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Abdoune Benallaoua .docteur en économie : «C'est à l'Etat de garantir un niveau de vie acceptable aux citoyens»
Economie : les autres articles
Publié dans El Watan le 09 - 03 - 2015

-Depuis quelque temps, les contrastes entre des signes extérieurs de richesse frappants et une pauvreté criante sont observés. Qu'est-ce qui peut nous permettre de prendre réellement la mesure de la
pauvreté ?
Qualifier ce phénomène de paradoxe peut nous faire penser que son explication est difficile. Pourtant, cette dernière est très simple : les inégalités en Algérie ont explosé depuis la fin des années 1980. La libéralisation de l'économie a toujours eu comme effet l'augmentation des inégalités, et ce, dans plusieurs pays ayant opéré cette transition.
Cette dernière est caractérisée par des vagues de déréglementations et l'ouverture de plusieurs secteurs à la concurrence. Une couche de la population qui a saisi l'occasion pour développer des affaires a pu s'enrichir rapidement. Une autre couche est restée à la marge de ce mouvement et a plutôt subi la transition vers l'économie de marché dans ses aspects les plus néfastes : libéralisation des prix, suppression des subventions, réduction des dépenses publiques dans le cadre des plans d'ajustement structurel.
Un autre élément très important à citer est la défaillance du système de redistribution via la politique budgétaire. D'abord dans son aspect recettes ; en dehors de la fiscalité pétrolière, l'Etat algérien ne lève pas l'impôt suffisamment.
Le système d'imposition au forfait, notamment des commerçants et des artisans permet à ces derniers de ne pas payer (ou presque pas) d'impôt et de ne pas reverser la TVA. L'enrichissement de certaines catégories de la population devient rapide dans ces conditions.
De l'autre côté, il y a les salariés et les fonctionnaires qui gagnent généralement moins que les commerçants mais qui payent l'impôt qu'ils doivent puisque ce dernier est retenu à la source. Il s'agit là d'un grand facteur d'inégalité au sein de notre société où, normalement, selon le principe de solidarité, chacun doit contribuer à l'effort global en fonction de ses capacités et de ses revenus. C'est l'inverse qui prévaut en Algérie. Les inégalités criantes entre les Algériens se manifestent ainsi par le paradoxe selon lequel on observe des signes de richesse considérables pour certains et une grande misère pour d'autres.
Concernant la mesure du phénomène de pauvreté, il est nécessaire de construire, dans un premier temps, un système d'information et des données sociales fiables, régulières et accessibles à la communauté scientifique.
Ensuite, il est nécessaire de prendre en compte les différentes dimensions et approches d'évaluation de la pauvreté : une évaluation monétaire (la pauvreté comme une insuffisance de revenu ou de la dépense), non monétaire (la pauvreté comme l'incapacité d'un individu à choisir le mode de vie qu'il souhaiterait mener) et participative ou subjective (l'évaluation se base sur la perception des individus de leur niveau de vie).
-La pauvreté est- elle prédéfinie par certains critères (instruction, emploi, etc) ?
Cette question concerne ce que l'on appelle dans le domaine «les profils de la pauvreté» qui apportent une information cruciale aux pouvoirs publics, car ils permettent un bon ciblage des politiques de lutte contre la pauvreté sur les catégories les plus touchées. Les profils de la pauvreté en Algérie peuvent être résumés à travers les points suivants : la pauvreté est plus importante dans les zones rurales. Les régions rurales représentent des zones caractérisées par un faible niveau de vie et un retard de développement. La pauvreté touche davantage les ménages dont le chef est peu ou pas instruit ou non occupé (inactif, chômeur) et les niveaux de vie sont plus faibles chez les individus occupant des emplois précaires et vulnérables.
-Avec des transferts sociaux de 1200 mld par an, les subventions généralisées et le rattrapage des salaires, a-t-on repoussé le seuil de pauvreté d'il y a 25 ans ?
La ligne de pauvreté (seuil de pauvreté) est d'une importance capitale puisqu'elle permet d'identifier l'état d'un individu par rapport à la pauvreté. En effet, le niveau du bien-être de chaque individu doit être comparé à un niveau de vie de référence représentant la limite à atteindre pour considérer qu'un individu n'est pas pauvre. Tous ceux ne l'ayant pas ainsi atteint sont considérés comme pauvres. Le seuil de pauvreté en Algérie est effectivement complètement différent de celui d'il y a 25 ans ou même 10 ans.
L'évolution du seuil de pauvreté n'est pas due aux aspects que vous citez, mais plutôt à l'évolution des prix d'un panier de base de consommation d'un ménage algérien moyen. L'observation de l'indice des prix à la consommation nous laisse penser qu'au minimum la ligne de pauvreté (alimentaire et totale) a triplé au cours de ces 10 dernières années. Ainsi, à revenus constants, la pauvreté dans ce cas ne peut qu'augmenter. Dans le cas de l'Algérie, tout le monde s'accorde à dire que le rattrapage au niveau des salaires observé n'est pas suffisant pour compenser les hausses du niveau général des prix.

