La visite du chef d'Etat sénégalais à Alger fait montre de la volonté de la diplomatie algérienne de se redéployer en Afrique et de promouvoir des solutions exclusivement africaines aux problèmes du continent. Macky Sall, le président sénégalais, est le deuxième chef d'Etat africain à visiter l'Algérie en moins d'un mois. Il succède au président tchadien, Driss Deby Itno, venu fin décembre évoquer les relations économiques et les questions sécuritaires avec les responsables algériens. Le Tchad, qui a joué un rôle d'appui dans l'opération menée par les troupes françaises au nord Mali, vient de proposer au Cameroun «un soutien actif» pour combattre les extrémistes de Boko Haram. Le groupe terroriste nigérian, qui semble faire ce qu'il veut au nord du Nigeria en l'absence de l'armée, tente «d'exporter» sa terreur vers le Cameroun et le Tchad pour des raisons qui restent encore inexplicables. Lutter contre le terrorisme, la contrebande et le trafic d'armes préoccupent autant N'Djamena qu'Alger et Dakar. Alger, qui défend avec peine «une approche africaine» en matière de prévision des nouvelles menaces sécuritaires, cherche à convaincre les partenaires sahélo-sahariens pour qu'ils s'engagent davantage aux fins de pourchasser et lutter contre les groupes terroristes. Des groupes qui, selon les experts, se servent du «chaos» libyen pour se doter d'armement, s'entraîner et... s'enrichir. Le Tchad, qui partage des frontières avec la Libye, semble le plus exposé aux dangers venant de la Libye, du Nigeria et de la Centrafrique. D'où la nécessité pour N'Djamena de coordonner ses actions politiques, militaires et sécuritaires avec Alger. N'Djamena, qui a souhaité que l'OTAN «termine le travail en Libye» après avoir «créé le désordre», n'est pas hostile «à une solution politique» à la crise libyenne tel que défendue par Alger. Driss Deby a même parlé en Algérie «d'agendas étrangers» qui entravent «la solution politique» en Libye. Le Sénégal, qui n'est pas loin de la zone d'instabilité sahélienne et qui a des soldats engagés avec la Minusma au Nord-Mali, cherche, à travers une diplomatie active, à fédérer les efforts ouest et nord-africains pour contrer le terrorisme et les nouvelles formes violentes de déstabilisation. «Fragilité» A la mi-décembre 2014, Dakar a abrité un forum sur la sécurité et la paix en Afrique soutenu et coorganisé par la France. Un forum marqué par la présence des présidents tchadien et mauritanien. Alger n'a pas souhaité prendre part à ce forum en raison probablement de l'implication française directe et visible. Le Nigeria et l'Afrique du Sud n'ont pas participé aussi. L'Union africaine a également marqué ses distances malgré la présence de l'Algérien Smaïl Chergui, commissaire à la paix et à la sécurité de l'UA. Alger et Paris sont visiblement en concurrence dans la zone sahélo-saharienne pour «maîtriser» la situation sécuritaire, «renforcer» le contrôle aux frontières, contenir «la propagation» du danger terroriste et contrer le crime organisé. «La menace terroriste n'a plus de frontière, les acteurs se multiplient et profitent de la fragilité des espaces frontaliers», a déclaré à Dakar Jean-Yves Le Drian, ministre français de la Défense. Macky Sall est-il venu à Alger défendre «les visions» du forum de Dakar qui donne la priorité à l'option militaire préventive au détriment du développement économiques des zones vulnérables ? Ou a-t-il fait le déplacement à la demande d'Alger pour écouter ce que les Algériens ont à proposer en matière du plan antiterroriste dans un cadre afro-africain strict ? La diplomatie algérienne tente péniblement de se redéployer en Afrique en l'absence d'une véritable politique dirigée vers le continent, claire et bien tracée. Idriss Deby et Macky Sall ont, tous deux, plaidé pour une véritable coopération dans le domaine économique. Porte d'entrée «La coopération algéro-sénégalaise ne doit pas se limiter aux relations politiques officielles mais doit s'élargir au partenariat économique, aux investissements publics et privés, en plus des échanges commerciaux. Avec l'Algérie, nous voulons développer un partenariat gagnant-gagnant», a déclaré Macky Sall, cité par l'agence APS. Selon lui, l'Algérie peut contribuer grandement dans les chantiers ouverts dans le plan «Sénégal Emergent» qui porte sur des projets économiques et sociaux. «Les gouvernements algérien et sénégalais vont travailler à renforcer le cadre juridique de leur coopération et faire en sorte que les contraintes soient levées pour que l'investissement, le commerce et les échanges