Des jeunes recrutés temporairement pour faire la promotion de certains produits (crèmes de beauté, parfums, téléphones portables, électroménager de haute technologie…) auprès des consommateurs animent régulièrement l'ambiance à l'intérieur des grandes surfaces commerciales. D'autres sont postés juste à l'extérieur pour une autre mission, à savoir la collecte de dons (denrées alimentaires de base, détergents, vêtements...) au profit des démunis distribuant des prospectus d'explication sur le rôle des associations de bienfaisance dans lesquelles ils activent. Deux images différentes qui illustrent le contraste au sein de la société algérienne. D'un côté, des citoyens à revenus importants qui peuvent s'offrir des biens superflus à des prix élevés à qui sont destinés les campagnes de promotion. De l'autre, une autre couche de la société dans l'incapacité financière de faire face aux dépenses quotidiennes les plus élémentaires et nécessaires dans l'obligation de passer par les associations pour nourrir leurs familles. En effet, depuis trois, quatre années, un nouveau phénomène a fait son apparition. Les associations caritatives ont élargi leur cercle d'intervention en allant directement à la rencontre des citoyens pour la collecte des dons. En plus du porte-à-porte, ces associations via leurs groupes sillonnent les grandes surfaces commerciales et même les superettes de quartier pour ramasser les dons qu'ils acheminent par la suite aux familles démunies dans les localités et les villages où la pauvreté est perceptible. Ces jeunes, pour la plupart des étudiants versés dans ce mouvement de bienfaisance, s'adressent directement aux citoyens s'apprêtant à faire leurs courses pour les sensibiliser à faire des dons parmi leurs achats leur expliquant la procédure à suivre. Pâtes alimentaires, riz, farine, semoule, café, sucre, tomate concentrée et légumes secs constituent généralement la liste des produits demandés n'étant pas périssables et étant surtout les produits de base consommés par les familles algériennes. Si auparavant ces opérations étaient limitées à certaines occasions (Ramadhan, rentrée scolaire, Aïd…), ce n'est plus le cas aujourd'hui. «Les conditions sociales sont des plus lamentables dans certaines localités. C'est le cas durant toute l'année», témoignera à ce sujet Amel, une bénévole ayant effectué à plusieurs reprises des sorties sur le terrain pour la distribution des dons. Rencontrée au centre commercial Ardis à Mohammadia le 18 février dernier, Amel était en pleine opération de collecte avec ses amis du groupe. Avec Yacine, Elias et Amira, ils ont réussi à collecter une bonne quantité de produits qu'ils ont acheminés le 21 février dans les villages reculés de la wilaya de Médéa. Comment sont identifiées les familles nécessiteuses ? Les DAS appelées à fournir plus d'efforts Celia, membre actif de l'association Ness El Kheir dans la commune de Dar El Beida, nous dira : «Nous faisons des enquêtes, les familles nous fournissent des dossiers justifiant leur situation sociale». «Nous avons 120 groupes à travers plusieurs régions du pays. Ces groupes sont sur le terrain et identifient les gens qui sont dans le besoin», nous expliquera pour sa part Lyes Filali, président de l'association Ness El Kheir. Ce dernier déplore justement l'inexistence de statistiques à ce sujet. «Même au niveau des APC, nous n'arrivons pas à avoir les informations nécessaires pour cibler les dons», regrettera-t-il. Un constat qui converge avec celui des experts, lesquels regrettent en effet l'inexistence d'un Observatoire de la pauvreté ou d'institutions de ce type qui permettent de collecter et d'analyser l'évolution de certains indicateurs liés au phénomène en question. Au niveau du ministère de la Solidarité nationale, de la Famille et de la Condition de la femme, des reproches sont également faits aux Directions de l'action sociale (DAS) des 48 wilayas concernant le retard accusé dans l'élaboration des listes des démunis. «Les DAS sont appelées à faire un bond qualificatif et fournir plus d'efforts afin de réaliser la feuille de route dont le but est de faire sortir les villages et les zones éparses de l'isolement et de la précarité», a souligné dans ce cadre, en décembre dernier, la première responsable du secteur, Mounia Meslem, qui martèlera : «Il n'est plus question qu'en 2015, avec une enveloppe budgétaire conséquente, des citoyens continuent de vivre dans la précarité.» «L'état absent sur le terrain » A ce sujet justement, M. Filali parle carrément de l'absence de l'Etat sur le terrain. «On n'a pas d'Etat, c'est l'anarchie totale», notera le président de Ness El Kheir se référant aux visites sur le terrain et aux témoignages des nécessiteux. «Certaines localités n'ont jamais reçu la visite de responsables ni bénéficié de couffins», déplorera-t-il citant l'exemple de la localité de Brira dans la wilaya de Chlef. En plus de cette wilaya, Mila, Djelfa, Bouira et Tizi Ouzou souffrent également du phénomène de la pauvreté. M. Filali nous dira encore : «C'est ce que nous avons constaté. Il suffit de sortir à 20 kilomètres d'Alger pour découvrir l'ampleur de la misère sociale.» Pour notre interlocuteur, la situation est d'autant plus navrante pour les familles dont les chefs sont décédés après avoir travaillé dans des conditions précaires. «Du jour au lendemain, certaines familles se retrouvent sans ressources après le décès du père. N'ayant pas bénéficié de la sécurité sociale et ayant occupé des postes précaires durant leur vie, ces pères n'ont pas laissé de pension à leurs veuves. C'est dramatique», nous racontera M. Filali. Un point qui rappelle la persistance de l'emploi informel et son impact sur la pauvreté. Dans ce cadre, il faut noter qu'entre 6 à 7 millions DA de dons collectés notamment auprès des entreprises de l'agroalimentaire, à l'image de Cevital sont distribués uniquement par cette association pour des couffins dont le coût oscille entre 3000 et 4000 DA. Des chiffres qui s'ajoutent à ceux des autres associations et à ceux dressés annuellement par le gouvernement (via notamment les DAS). Ce qui n'empêche pas la pauvreté de gagner du terrain face à l'arrivée des nouveaux riches.