Une pensée particulière pour ces Syriens exilés de force et qui écument nos villes et nos routes, sollicitant l'aide de la population. Fuyant l'horreur de la guerre pour se réfugier chez nous, les ressortissants syriens se retrouvent livrés à eux-mêmes, d'autant qu'ils ne sont pas juridiquement considérés comme des réfugiés par l'Etat algérien. Ce sont des «touristes» auxquels on délivre un visa renouvelable d'une durée de trois mois. Reçus uniquement à titre humanitaire, ils vivent au jour le jour de mendicité ou de rares petits boulots au noir, quémandant en famille avec des bébés et des enfants en bas âge, recroquevillés dans une poussette ou dans une couverture, exposés à la chaleur estivale comme au froid hivernal. Comment l'Etat peut-il fermer les yeux sur ces mendiants en «couches culottes» et ces gamins pas plus haut que trois pommes sans lever le petit doigt, ne serait-ce qu'au nom du statut humanitaire qu'il leur concède ? L'Algérie n'a-t-elle pas ratifié la Convention internationale relative aux droits de l'enfant ? N'a-t-elle pas paraphé la Convention de Genève de 1951 relative aux réfugiés ? Les ressortissants syriens rentrent en Algérie grâce à un visa touristique valable trois mois. Ils doivent quitter le pays à l'issue de cette période, mais peuvent toutefois obtenir un autre visa pour la même durée plusieurs fois de suite. En «sursis» permanent, les Syriens vivent dans une constante instabilité. Une précarité durement ressentie par les plus vulnérables d'entre eux : les enfants. Ces derniers mènent ainsi une vie d'errance dans des chambres d'hôtel ou des habitations en location. En fuyant les exactions du régime de Bachar El Assad et les atrocités commises par les extrémistes islamistes, les ressortissants syriens ont certes trouvé la sécurité, mais leur vie est en suspens. L'innocence des enfants déjà confisquée par la guerre est désormais otage de lois inexistantes. D'après des chiffres établis par le HCR, il y aurait actuellement plus de 2000 Syriens dans notre pays, essentiellement dans les zones urbaines. A Constantine notamment, on les retrouve chaque jour dans les lieux névralgiques de l'antique Cirta, ces points noirs où la circulation est toujours dense, avec des cortèges de voitures à n'en plus finir, ou encore dans les stations service. Les embouteillages sont leur principal… gagne-pain. Des conventions sur le papier Un paquet de mouchoirs en papier à la main, de nombreux réfugiés syriens arpentent la chaussée entre les files de voitures et attendent à la faveur d'une vitre baissée l'obole d'une main compatissante. Ils quémandent leur pitance auprès d'une population partagée entre mansuétude et indifférence. Acteurs actifs de cette quête du pain quotidien, ces enfants partagent avec leurs parents l'amère réalité d'une vie précaire faite de mendicité et d'incertitudes quant à leur avenir. A l'âge où ils devraient être scolarisés, ces enfants syriens passent leurs journées à collecter quelques pièces de monnaie en s'agrippant aux portières des automobilistes. La Convention relative aux droits de l'enfant fait partie des instruments juridiques internationaux de garantie et de protection des droits de l'homme, adoptée en 1989 et a pour objectif de protéger les droits de tous les enfants dans le monde, loin de toute discrimination, en préservant l'intérêt supérieur de l'enfant ainsi que son droit à la vie, à la survie et au développement. L'Algérie a ratifié cette convention qui stipule dans son article 22 que «les Etats parties prennent les mesures appropriées pour qu'un enfant qui cherche à obtenir le statut de réfugié en vertu des règles de réfugié et procédures du droit international ou national applicable, (…) bénéficie de la protection et de l'assistance humanitaire voulues pour lui permettre de jouir des droits que lui reconnaissent la présente convention et les autres instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme». Cette convention prévoit également la protection des enfants et la promotion des droits des enfants issus de minorités et des enfants réfugiés. Malheureusement, notre pays ne dispose pas d'une loi nationale sur l'asile et d'un organe opérationnel chargé de statuer sur les demandes d'asile. Or, les réfugiés et les demandeurs d'asile sont vulnérables surtout qu'ils n'ont pas accès à certains droits fondamentaux, selon le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR). Drôles de touristes ! En dépit des conventions ratifiées par l'Algérie, l'Etat ne peut rien faire juridiquement pour reconnaître aux ressortissants syriens un statut de réfugiés. Il semble également ne rien vouloir entreprendre pour réunir les conditions de vie susceptibles de dissuader certains Syriens de recourir à la mendicité pour se nourrir et payer leur loyer. Car, faut-il le souligner, il n'existe pas à Constantine de centre d'accueil pour ces ressortissants détenteurs de visas touristiques, obligés de se prendre en charge tout seuls. Et c'est vraisemblablement cette situation qui pousse bon nombre d'entre eux à mendier en y associant leurs enfants. Qui peut, en effet, rester insensible devant des petites frimousses endurant les affres du froid et humant à pleines narines les gaz des pots d'échappement des automobilistes ? Contacté à ce sujet, le directeur de l'action sociale (DAS) de Constantine nous a répondu que cela ne relève pas des prérogatives de ses services, mais «c'est plutôt du ressort des éléments de la sûreté de wilaya, sachant que ces ressortissants s'adonnent à la mendicité sur la voie publique». Sollicitée à son tour, une source autorisée de la sûreté de wilaya nous a affirmé qu'il n'appartient en aucune manière à la police de prendre des mesures quelconques à ce sujet. Mais qui donc est censé intervenir ? Le souhaite-t-on vraiment au fond ? Questionné à ce propos en sa qualité de juriste et bâtonnier de Constantine, Me Mostefa Lenouar nous a affirmé que «l'Etat les accueille à titre purement humanitaire et ne leur demande pas de comptes. Et, bien que la mendicité soit reconnue comme étant une pratique illégale, les pouvoirs publics ferment les yeux à défaut d'une solution juridique». Au demeurant, l'errance des Syriens, ces «réfugiés touristes» risque encore de durer et leur mendicité tout autant. Le plus grave, c'est que les autorités ne tentent rien pour éviter que des bébés soient enrôlés dans cette activité avilissante qui touche à leur dignité d'êtres humains et à leur santé. C'est pourtant bien au nom d'une prétendue aide humanitaire que l'Algérie accepte de les accueillir sur son sol. Pour le reste, c'est une autre histoire.