économiques connaissent une réalité plus dynamique entre les deux pays», a ajouté le président sénégalais. Idriss Deby a, pour sa part, sollicité «la compétence algérienne» en matière d'exploitation des hydrocarbures. Et il a appelé ouvertement l'Algérie à «accompagner le Tchad» à développer son potentiel pétrolier et gazier dans le futur. Le secteur des mines constitue, selon le président tchadien, «une autre piste» pour le développement de la coopération bilatérale. Idriss Deby a même parlé de l'important gisement minéral dont recèle le Tchad, comme l'or et l'uranium. Ni le président Bouteflika, ni le Premier ministre Abdelmalek Sellal, ni encore le ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra n'ont répondu clairement à ces offres stratégiques et de haute importance faites par les deux dirigeants africains. D'où la question : l'Algérie, qui ne développe ses relations économiques qu'avec une partie de l'Europe, l'Amérique du Nord et la Chine, est-elle réellement intéressée par un investissement à grande échelle durable en Afrique ? Les entreprises privées algériennes qui veulent s'engager dans le marché africain sont bloquées par des instructions, mesures et décisions bureaucratiques d'un autre âge prises par le gouvernement. La voix de l'Algérie est presque absente dans toute l'Afrique. Les ambassades algériennes ne prennent aucune initiative en matière culturelle, économique, commercial, universitaire, scientifique ou sociale. Les Algériens, qui cherchent à s'impliquer davantage en Afrique, trouvent peu de soutien des représentations diplomatiques algériennes. Ailes cassées Air Algérie, une compagnie aux ailes cassées, ne couvre qu'une petite partie de l'Afrique, largement dépassée par Egypt Air, Ethiopian Airlines, Royal Air Maroc, Emirats et Qatar Airways. Les produits algériens sont absents des étals du Dakar, Lomé, Abidjan, Bamako, Douala, Nairobi ou Brazzaville. Contrairement au Maroc, à la France ou à la Grande-Bretagne, aucune radio algérienne ne diffuse localement sur la bande FM en Afrique. La télévision et la radio algériennes, malgré l'importance des moyens techniques et financiers qu'elles détiennent, n'ont aucun correspondant dans les capitales africaines, contrairement à des chaînes nées ces dernières années. L'Algérie ne fournit aucun effort pour appuyer l'exportation du livre algérien vers l'Afrique. Pas d'effort n'ont plus pour assurer une distribution des films, pièces de théâtre, spectacles de danse ou œuvres plastiques en Afrique. Il n'existe aucun Centre culturel algérien dans les pays africains. A Alger, on n'a peut-être pas compris l'importance de la diplomatie culturelle et économique dans le renforcement des relations avec les Etats et dans l'élévation du niveau de l'influence et de la présence. Mercredi, le président sénégalais s'est rendu à Aïn Madhi, siège de la zaouia tidjania, dans la wilaya de Laghouat, pour évoquer l'importance de cette confrérie dans la consolidation des relations enter les deux peuples. Au Sénégal, les adeptes de la Tidjania sont nombreux. Pourtant, l'Algérie ne semble pas tirer profit de cette tradition. Les Tidianes sénégalais éprouvent beaucoup de difficultés pour décrocher un visa à l'ambassade d'Algérie à Dakar et pour se déplacer à Aïn Madhi. Pourtant, cela aurait pu contribuer à relancer d'une manière ou d'une autre le tourisme cultuel et consolider les relations entre les communautés des deux pays. Le déplacement des adeptes sénégalais de la Tidjania au Maroc se fait plus facilement avec moins d'obstacles. Le journal sénégalais Le Quotidien a révélé que Macky Sall a proposé de «dégeler» les relations politiques entre Alger et Rabat. «Le président Macky Sall, en visite en Algérie, a mis à profit sa présence dans ce pays pour entamer une médiation entre les deux frères ennemis, l'Algérie et le Maroc. D'ailleurs, des membres de la délégation, qui l'accompagne à Alger, ont assuré que, hier, au cours de l'entretien en tête-à-tête qu'il a eu avec le président Abdelaziz Bouteflika, le président Sall a soulevé la question des relations entre les deux voisins du Maghreb, et de la manière de les faire revenir à de meilleurs niveaux de compréhension. Selon les mêmes personnes, le chef de l'Etat algérien s'est montré totalement ouvert à une médiation du Sénégal, et décidé à lui apporter tout son concours», a écrit le journal. Le Sénégal considère le Maroc comme l'un des plus importants partenaires en Afrique. Et, à Alger, Macky Sall a pris soin de dire que le Sénégal «n'a jamais eu de problème ou de contentieux» avec l'Algérie.