-Il y a de plus en plus d'associations qui viennent en aide aux familles nécessiteuses. Quelle est dans ce cas la pertinence des politiques publiques de lutte contre la pauvreté ?
La stratégie de lutte contre la pauvreté en Algérie s'est basée essentiellement sur des dispositifs de création d'emplois et d'insertion, conduisant à la création d'un grand nombre d'emplois très précaires. La baisse du chômage ces dernières années s'est accompagnée d'une hausse des emplois précaires qui représentent plus de 1/3 de la population occupée.
Toutes les études relatives à la relation entre la pauvreté et le statut sur le marché du travail montrent une forte corrélation entre le niveau de pauvreté et la précarité sur le marché du travail. Ces résultats montrent les limites d'une politique qui ne sert qu'à faire baisser les chiffres du chômage sans se soucier des niveaux de rémunération, des types des contrats, du degré de protection institutionnelle, et de leur durée. L'objectif de réduction de la pauvreté via le marché du travail ne peut être atteint que par des investissements productifs et une stratégie économique génératrice de besoins réels en main-d'œuvre, et capable d'absorber durablement le «stock» de chômeurs.
Cela nous ramène au mal profond de l'économie algérienne qui est basée sur la rente pétrolière, avec comme conséquence le développement du clientélisme, de la corruption et de la vulnérabilité du pays aux chocs exogènes. La politique d'assistance aux pauvres est, quant à elle, inefficace. Une politique d'assistance aux pauvres suppose au préalable une bonne connaissance du phénomène et un système d'information fiable. Pour aider les pauvres, il faudrait d'abord pouvoir les identifier d'une manière pertinente.
Dans un pays où l'informel se généralise, l'Etat est incapable de mettre en place un système d'aide aux pauvres par l'octroi de revenus de subsistance. Des millions d'individus non pauvres et occupés dans le secteur informel peuvent solliciter des aides, car ils n'ont officiellement aucun revenu.
Cette problématique nous amène à un autre problème grave de l'Algérie : l'absence d'un système d'information et de contrôle efficace au sein des services de l'Etat (administration fiscale, CNAS, caisse des retraites, inspection du travail….).
Les deux problématiques sont étroitement liées : œuvrer pour le bien-être de la population au-delà des politiques directement liées à la lutte contre la pauvreté nécessite une stratégie globale et multidimensionnelle qui devrait toucher le système économique, le système fiscal, et de gouvernance locale et nationale. L'existence d'associations de proximité (même dans les pays les plus développés) est une bonne chose, mais en même temps ces entités nous rappellent qu'il y a des individus qui n'arrivent pas à vivre dignement.
Elles sont l'expression de la solidarité au sein de notre société, qui est, nous devons le reconnaître, très faible. La solidarité au sein du peuple algérien existera véritablement lorsque chaque citoyen contribuera au budget de l'Etat en fonction de sa richesse et de ses revenus ; lorsque les commerçants arrêteront de spéculer et de s'enrichir sur le dos des consommateurs, notamment pendant des périodes de fortes consommations et de pénuries ; lorsque les citoyens cesseront d'être indifférents à la misère des autres.
Les associations ne sont que quelques arbres qui cachent la forêt. Enfin, il ne faut pas oublier que c'est à l'Etat de garantir un niveau de vie acceptable à l'ensemble des citoyens, comme cela est inscrit dans tous les textes fondateurs de la République algérienne. C'est à l'Etat qu'incombe la responsabilité d'assurer une égalité et une cohésion sociale en utilisant d'une manière efficace les différents instruments dont il dispose.


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