En bon islamiste qui sait ce qu�il veut, Rabah Kebir poss�de cette propension � ne jamais d�crocher. D�barqu� par ses amis de la direction de l�ex-FIS � l��tranger, il a su rebondir gr�ce � l�ex-AIS, s�engouffrant dans la br�che ouverte par la Charte pour la paix et de la r�conciliation � travers laquelle il voit de nouvelles possibilit�s se dessiner pour la mouvance qu�il repr�sente. 1) Rabah Kebir, questions sur un retour De retour au pays, Kebir caresse l�espoir de fonder un parti diff�rent de ce qu�a �t� le FIS. Ce dernier, at- il confess� � un confr�re, ��tait un moyen et non une fin en soi. Ce moyen qui �tait le FIS a fait son chemin, a eu son temps et a pris fin�. Autrement dit, il faut cr�er un autre parti avec une d�marche et des objectifs politiques adapt�s � l�Alg�rie d�aujourd�hui. En 15 ans, le pays a chang�. Ceux qui avaient une dizaine d�ann�es ou moins en 1991, et qui n�ont connu que la violence, ne sont pas dans les m�mes dispositions que leurs a�n�s. Une bonne partie de ces derniers, qui avaient � l��poque soutenu le FIS, soit par conviction soit pour sanctionner le pouvoir politique, ne voient plus aujourd�hui la r�alit� comme ils la percevaient en 1991. En tout cas, l�exp�rience l�a montr�, ils ne sont pas pr�ts � soutenir un nouvel aventurisme djihadiste. L�ex- FIS, tel qu�il existait et tel qu�il activait, ne correspond donc plus aux nouvelles r�alit�s. Telle est la conclusion � laquelle est parvenu l�ex-num�ro trois du FIS. Sans perdre de temps, Kebir s�est aussit�t mis � la t�che. Dimanche, il s�est entretenu avec Abdelaziz Belkhadem, l�une des personnalit�s du pouvoir figurant dans son agenda, avant de s�entretenir ensuite avec Aboudjerra Soltani. Des personnalit�s qui vont lui prodiguer les bons conseils qu�il attend d�elles pour r�aliser son objectif : cr�er ce nouveau parti islamiste indispensable dans la perspective de la reconfiguration de la carte politique vis�e par le pouvoir � travers son projet de r�vision constitutionnelle. Dans ce cas de figure, la question de prolonger ou pas, au-del� de la date limite du 28 ao�t, l�application de la Charte est tout � fait secondaire. Sur ce sujet, les appels lanc�s pour cette prorogation par le Premier ministre Abdelaziz Belkhadem et Aboudjerra Soltani du MSP n�avaient pour seul et unique but que de d�montrer leur bonne foi r�conciliatrice vers ce qui reste de la base de l�ex-FIS. Au del�, le seul objectif poursuivi par ces hommes et leurs partis est la concr�tisation de cette vaste alliance islamoconservatrice int�grant tout ou partie des militants et cadres de l�ex- FIS. Et pour ce faire, ils ont besoin de Kebir et ses amis. 2) Une constante du pouvoir, le besoin d�un compromis avec l�islamisme Cette recherche d�un compromis avec les islamistes dans le but de les int�grer dans le jeu politique plonge ses racines au lendemain de l�assassinat du pr�sident Boudiaf. Sa disparition tragique avait sonn� le glas de son projet, publiquement assum�, d��dification d�un Etat fond� sur la s�paration du religieux et du politique. Les tractations avec les dirigeants islamistes en prison et en clandestinit� avaient d�but� durant l��t� 1993 quand fut prise la d�cision de mettre fin au HCE (Haut Comit� d�Etat) pour le remplacer par une pr�sidence de l�Etat. C�est ainsi que de 1993 � aujourd�hui, le fil du �dialogue � n�a jamais �t� rompu avec les islamistes. Et malgr� un contexte d�extr�me violence marqu� par les massacres de l��t� 1997 et de janvier 1998, le pouvoir ne leur a, en fait, jamais ferm� la porte. Contrairement � Ali Benhadj, en politique avis�, Rabah Kebir a vite fait de saisir la perche tendue. Et s�il a tergivers�, ce n�est pas par intransigeance doctrinale, c�est parce qu�il voulait s�assurer que toutes les conditions sociopolitiques �taient r�unies avant de donner son accord. C�est chose faite aujourd�hui. Sans cela, il serait rest� en exil. La question n�est donc pas tant de savoir si les autorit�s politiques veulent int�grer au jeu politique, sous une forme ou une autre, via Rabah Kebir, les islamistes �chappant � leur autorit�, mais quand et sous quelle forme politico-organisationnelle se r�alisera le deal pass� avec ces islamistes qui ont troqu� la calotte et le kamis pour le costume et la cravate. Pour l�heure, constatons au passage que l�entreprise de Rabah Kebir rencontre des oppositions parmi ses anciens amis, � commencer par Ali Benhadj et, tout r�cemment, Mourad Dhina qui l�accuse de �chanter les louanges du pr�sident Bouteflika� apr�s que ce m�me Dhina ait r�v�l�, selon Libert�, qu�il avait rejet� la m�diation d�un ministre envoy� d�Alger pour le convaincre de rentrer librement au pays. 3) Un islamisme qui renouvelle sa strat�gie Tout comme le MSP, Kebir n�a pas renonc� � l�id�e que la loi de Dieu est sup�rieure � celle des hommes. En fait, ses amis et lui s�inscrivent dans une logique politique de recherche d�alliance avec d�autres forces non islamistes bas�e sur un programme aux apparences d�mocratiques, une alliance strat�gique diff�rente de celle contract�e en 1995 � Sant�Egidio. On a ainsi affaire � un islamisme qui cherche � se banaliser, renon�ant � la violence pour conqu�rir le pouvoir, int�grant le jeu institutionnel