Un demi-siècle après les assises fondatrices du 20 août 1956, l'enceinte du mémorial d'Ifri, érigée en gradin en contrebas de la maisonnette qui a vu naître la plate-forme de la Soummam, a été submergée de monde, de couleurs et de mots d'ordre contradictoires qui réaffirment le lien tourmenté que vit le pays avec son histoire. Le cinquantenaire a été surtout l'occasion de mettre en présence, un peu par procuration, les éléments essentiels d'un débat national laborieux sur le passé et demeuré au stade de l'esquisse. Côté officiel et comme attendu, la célébration n'a pas pu dépasser le cadre du protocolaire et du folklorique. Les préparatifs assidus amorcés depuis plusieurs mois, à en juger du moins par la frénésie et le nombre de réunions tenues au niveau local, avaient fait croire à une commémoration qui sort de l'ordinaire des programmes réglés par la routine des solennités annuelles. Deux membres du gouvernement, Mohamed Cherif Abbas, ministre des Moudjahidine, et Dahou Ould Kablia, ministre délégué aux Collectivités locales, ont conduit la délégation officielle sur le mémorial d'Ifri. Une délégation également composée de personnalités nationales, dont Saïd Abadou et Tahar Z'biri, anciens moudjahidine, qui s'est contentée de visiter le musée et de lever le rideau sur une fresque, en réalité un panneau en céramique, reproduisant l'iconographie de la célébration officielle. Deux autres ministres étaient encore annoncés jusqu'à hier matin, ainsi qu'une centaine de personnalités VIP par les services de la wilaya, mais on ne les a pas vus faire le pèlerinage à Ifri. Point de discours à l'occasion qui aurait pu développer une mise en perspective ou un sens particulier à la commémoration. Une visite muette, a-t-on remarqué, sur fond de fanfares. La présence du FFS, parti qui a battu le rappel de ses troupes à travers tout le pays, a été sur ce plan plus massive et bruyante. Des milliers de militants et sympathisants avaient d'ailleurs rallié dès la veille la petite ville d'Ouzellaguen, le chef-lieu communal, pour un grand rassemblement que des cadres du FFS, un peu emballés, se sont plus à baptiser « Congrès populaire ». Les militants, venus de plus d'une vingtaine de wilayas, selon les organisateurs, ont hier pris part à une marche qui a fait vibrer les artères de la ville de slogans hostiles au pouvoir et à la « folklorisation » qui escamote la date symbole, avant que les chemins qui montent vers Ifri ne leur soient ouverts pour des processions aussi imposantes vers le mémorial. La date du 20 Août coïncide avec l'anniversaire du leader charismatique Hocine Aït Ahmed. On l'apprendra sur place comme les nombreux militants qui ne se sont pas faits prier pour improviser une piste de danse à même le parvis du musée pour dire leur attachement au zaïm, entraînés par quelques airs fêtards de l'inévitable Matoub. Une note populaire qui a fini de briser un solennel flottant jusque-là. Dans l'élan, des banderoles à l'effigie du président de la République sont arrachées. Le FFS prenait possession des lieux à sa manière. Sans la présence des personnalités « indépendantes » annoncées. Idem pour le discours. Des rappels à peine ramassés en boutades et dont le soin a été confié au chargé de la communication, Karim Tabou. Ali Laskri, le premier secrétaire du parti se contentera de lire à l'assistance le contenu du « Serment pour la fidélité et la démocratie ». Une liste de principes puisés dans les référants politiques du FFS et qui invite à s'engager pour « faire du Front des forces socialistes, l'instrument de l'alternative démocratique ». Dans l'entre-deux, le Comité du cinquantenaire, mené notamment par des militants de la Ligue pour la défense des droits de l'homme (LADDH), a pu tout de même placer un mot. Me Hocine Zehouane a ainsi invité les citoyens qui se sont rassemblés sous sa tribune à faire barrage à la prochaine révision de la Constitution. « Non à la révision, oui à la refondation constitutionnelle », a martelé l'ancien officier de l'ALN. Le groupe a, par ailleurs, distribué un texte dont l'intitulé renseigne sur l'ambition de la dynamique souhaitée par le noyau militant : « Du message d'Ifri à l'impératif de la refondation constitutionnelle ». Le texte, aux allures de manifeste, en appelle à la mobilisation des « acteurs de la société civile, les représentants des formations politiques non supplétives, toutes les autorités morales saines » pour « faire échec à toute entreprise de viol constitutionnel ».