Yennayer est un événement fêté par les populations de Tamazgha, berbérophones ou non. On y accueille la nouvelle année, peu importe le rituel : sacrifice du poulet, crêpes, sacrifice particulier du bouc, uftiyen (ou irecmen «blé, fèves… bouillis») cérémonie de l'ayrad, etc. C'est une division d'un vieux calendrier : le calendrier julien, qui est, rappelons-le, un calendrier agraire, et c'est aussi un calendrier solaire. Mais pourquoi un retard de 12 jours ? Pourquoi le fête-t-on 12 jours après le nouvel an chrétien ? Le calendrier romain, qui était un calendrier de 12 mois lunaires, fut réformé par Jules César en l'an 46 av. J.-C. (en l'an 708 de Rome), d'où la dénomination de calendrier julien. D'une durée approximative de 365 jours ¼, il comprend alors 3 années communes de 365 jours et une année bissextile. Il a subi une seconde réforme peu avant la fin du XVIe siècle. En effet, le Père Grégoire, qui a à son actif plusieurs réformes, constata en 1582 que le calendrier était en retard de 10 jours par rapport au temps réel. Il fit alors étudier une solution, «supprima» dix jours et décida que le lendemain du 4 octobre 1582 fût le 15 octobre (1582). Le nouveau calendrier ainsi réformé a reçu le nom de calendrier grégorien. A supposer que le décalage de ce calendrier soit d'un an tous les deux cents ans, le retard est maintenant de 12 (10 + 2) jours. Cet événement, appelé aussi tawwurt useggas ou tiwwura useggas [la(les) porte(s) de l'année], qui célèbre la nouvelle année solaire, est plusieurs fois millénaire : il renvoie dos à dos les deux autres jours de l'an à tonalité religieuse, le Jour de l'an chrétien, dans le cadre du calendrier solaire, qui fête la nativité ou la naissance de Jésus (c'est plutôt la Noël, le 25 décembre), et Awwal Muharrram, qui fête, dans le cadre du calendrier lunaire, l'hégire, c'est-à-dire la fuite de Muhammad de la Mecque à Médine en 622 de l'ère chrétienne. Peu importe ce qu'on y met comme rituel en fonction de la région ou du groupe humain (sacrifices, plats cuisinés, chants, danses, etc.), cet événement, qui existe depuis la division utilitaire de l'année en périodes correspondant aux étapes du cycle de la nature, est une fête de la nature. Plus préoccupés par les soucis de survie d'ici-bas, d'où des sagesses comme Anda wwden waman n Yennayer ad yawed yitij n ghuct [jusqu'où ont pénétré les eaux (de pluie) de Yennayer pénétrera l'ardeur du soleil en août], les populations de cette contrée considèrent ce rendez-vous comme une solennité communautaire. Yennayer constitue à ce titre une survivance, un vestige à la limite du méconnaissable d'un paganisme respectueux de la nature mais qui semble en perte de vitesse face à ces mastodontes à fondement céleste que sont le Jour de l'An et Awwal Muharram et qui, tels des rouleaux compresseurs, broient tout sur leur passage. Ces mastodontes ne tarderont pas à avoir raison de Yennayer car depuis toujours l'un et l'autre passent pour être des «dates universelles» et l'un et l'autre sont des jours fériés, notamment chez nous en Algérie, c'est-à-dire chômés et payés tandis que c'est à peine si Yennayer ne passe pas inaperçu. S'il est en effet célébré dans certaines régions, d'autres (régions ou familles) le font en catimini alors que dans d'autres encore on en laisse le soin à l'association du village ou de la commune… à l'échelle des institutions, à l'exception de la mention qui en est faite dans le programme (je devrais dire plate-forme de revendications) du Haut Commissariat à l'Amazighité, il n'est jamais venu à l'esprit d'un quelconque responsable de la République Algérienne Démocratique et Populaire d'inscrire Yennayer comme journée républicaine chômée et payée. Car qu'on l'appelle Amenzu n Yennayer, Yennayer, Nnayer, Yennar, c'est sans doute là une occasion de dire adieu à l'année écoulée et de souhaiter la bienvenue à la nouvelle année sans avoir besoin de se justifier face à une religion ou une autre, une occasion naturelle et rassembleuse.