et sociopolitique, et qui se veut non r�ductible � sa seule dimension strictement religieuse. Et qui, de surcro�t, � l�instar des Fr�res musulmans �gyptiens ou du Hamas palestinien, voire de l�Iran chiite, est en train d�int�grer la dimension nationaliste qu�il rejetait auparavant au nom de la �oumma�, afin d�en faire un nouveau vecteur de l�id�ologie islamiste se r�sumant � ceci : intransigeance en mati�re de relations ext�rieures, vis-�-vis de l�Occident, et position r�actionnaire sur le plan interne, concernant, par exemple, le statut des femmes et les libert�s fondamentales. Ce renouveau islamiste, auquel on assiste aujourd�hui, est mis en exergue par la crise du Proche- Orient, notamment la situation irakienne, au point o� les islamistes, du fait de l�incapacit� des r�gimes arabes et musulmans � faire face aux pressions occidentales, se posent d�sormais en figure de la r�sistance anti-occidentale, surtout aux yeux des plus d�munis. 4) Citoyennet� politique et citoyennet� sociale A l��vidence, les islamistes posent un d�fi de type nouveau aux d�mocrates. Tant que l�islamisme pr�nait la violence et apparaissait sous les traits du terrorisme djihadiste, la r�ponse �tait simple : mobiliser les citoyens pour contrer la menace qu�il repr�sentait. Mais � partir du moment o� il d�veloppe avec l�appui de certains cercles du pouvoir une logique d�int�gration politico-institutionnelle, la donne est tout autre, et appelle une r�ponse politique renouvel�e. R�gle-t-on, par exemple, le probl�me en affirmant et en d�non�ant le fait que les islamistes repr�sentent une menace pour l�Etat et la soci�t�, ou que l�alliance entre la fraction conservatrice du pouvoir et les islamistes signifie l�enterrement de l�Etat r�publicain et l�av�nement de l�Etat islamiste ? R�gle-t-on le probl�me si l�on ne s�attache pas � d�voiler concr�tement le contenu sociopolitique de cette compromission quand on sait par ailleurs que l�islamisme est l�une des expressions politico-id�ologiques de l�alliance entre la fraction la plus r�actionnaire de cette nouvelle race d�affairistes, qui a grandi � l�ombre du secteur d�Etat, et des couches moyennes les plus conservatrices ? Pour diff�rentes raisons, les islamistes existent et il faudra faire avec. Croire qu�on peut r�gler le probl�me de leur existence par d�cret, c�est faire montre de myopie politique. Ainsi, si l�une des r�ponses des d�mocrates assurant que la solution consiste dans une s�paration du politique et du religieux est juste dans l�absolu, il faudra bien r�fl�chir s�rieusement et travailler sur les conditions sociopolitiques de sa mise en �uvre. Car le principe d�une s�paration du religieux et du politique suppose l�existence d�une soci�t� civile et politique autonome et structur�e, socialement enracin�e et l�gitim�e politiquement. Cette condition � la cr�ation d�un Etat bas� sur la s�paration du religieux et du politique ne peut donc se r�duire � la seule alliance de partis dont l�ancrage dans la soci�t� alg�rienne reste � construire, et ce, quelles que soient la justesse et la pertinence de leurs analyses. En outre, la v�rit� nous contraint � observer que les partis d�mocrates sont relativement absents du terrain des luttes sociales parce qu�ils le sont, pour des raisons sans doute objectives, dans les entreprises et sur les lieux de travail. Le mouvement citoyen en Kabylie et le mouvement social, comme l��mergence des syndicats autonomes, ont �merg� et se sont d�velopp�s en dehors des partis politiques. De plus, il ne suffit pas d�agiter le spectre islamiste aux yeux des Alg�riens si ces derniers ne sont pas convaincus que l�am�lioration de leurs conditions sociales d�existence port�e par le projet d�mocratique est ins�parable de la lutte pour faire �chec au projet islamiste. A l�inverse, dire aux Alg�riens que l�am�lioration de leur devenir social implique d�abord la r�solution de la crise de la nature de l�Etat, c�est diff�rer la solution de la crise et permettre � d�autres forces, en particulier les islamistes parce qu�ils sont mieux structur�s, de prendre en charge leurs besoins imm�diats. Enfin sur un plan g�n�ral, l�alternative d�mocratique � construire ne peut faire l�impasse sur les ravages sociaux du n�o-lib�ralisme que d�aucuns confondent avec la modernit�. Lutter donc pour imposer la citoyennet� politique doit aller de pair avec l�exigence d�une citoyennet� sociale. Celle-ci, qui demeure un objectif, est une condition d�mocratique, et la lutte contre les in�galit�s sociales et de sexe est un gage d�efficacit� �conomique et politique. Car les id�aux de libert�, de d�mocratie, de modernit� dont nous nous revendiquons en tant que d�mocrates ne peuvent s�duire et convaincre une population socialement marginalis�e dans sa majorit�, si l�on continue de faire l�impasse (ou si on fait l�impasse) sur les difficiles conditions sociales d�existence du plus grand nombre. A l��vidence, sur ces questions, les partis d�mocrates avanc�s ont beaucoup � faire. Enoncer ce constat ne doit pas �tre per�u comme une critique : il s�agit de pointer du doigt de vrais questions appelant des r�ponses urgentes si les d�mocrates veulent r�ussir dans leur projet de d�mocratisation de la soci�t�. H. Z.