- Une enquête du journal Le Monde lève le voile sur un vaste système d'évasion fiscale. Qu'est-ce que cela révèle ? Ce qui est important dans ces révélations, ce n'est pas tant qui en a profité, mais surtout les mécanismes qui ont conduit à cette opération d'évasion à grande échelle. Il faut rappeler que la banque HSBC a reconnu qu'elle avait utilisé des pratiques condamnées par les lois nationales et internationales et les conventions et a choisi de plaider coupable pour coopérer avec les justices des Etats concernés et intéressés par les réparations. D'abord, les infractions générales sont liées à la fraude fiscale et au blanchiment d'argent punis par la loi. Dans le cas de l'Algérie, il faut ajouter à ces deux infractions une pratique de fuite de capitaux, violation de la loi sur l'échange et le transfert illicite de capitaux soit par des voies personnelles (le sac), soit par circuit bancaire, donc de représentation bancaire en Algérie. Ces pratiques ne sont pas le propre de HSBC. On va dire ces 15 ou 20 dernières années, la banque britannique s'est effectivement illustrée par des pratiques réprimées par la loi. En 2014, elle a été condamnée par la justice américaine pour avoir accepté des milliards de dollars issus du trafic de drogue international. D'autres banques, qui ont des filiales en Algérie, utilisent les mêmes pratiques que HSBC. - Comment cette banque procède-t-elle pour capter les capitaux et organiser des fuites ? Elle a des gestionnaires de fortunes. Ce sont des cadres de banques connues pour leur discrétion, ayant la confiance de leurs dirigeants, qui démarchent des personnes qui sont connues pour détenir des capitaux importants. Parmi les 440 Algériens identifiés dans l'enquête du Monde, il y a certainement de hauts fonctionnaires, des ministres en activité, d'anciens ministres, des chefs d'entreprises, des professions libérales fortunées, des importateurs… Voilà en gros le profil des 440 personnes identifiées comme venant d'Algérie. Ce qui peut être inquiétant dans le volume de ces transferts venant d'Algérie, qui se chiffrent à 700 millions d'euros, c'est qu'il est fort probable qu'une partie de cet argent soit des pots-de-vin et des commissions liées à l'obtention de marchés publics. Il y a certainement l'argent de la corruption dans le cadre des grands marchés. - Il y a une partie qui a placé directement, c'est-à-dire elle-même, son argent à HSBC-Genève, et une autre qui a utilisé les fonds placés dans les représentations de HSBC à Alger qui est aussi complice de la fuite organisée des capitaux. Il faut rappeler le contexte dans lequel se sont déroulés les faits révélés par l'enquête en 2006-2007. Si on jette un regard sur 2006, on constate que c'est l'année du lancement des grands marchés publics en Algérie avec Saipem, SNC-Lavalin, Sonatrach 1 et 2 et enfin l'autoroute Est-Ouest. Les gestionnaires de HSBC ont une solution toute trouvée pour échapper aux taxes européennes importantes, en se chargeant de placer l'argent dans des paradis fiscaux où la banque s'engage à le gérer. Parmi les paradis fiscaux le Panama, où une partie de l'argent de la corruption dont auraient bénéficié des dirigeants algériens est placée à travers HSBC et une autre banque suisse. - Mais comment HSBC en Algérie peut-elle se rendre complice d'une fuite de capitaux ? Le pourrait-elle vraiment sans l'aval de la Banque d'Algérie ? Là aussi, je pense que ce qui est caractéristique, finalement, c'est que ces banques ne sont pas contrôlées. C'est révélateur de la faillite de la Banque d'Algérie en matière de contrôle. C'est la faillite de l'administration des impôts et des finances qui, visiblement, a vu venir mais n'a rien pu faire. Il faut noter les conditions dans lequelles a été installée HSBC Algérie. Elle a bénéficié de conditions idéales en un temps record. On se posait déjà, en tant qu'association, nombre de questions connaissant les pratiques de cette banque au niveau international. Mais la question se pose pour le pouvoir politique dont certains noms révélés par Le Monde sont liés justement au pouvoir. Tout le monde savait comment ça se passait, mais la Banque d'Algérie n'avait pas le feu vert pour mettre son nez là-dedans. - Le ministre des Finances peut-il engager des poursuites ? Non seulement HSBC a reconnu sa culpabilité, mais elle a exprimé sa disponibilité à travailler avec tous les pays dont les ressortissants sont concernés par les révélations de l'enquête. Mais au plan juridique, il y des failles. L'Algérie, à ce jour, ne veut pas ratifier la convention de l'OCDE qui traite spécialement de l'information et de l'échange en matière d'information bancaire. Si le gouvernement algérien le fait, il sera en mesure d'obtenir de toutes les banques suisses la liste des ressortissants algériens qui y auraient placé des fonds. Mais pour cela, il faut une volonté politique. Il ne faut pas se voiler la face, beaucoup parmi ceux qui ont placé leur argent dans des banques suisses sont dans les administrations centrales, les grandes entreprises et dans un certains nombre d'institutions. En tout cas, nous attendons au moins un discours ferme du ministre des Finances ou du gouverneur de la Banque d'Algérie. Ils devraient se prononcer et la justice algérienne devrait ouvrir une enquête préliminaire et s'autosaisir. C'est la moindre des choses, d'autant que ça alimenterait les procès en cours, surtout que HSBC est une des banques réceptrices de pots-de-vin.Hacen Ouali