuel est capable de faire face à la crise ou faudrait-il un remaniement de fond ?
Il ne s'agit plus d'une quelconque composante gouvernementale. La solution passe nécessairement par le changement de tout le système de gouvernance. J'avais, à ce sujet, proposé un programme complet de changement en signalant qu'il fallait le faire démarrer avant 2012.
- Vous êtes parmi les premiers à annoncer une baisse importante des recettes d'exportation de pétrole en 2017. L'exploitation actuelle de pétrole et du gaz de schiste ne contredit-elle pas votre prédiction ?
En ce qui concerne le gaz de schiste, nous en sommes à peine au stade de l'exploration. L'exploitation n'aura de sens que si elle s'inscrit dans une stratégie de transition énergétique bâtie sur un système équilibré et durable que procurent les sources d'énergie renouvelables : solaire, conversion d'hydrogène, etc. Cette transition énergétique demande du temps et de l'argent et doit toucher l'offre, c'est-à-dire les nouvelles sources de production d'énergie, et la demande, c'est-à-dire un nouveau modèle de consommation qui implique un nouveau choix de société ! Le défi est énorme.
D'abord, trouver de nouvelles sources énergétiques pour satisfaire la demande nationale, ainsi que de nouveaux moyens pour financer les importations de marchandises et le budget de l'Etat. Ensuite, réussir la transition énergétique par la décentralisation de l'énergie comme source de bien-être de proximité, créant ainsi une société stable, indépendante, équilibrée et une occupation optimale du territoire. Il faut aussi prévoir l'exploitation de ces nouvelles sources d'énergie comme un moteur de développement technologique de pointe, par des compétences nationales.
Il est quasiment impossible d'imaginer une couverture totale des besoins énergétiques par les gaz et pétrole non conventionnels sans maîtriser la fabrication des forages au niveau national. En entrant dans les hydrocarbures non conventionnels, avec une offre mondiale abondante, on vise, au mieux, l'autosuffisance. Adieu la rente ! Où trouver les ressources pour financer les importations alimentaires et le budget de l'Etat, qui ne peuvent qu'augmenter sans une refondation fondamentale de notre économie ? Les importations de biens et services sont passées de 11,92 milliards de dollars en 2001 à 65,5 milliards en 2013.
Ce à quoi il faut ajouter près de 8 milliards de dollars de rapatriement de bénéfices ! Soit une charge totale annuelle en 2013 de 73 milliards de dollars sur la balance des comptes courants. Leur solde reste certes positif, mais il est tombé de 20 milliards de dollars en 2011 à 2 milliards en 2013 et deviendra très probablement négatif après ! Nous sommes bien installés dans l'étape d'amenuisement de la rente ! C'est l'hypothèque sur l'avenir de la nation ! Il faut se préparer aux années de disette qui se dessinent dans un horizon très proche.
- Si vous étiez toujours chef de gouvernement, que feriez-vous face à cette situation ?
Si j'étais toujours chef de gouvernement, j'aurais utilisé l'aisance financière au service d'un développement durable du pays avec une moindre dépendance aux hydrocarbures. Mais aujourd'hui, je ne cherche pas et je ne veux pas de position officielle dans l'Etat, à quel que niveau que ce soit.


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