Scrutant les mouvements islamistes radicaux depuis le début des années 1990, H'mida Ayachi décrypte l'irruption brutale sur la scène d'un islamisme de «type nihiliste, plus dangereux que celui qu'a connu le pays». Il évoque une alliance, apparue dans le sillage de la réconciliation nationale, entre ce qu'il appelle «les nouveaux réactionnaires» et un «islamisme nihiliste et affairiste». - Lors de la marche de vendredi dernier, les salafistes radicaux ont scandé des slogans à la gloire des groupes terroristes (Daech) rappelant les sinistres périodes des années quatre-vingt-dix. Qu'est-ce que cela vous inspire ? L'image nous ramène à la case de départ, voire pire. C'est une image qui renforce et aggrave le désespoir qui s'empare de la société. Parce que les Algériens qui ont vécu la période du terrorisme se retrouvent aujourd'hui dans un contexte de cohabitation avec un populisme porté non seulement par des slogans et des mots d'ordre classiques de la période de l'ex-FIS, mais par un islamisme qui s'inspire des organisations de type Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL ou Daech). Nous assistons à l'émergence du degré zéro de l'islamisme. Nous ne sommes pas dans un islamisme politique comme on l'a connu par le passé, mais dans un islamisme affairiste et nihiliste, qui fait alliance avec ce que j'appelle les «nouveaux réactionnaires». Une alliance qui a pour objectif le contrôle du pouvoir au détriment de la citoyenneté et de la démocratie. Ces nouveaux réactionnaires instrumentalisent l'islamisme à travers l'encouragement des anciennes figures de l'islamisme armé. Madani Mezrag reçu à la Présidence, l'ouverture de chaînes de télévision proches du cercle des nouveaux réactionnaires pour lancer des fatwas contre un écrivain en sont l'illustration. Le but est de fausser le jeu politique et de créer une fausse conscience. De l'autre côté, nous avons observé comment Saïd Sadi a été violement attaqué, comment la justice a précipitamment réagi, suivie de discours de diabolisation. Le message est clair. Verrouiller l'espace de débat contradictoire. Cette situation va nous conduire vers un islamisme nihiliste aux conséquences désastreuses. - Le risque d'un re-basculement dans la violence n'est pas à exclure ? En refusant l'alternative démocratique, le pouvoir a envoyé un signal fort qui peut conduire, en effet, à la violence qui va nier l'existence même de l'Etat. Les nouveaux réactionnaires jouent avec le feu. On l'observe avec l'affaire Charlie Hebdo : comment la société a été soumise à une machine de manipulation à travers les islamistes pour donner l'image d'un Etat qui défend l'islam. C'est une dérive parce que cela renforce les rancœurs et la haine. Le grand diable serait l'Occident. Du pain béni pour les extrémistes de tous bords. - Comment justement cet islamisme a pu se régénérer, alors que le pays croyait en être définitivement vacciné ? Ce n'est pas une surprise, c'était prévisible. C'est tout un processus qui a commencé avec la politique de réconciliation nationale qui, en réalité, a été vidée de son sens et de son objectif. La réconciliation n'a pas été menée comme un processus devant aboutir à une démocratie politique réelle ; elle a été vidée de cette substance nécessaire à sa réussite. Le pouvoir s'est approprié le discours de réconciliation prôné par Aït Ahmed et feu Mehri dans le but de reconstruire l'autoritarisme autour de Bouteflika. Dès lors, le fossé s'est creusé entre l'Etat et la société. La conséquence directe a été justement le bradage de cette conscience forgée dans la lutte antiterroriste. - L'islamisme a-t-il un ancrage au point de constituer une menace ? Nous sommes en présence d'un islamisme radical, pauvre politiquement et intellectuellement, nihiliste. Il a pu s'installer parce que Bouteflika a encouragé un islamisme d'apparence apolitique. Mais en réalité, dans une phase de crise, il posera un grave problème et pourrait générer de la violence. Les «nouveaux réactionnaires» ont écarté du jeu politique les symboles de l'islamisme radical de type Ali Benhadj, leur substituant de nouveaux représentants. Hamadache en est un, formé et parrainé par l'Arabie Saoudite via son ministère de l'Intérieur. De retour de son séjour saoudien, Hamadache a rencontré un encouragement de la part de ce que j'appelle le «parti du quatrième mandat» avec son noyau de «nouveaux réactionnaires», des affairistes de type maffieux. Dans l'imaginaire, la marche de vendredi envoie un signe inquiétant à court terme. Alors que parallèlement à cela, on observe comment le Sud, qui demeure attaché à un islam algérien, porte des revendications modernes. Un printemps de luttes citoyennes qui vient du Sud. C'est là tout le paradoxe algérien.