Après «offshoreLeaks» et «luxLeaks», le journal Le Monde, qui fait partie du Consortium international de journalistes d'investigation (ICIJ), a dévoilé, dans son édition d'hier, un vaste système d'évasion fiscale baptisé SwissLeaks. Il est accepté et encouragé par la banque britannique HSBC, deuxième groupe bancaire mondial via sa filiale suisse HSBC Private Bank. Les journalistes du quotidien français du soir et leurs collègues américains et européens (environ 154 journalistes de 47 pays ont participé à l'enquête) ont étudié, analysé et épluché pas moins de 120 000 fiches. Ce qui représente environ 180 milliards d'euros de fraude fiscale et d'argent caché dans les coffres-forts suisses de la banque anglaise. Des hommes d'affaires, des chirurgiens, des avocats, des footballeurs, des hommes et femmes du spectacle, des entreprises, des familles juives, des diamantaires, des sportifs et autres marchands d'armes du monde entier ont dissimulé, aux autorités fiscales de leurs pays, des sommes d'argent allant d'un montant modeste jusqu'à plusieurs millions de dollars avec la complicité active de la filiale suisse de HSBC. De nombreux pays arabes, comme l'Arabie Saoudite, Oman, la Jordanie ou le Maroc, sont cités dans cette enquête qui révèle l'étendue de la corruption à laquelle s'adonnaient les dictateurs et monarques de ces pays. 671 millions de dollars déposés par des Algériens L'Algérie n'est pas non plus épargnée par ce scandale, puisque la deuxième partie de l'enquête publiée aujourd'hui par Le Monde devrait montrer que des Algériens, qu'ils résident en Algérie ou ailleurs, ont déposé pas moins de 671 millions de dollars dans les coffres-forts de la filiale suisse de HSBC entre 1970 et 2006. Certes, cette somme semble modeste au regard de l'étendue de la fraude, néanmoins, elle montre clairement que la corruption, que le régime veut cacher, est un fait réel en Algérie. D'autant plus que d'autres banques pourraient avoir aussi reçu des sommes similaires, voire même supérieures à celles placées dans la filiale suisse de HSBC. Mise en place d'un vrai plan d'évasion fiscale par sa «majesté» Mais revenons au Maroc. L'enquête montre comment un complexe montage financier, impliquant la famille du roi et ses proches, a été mis en place pour placer des sommes considérables en Suisse. D'après le listing consulté par Le Monde, le compte numéro 5090190103 détenu par le roi Mohammed VI présentait un crédit de près de 8 millions d'euros entre l'automne 2006 et le printemps 2007. Il est codétenu avec son secrétaire particulier, Mounir Al Majidi. Certes, cette somme paraît ridicule au regard de la fortune du roi estimée à près de 2 milliards d'euros, selon le magazine Forbes, néanmoins elle montre comment la famille royale a fait main basse sur toute l'économie du pays. Même le prince Moulay Rachid et la princesse Lala Meriem, frère cadet et sœur aînée de Mohammed VI, figurent sur la liste des clients de HSBC PB, sans indication du montant de leurs avoirs. Le quotidien français croit savoir que la famille royale tire l'essentiel de sa fortune de la Société nationale d'investissement (SNI), le plus important groupe privé du pays. La SNI est aujourd'hui un puissant conglomérat qui détient des parts, de plus en plus majoritaires, dans une trentaine de compagnies tentaculaires au Maroc et à l'étranger. En 2013, la SNI pesait environ 64 milliards d'euros, soit 7% du PIB marocain. 424 millions d'euros en immobilisations financières C'est la famille royale qui gère tout ce conglomérat. Chaque prince et chaque princesse président aux destinées d'un holding, six au total. Ils touchent à tous les secteurs d'activité (hôtellerie, tourisme, luxe, industrie, importation, agroalimentaire…). Et c'est par le biais d'un fonds de participation appelé Copropar que se fait la centralisation des actions de la SNI avant que l'argent ne remonte vers la famille royale sous forme de dividendes annuels. A titre d'exemple, les princesses ont touché, en 2013, le pactole de 2 millions de dollars et 3,7 millions pour le prince. Au total, fait ressortir l'enquête, les frères et sœurs de Mohammed VI disposeraient durant la même année d'un total de 424 millions d'euros en immobilisations financières (145 millions pour le prince et entre 71 et 107 millions pour les princesses). Toutes ces sommes sont tirées de la SNI. Au-delà de ces sommes qui donnent le tournis, il faut rappeler que la loi marocaine interdit à un Marocain résidant au Maroc de posséder un compte bancaire à l'étranger. Cette révélation n'a pas plu au monarque chérifien, d'autant plus qu'elle est rendue publique le jour de sa visite à Paris pour tenter de donner un «coup de chaud» aux relations entre son pays et la France. Il a proféré des menaces à l'égard des journalistes du Monde. HSBC et les princes saoudiens Mais il n'y a pas que le roi du Maroc, au demeurant multimilliardaire selon le magazine Forbes (Mohammed VI posséderait une fortune de plus de 2 milliards de dollars), on trouve aussi le sultan Qabbus d'Oman ainsi que le roi Abdallah de Jordanie et les princes saoudiens. Par ailleurs, la filiale suisse de HSBC a développé toute son expertise pour faire fructifier les revenus des princes saoudiens. Par exemple, la société Kafen Invest, dont le prince Bandar Ben Sultan était le bénéficiaire, a eu jusqu'à près de 16 millions de dollars jusqu'en 2007. De son côté, le fils de l'ancien gouverneur de La Mecque, le prince Bandar Ben Khaled Al Fayçal, figure aussi en bonne place avec 3,5 millions de dollars, bien qu'il ne dispose d'aucune fonction dans l'organigramme gouvernemental saoudien. Les filles des rois Khaled et Fahd posséderaient, quant à elles, entre 6 et 15 millions d'euros.